par Carole Lang
La crise économique qui sévit en Europe depuis 2008 a donné lieu à de nombreuses évolutions en ce qui concerne les législations du travail et l’emploi en général. Ces évolutions se sont notamment traduites par la mise en place de nouvelles formes d’emploi : certains Etats membres ont ainsi créé des contrats de travail inédits. Ce faisant, ces mutations des formes d’emploi contribuent à modifier profondément et durablement la composition du marché du travail et se traduisent souvent par une précarisation accrue. Peut-on dès lors imaginer de nouvelles sécurités ou à tout le moins un cadre protecteur plus approprié à ces travailleurs d’un nouveau genre ?
De nouvelles formes de contrats de travail
A la faveur de la crise, plusieurs Etats -membres ont créé de nouveaux types de contrats de travail.
Au Royaume-Uni, pays connu pour sa tendance à adopter des mesures libérales, l’année 2013 a vu l’émergence d’une forme particulière de contrats de travail, les contrats « zéro-heure », qui suscitent une certaine inquiétude. Ces contrats ne garantissent aucun salaire ni aucune durée de travail minimale, les travailleurs restant chez eux jusqu’à ce que leur employeur les appellent en cas de besoin. Bien que ces contrats existent depuis plusieurs années déjà, une enquête sur les forces de travail publiée par l’Office national des statistiques du Royaume-Uni a démontré que le nombre de travailleurs disposant d’un tel contrat a doublé entre 2005 et 2012, se situant actuellement autour de 200 000. Par ailleurs, ce même pays a adopté récemment une loi très controversée introduisant un nouveau type de contrat . Ce contrat prévoit en effet que les travailleurs recevront des parts dans leur entreprise pour peu qu’ils acceptent de renoncer à certains de leurs droits, tels que ceux liés aux licenciements abusifs, aux licenciements économiques, à la possibilité de demander un aménagement flexible du temps de travail ou un congé pour formation.
Plus à l’Est, la Pologne voit prospérer depuis plusieurs années des contrats dits « de service ».Ce type particulier de contrats n’est pas couvert par le droit du travail mais est régi par le droit civil. De ce fait, la plupart de ces contrats ne sont pas soumis non plus à contributions sociales.
Malgré la demande des syndicats de remédier à cette situation, le Premier ministre polonais a opposé un refus au mois d’octobre 2012 au nom du maintien de l’emploi. Cette réponse semble plutôt surprenante au regard des recommandations du Conseil concernant le programme national de réforme de la Pologne pour 2012, adoptées dans le cadre du Semestre européen. Après avoir fait remarquer que l’abus des activités non salariées et des contrats de droit civil qui ne sont pas couverts par le droit du travail apparaissent comme étant la cause de la segmentation du marché du travail et de la pauvreté au travail, les recommandations préconisent à la Pologne de combattre la segmentation du marché du travail et la pauvreté au travail, notamment en limitant l’usage excessif de ces contrats de droit civil. Suite au refus du Premier ministre de modifier la législation à ce sujet, les recommandations pour la Pologne pour 2013 rappellent le même objectif, en précisant que l’usage des contrats de droit civil renouvelables qui n’ouvrent que des droits très réduits à la protection sociale est malheureusement toujours très répandu.
Au Sud, la Grèce fait face à une situation particulièrement délicate, avec un taux de chômage parmi les plus élevés d’Europe, touchant fortement les moins de 25 ans. Depuis juillet 2010, la loi a permis la conclusion de « contrats jeunes », l’idée étant d’embaucher de jeunes travailleurs jusqu’à 25 ans avec un salaire inférieur de 32% au salaire précédent prévu pour le premier emploi, une période d’essai de deux ans et sans droit aux allocations chômage à la fin du contrat. De plus, pour ce type de contrat, les employeurs ne sont soumis à aucune contribution sociale.
Quelles sécurités pour ces travailleurs ?
Face à l’apparition de ces nouvelles formes d’emploi qui ont pour effet de contourner les protections classiques garanties aux travailleurs, un groupe d’experts membres du réseau INLACRIS (Independent Network for Labour Law and Crisis Studies) s’est réuni lors d’une conférence internationale à Lyon les 25 et 26 novembre 2013 afin de présenter les résultats d’une recherche visant à définir de nouvelles sécurités pour les travailleurs.
Dans un premier temps, la crise de 2008 a été présentée comme étant temporaire et les mesures adoptées pour y répondre devaient par conséquent elles aussi être provisoires. Toutefois, les analyses menées dans le cadre de cette recherche démontrent que ces dispositions semblent plutôt avoir été conçues pour s’inscrire dans le long terme, rendant désormais difficile tout retour en arrière. La crise a également été utilisée comme justification à l’accélération des réformes. Avant même le début de la crise, certaines cibles vulnérables ou considérées comme étant trop protégées – on pense ici notamment aux jeunes et aux fonctionnaires – étaient plus souvent visées par les réformes. Le phénomène de la crise n’a fait qu’accélérer ce long mouvement de revendications, dans le but d’apporter des résultats et des chiffres satisfaisants sur le court terme.
Cette course aux réformes, bien que devant être prétendument transitoire, a eu un impact considérable et durable sur la composition du marché du travail, remettant ainsi en cause le caractère contingent des réformes adoptées et la dichotomie traditionnelle entre insiders et outsiders sur le marché du travail. Les différences habituellement retenues entre ces catégories traditionnelles s’amenuisent à mesure que des catégories de travailleurs se précarisent. Les frontières entre travailleurs salariés et travailleurs autonomes s’estompent et certains travailleurs se retrouvent dans une « zone grise », caractérisée par un manque évident de protection.
Les évolutions plus ou moins récentes de la structure et de la composition du marché du travail semblent donc attester de l’inaptitude du système actuel de protection des travailleurs à s’adapter à ces nouvelles formes d’emploi.
S’interrogeant sur la pertinence dans le contexte actuel du concept de flexicurité, les membres du groupe d’experts ont discuté d’un nouveau tandem qui consisterait à combiner risques et sécurités au lieu du couple flexibilité/sécurité. Et ce en partant du fait que le droit du travail et les droits fondamentaux ont pour fonction première d’agir comme mécanismes de protection des travailleurs contre les risques sociaux engendrés par les marchés, tels que le risque d’être licencié ou le risque d’une diminution de salaire. Cependant, cette solution de substitution ne recueille pas seulement des avis favorables et soulève d’ores et déjà certaines interrogations : au regard des résultats positifs atteints grâce aux politiques de flexicurité, peut-on s’en débarrasser purement et simplement au profit d’un concept relevant d’une logique assurantielle ?
La possibilité de faire appel aux droits sociaux fondamentaux a également été évoquée. En tant que normes supérieures, les droits fondamentaux peuvent servir à remettre en cause certains changements législatifs mais ils peuvent aussi influencer l’adoption de nouvelles réformes dans un sens plus respectueux de la protection des travailleurs.
A titre d’exemple, les droits sociaux fondamentaux ont été mobilisés face à certaines dispositions de la loi grecque instaurant le « contrat jeune » précédemment évoqué. Ainsi, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe a considéré la législation grecque sur les contrats jeunes contraire à la Charte sociale européenne, en ce qu’ils ne garantissent pas une rémunération suffisante.
Néanmoins, cette solution n’est pas pour autant idéale. Si, dans la théorie, les droits fondamentaux sont supposés être universels, la réalité démontre que le contenu de chacun de ces droits dépend de la source dont il provient, de l’interprétation qui en est faite par les tribunaux et du système juridique dans lequel ce droit a vocation à être appliqué. Les droits sociaux fondamentaux présentent donc une limite de taille : leur caractère vague, abstrait et général laisse place à une – parfois trop grande – marge d’appréciation pour leur mise en œuvre effective, et leur imprécision ne leur permet en aucun cas de venir remplacer le droit du travail.
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