par Blanca Jiménez Garcia
Ancien responsable de la confédération néerlandaise des syndicats FNV, Wim Sprenger est consultant-chercheur chez Opus 8 où il travaille sur les questions d’innovation, de restructurations, d’emploi et de dialogue social. Il nous livre ici ses réflexions sur les rapports entre syndicats et nouvelles technologies.
Dans quelle mesure les syndicats se sont-ils saisis des questions relatives au travail et au numérique?
Ils sont en partie enthousiastes et en partie anxieux. Depuis plusieurs années, la mobilité est la nouvelle voie que prend le travail : elle promeut un travail flexible de sorte que les salariés puissent travailler à tout endroit et aux moments qui leur conviennent le mieux. Les nouvelles technologies ont réellement été conçues pour cela : les personnes peuvent en faire usage n’importe où et sont capables de communiquer avec les collègues. C’est une façon d’équilibrer le travail. Et certains syndicats ont promu ces nouvelles manières de faire. Mais évidemment, il y a aussi beaucoup de discussions autour du contrôle du travail, du dérangement 24H/24 etc… La Confédération néerlandaise des syndicats FNV a réalisé une étude appelée « Les risque du technostress ». Elle a ainsi constaté que :
– L’utilisation d’appareils portables (comme les smartphones ou les tablettes) s’est intensifiée très rapidement et que ces appareils ont remplacé les ordinateurs ordinaires.
– Les appareils portables (et le potentiel d’internet) génèrent des risques de « techno addiction » : bon nombre de travailleurs consultent leurs appareils en dehors des heures de travail.
– Pour un large nombre de salariés, le travail n’est pas devenu plus facile avec l’utilisation de ces dispositifs. Au contraire, un travailleur sur trois faisant usage d’appareils portables dit que son travail est devenu plus complexe et plus intensif.
– L’enquête initiale montre que beaucoup de salariés ont peu d’énergie à la fin de la journée. Le risque de stress psychosocial devient très important comme le notent de nombreuses études. Il est donc logique que ces technologies mobiles contribuent au développement de ces risques. Et physiquement, on s’aperçoit que même les pouces souffrent de l’utilisation intensive des blackberry et consorts !
– Pour beaucoup de salariés, il est nécessaire de séparer le temps de travail du temps libre ou personnel. L’une des personnes sondées a répondu « Quand je suis libre, je veux être libre ».
– Près de 60% des salariés disent avoir besoin d’accords clairs sur l’accessibilité et l’envoi de messages professionnels. Et ceci encore plus pour les jeunes que pour les travailleurs âgés (même si ces données ne sont pas statistiquement significatives).
Selon vous, la qualité du travail peut-elle être affectée par les TIC ?
Le problème avec les nouvelles technologies concerne tant l’intégrité physique que psychologique. S’agissant de l’intégrité psychologique, on peut se demander comment les salariés peuvent être sûrs de ne pas être contrôlés à chaque instant ou ne pas se sentir obligés de répondre aux messages ou aux emails de façon instantanée. L’étude de la FNV montre qu’un salarié sur cinq regarde ses emails plus de 10 fois par heure. Les syndicats essayent de trouver une réponse pour identifier les avantages que les salariés peuvent tirer des nouvelles technologies mais aussi pour contrôler les inconvénients. Cette question devient de plus en plus importante. Enfin, l’étude, bien que plutôt focalisée sur les travailleurs néerlandais, montre que cette tendance est un phénomène global. Les régulations traditionnelles comme les conventions collectives ne fonctionnent pas car les effets des nouvelles technologies sont très différents d’une personne à une autre.
Les nouvelles technologies modifient-elles le travail syndical ?
Oui. Les syndicats communiquent de plus en plus avec les nouvelles technologies. Les accords et discussions ont lieu sur internet. Les nouvelles technologies remplacent les technologies obsolètes comme les réunions, papiers ou communiqués. Aujourd’hui tout est différent. La majorité des discussions a lieu par internet : les emails mais surtout les réseaux sociaux comme Facebook ou LinkedIn ou même des sites web sont utilisés. Les syndicats y organisent des discussions ou des forums pour communiquer avec des personnes « à l’extérieur » de sorte qu’elles puissent donner leur avis. Dans beaucoup de syndicats, la question importante est de savoir aussi comment toucher les plus jeunes pour qu’ils militent. Car désormais la cible principale ce sont les jeunes : il faut être efficace dans le futur et pour le futur. Beaucoup de syndicats essayent d’intégrer les nouvelles technologies aussi dans les négociations, en utilisant Facebook ou leurs propres forums pour demander du soutien ou pour encourager à rejoindre l’organisation syndicale.
Lorsque les entreprises investissent dans les technologies, comment réagissent les syndicats ?
Cela dépend du type de travail. Il est normal que les firmes investissent dans les nouvelles technologies. L’enquête que nous avons réalisée l’année dernière a montré qu’une partie du personnel a utilisé ses propres smartphones. Les salariés ne veulent pas deux appareils, le leur et celui donné par l’entreprise. Les entreprises n’investissent pas uniquement dans les nouvelles technologies mais aussi dans l’environnement dans lequel ces technologies sont utilisées pour prévenir les risques physiques et psychologiques. Quelques entreprises utilisent un logiciel qui s’arrête toutes les une ou deux heures pour que les salariés aient une pause dans leur travail. Les syndicats négocient et informent leurs membres de l’existence de ce genre de logiciel et de la manière dont il contribue à éviter le stress au travail. Cependant, ceci dépend vraiment du secteur : la situation n’est pas identique dans le secteur de la construction ou dans celui des services car les nouvelles technologies n’y sont pas utilisées de la même façon.
Des augmentations de salaires peuvent-elles amener les syndicats à être plus réceptifs aux changements que les nouvelles technologies produisent ?
Oui, je pense. Le problème le plus important pour les syndicats est la pénurie résultant des choix de secteur d’activité des jeunes. De moins en moins de gens travaillent dans des activités « techniques ». D’où les tentatives de promouvoir l’éducation technologique pour rendre ces activités plus attractives aux yeux des jeunes. Il y a un mois, le nouveau gouvernement, les employeurs, les syndicats et le secteur éducatif se sont réunis et ont signé un « Pacte technologique » qui vise à développer et promouvoir les activités techniques dans les écoles et éviter que le marché du travail ne souffre de pénuries. Les firmes doivent, elles aussi, investir dans ce sens mais les managers ne sont pas très favorables à ces stratégies.
En matière de numérique au travail, les syndicats néerlandais ont-ils des expériences novatrices ?
Les syndicats essayent de négocier les horaires afin d’éviter que les employés ne soient dérangés dans leur travail. Autre innovation néerlandaise, les élections syndicales sont réalisées par internet. La forme ancienne des réunions a été remplacée. Les candidats aux élections se présentent sur internet. Mais les syndicats sont encore réticents et hésitants pour travailler avec les nouvelles technologies. La plupart des salariés y voit des avantages, mais le principal problème pour les syndicats est de trouver une solution aux inconvénients qui ne sont pas négligeables. Les syndicats les plus importants ont une nouvelle politique et une démarche : ils donnent la priorité au contrôle des droits, ainsi qu’à la régulation des avantages des nouvelles technologies.
En France par exemple, on recommande que le travail chez soi se limite à une ou deux fois par semaine maximum. Est-ce aussi le cas aux Pays Bas ?
Oui, une ou deux fois par semaine mais pas plus. S’il était permis de travailler depuis chez soi plus d’une ou deux fois par semaine – je parle ici du télétravail – les gens perdraient leurs liens sociaux. Les syndicats sont en faveur d’un télétravail qui ne dépasse pas un maximum de deux jours par semaine. Ceci n’est évidemment pas une norme générale. Les gens peuvent planifier leurs heures de travail (par exemple, travailler 10h un jour et 6 heures le jour suivant si cela les arrange) ainsi que leur lieu de travail. Aujourd’hui les régulations se cherchent mais les accords conclus ne le sont pas de manière collective.
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