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par Fernando Vasquez

 

Entre mai 2011 et mai 2014, le gouvernement portugais a mis en œuvre un programme radical de réformes économiques et sociales fondé sur l’austérité et la dévaluation interne, conformément aux injonctions des institutions européennes et du FMI. Les lignes essentielles de ce programme sont celles du Memorandum signé le 17 mai 2011 entre le gouvernement socialiste de José Sócrates (qui a reçu le soutien politique des partis à sa droite) et lesdites institutions. Il a été mise en œuvre à partir du 21 juin 2011 par le nouveau gouvernement de droite, alors sorti des élections parlementaires. Mais qu’est-il arrivé au Portugal ?

 

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L’interrogation essentielle que l’on doit garder à l’esprit quand on essaye de comprendre ce qui s’est passé au Portugal depuis le début de la crise et d’évaluer les politiques menées me semble être celle formulée récemment par Thomas Piketty dans son article « 2007-2015 : une si longue recession » :

 

« Les raisons de la rechute européenne de 2011-2013 sont maintenant bien connues : alors que les Etats-Unis ont fait preuve d’une relative souplesse budgétaire afin de maintenir le cap sur la croissance, les pays de la zone euro ont tenté de réduire les déficits trop vite en 2011-2013, (…) ce qui a conduit à casser la reprise et à la montée du chômage, et pour finir la hausse des déficits et de l’endettement public que l’on prétendait vouloir réduire. ». « Pourquoi les Européens se sont-ils si mal coordonnés, transformant ainsi une crise venue du secteur financier privé américain en une crise européenne durable de la dette publique? Sans doute parce que les institutions de la zone euro n’étaient pas conçues pour faire face à une telle tempête. Une monnaie unique avec 19 dettes publiques différentes, 19 taux d’intérêt sur lesquels les marchés peuvent librement spéculer, 19 impôts sur les sociétés en concurrence débridée les uns avec les autres, sans socle social et éducatif commun, cela ne peut pas marcher. Sans doute aussi surtout parce que la montée des égoïsmes nationaux a empêché les Européens d’adapter leurs institutions et leurs politiques. Concrètement, quand les marchés financiers ont commencé à spéculer sur la dette des pays d’Europe du Sud, à partir de 2010-2011, l’Allemagne et la France ont au contraire bénéficié de taux d’intérêt historiquement bas, et se sont lavés les mains du fait que le sud de la zone s’enfonçait dans la récession. ». 

 

De ce point de vue, le graphique suivant est édifiant :

 

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Mon point de départ pour l’analyse qui suit est donc ce chiffre éclairant : à la fin 2015, le PIB portugais restait à 93 % de son niveau au 4ème trimestre 2007 (la dernière année avant la crise). La Grèce, elle, est à moins de 75 %. L’Espagne et l’Italie restent également en-dessous du niveau d’avant la crise et la Zone Euro dans son ensemble vient juste de l’atteindre. Même en France, ou – encore plus significatif – en Allemagne, les chiffres de la croissance depuis la crise sont médiocres (2 % et 5,5 % en 8 ans). Pourtant, même une croissance modeste au cours de cette période de 8 ans et en dépit d’une récession profonde au milieu, aurait dû ramener les PIB actuels de 15 à 20 points au-dessus de leur niveau d’avant crise… De quoi s’interroger sur l’adéquation des politiques menées ! Curieusement, même si le programme d’ajustement portugais à fait l’objet d’un suivi trimestriel extrêmement rigoureux, à sa fin aucune évaluation en profondeur comparant ses objectifs aux résultats initialement prévus a été menée par la Troïka. Pour bien comprendre ce qui s’est passé dès 2001 dans l’économie et la société portugaise, il faut tout d’abord rappeler ces objectifs et les résultats prévus, ainsi que, plus généralement, la logique derrière le programme de sauvetage. Seulement après nous ferons une évaluation (succincte) de cette intervention profonde en lien avec une analyse de la situation actuelle et des perspectives d’avenir.

 

Les objectifs et la logique du programme d’ajustement

 

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Le plan accordé entre le gouvernement et la Troïka en 2011 se base sur un diagnostic qui a mis en évidence l’aggravation des déséquilibres de l’économie portugaise après son adhésion à l’euro, ou même avant. Selon la vision dominante entre les créanciers – partagé par le gouvernement portugais – une baisse importante des taux d’intérêt liée à l’adoption de l’euro avait conduit à une appréciation réelle considérable, créé des déséquilibres budgétaires et extérieurs et contribué à la réduction substantielle de l’épargne. La perte de compétitivité, des déficits budgétaires insoutenables et l’endettement élevé du secteur financier et de l’ensemble des entreprises ont été considérés comme les principaux problèmes de l’économie portugaise. La perte de compétitivité et l’aggravation des déficits courants en découlant seraient dues à l’augmentation des coûts unitaires du travail et à la concentration des ressources de l’économie dans le secteur des biens non échangeables (très lucratif dans le contexte du fonctionnement de l’économie portugaise de ce début de millenaire, avec un État très dépensier et des ménages disposant d’un accès facile au crédit bon marché), plutôt que dans le secteur des biens échangeables. Les déficits budgétaires auraient été le résultat d’une augmentation incontrôlée des prestations sociales et des coûts de systèmes de santé et de sécurité sociale, ainsi que du fonctionnement « non transparent » des entreprises publiques et des partenariats publics-privés (PPP).

En ce qui concerne l’endettement externe, le rôle extrêmement dommageable joué dans d’autres pays (Irlande, Espagne, …) par des bulles immobilières, a été ici incarné par le gigantesque endettement des banques et du secteur privé (dans ce cas, surtout externe). Implicite dans ce diagnostic était l’idée que l’adhésion à l’euro n’a pas été une cause de déséquilibres dans l’économie portugaise, mais plutôt un changement de contexte qui a exposé les lacunes profondes de celle-ci, à savoir, les entraves à la libre concurrence, les protections et soutiens dont bénéficiait le secteur des biens non échangeables, les rigidités du marché du travail (en ce qui concerne principalement les mécanismes de fixation des salaires, les montants et la durée des allocations de chômage et les indemnités de licenciement), un stock important de main-d’œuvre peu ou très peu qualifiée et l’inefficacité du système judiciaire. Partant de ce diagnostic, le programme a été présenté non seulement comme un palliatif aux difficultés extrêmes dont souffrait conjoncturellement l’économie portugaise, mais aussi comme une thérapie de choque visant à éradiquer les carences structurelles de celle-ci. Pour ce faire, le programme se fixait comme objectifs spécifiques d’accroître la compétitivité et la croissance afin de regagner la confiance, assurer l’équilibre budgétaire et préserver la stabilité financière.

La logique du programme était donc la suivante : l’appartenance à la zone euro empêchant des politiques de taux de change, la compétitivité et la croissance seraient restaurées à travers une dévaluation interne résultant d’une plus grande flexibilité du marché du travail, du renforcement de la concurrence dans le secteur des biens non échangeables et de la réduction des contributions de sécurité sociale permettant d’accroître la rentabilité du secteur des biens échangeables. L’assainissement budgétaire devrait se faire par la réduction des dépenses publiques et l’augmentation de la recette, dans une proportion de 2/3, 1/3. La stabilité du secteur financier devrait être obtenue grâce au renforcement des fonds propres des banques et un soutien public les aidant à retrouver l’accès aux marchés des capitaux.

 

Les résultats économiques

 

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Compte tenu de ce diagnostique et de ces objectifs, il importe d’évaluer les résultats concrets du programme en analysant trois aspects : a) l’impact sur la croissance, l’emploi et la compétitivité ; b) l’impact sur le déficit budgétaire et la trajectoire de la dette publique ; et c) le désendettement des banques et de l’accès au crédit.

Impact sur la croissance, l’emploi et la compétitivité.

Le programme d’ajustement a causé une récession profonde qui a largement dépassé les prévisions de ses auteurs. Selon les prévisions de la Troïka, l’économie portugaise subirait deux ans de récession, en 2011 et 2012, et la croissance devrait reprendre à partir de 2013, à tel point que le PIB serait, en 2014, de seulement 0,4 % en dessous de son niveau en termes réels de 2010. En fait, la récession a duré trois ans et en 2014 le PIB a été de 5,5 % en dessous de son niveau de 2010. En termes d’emploi, le FMI avait prédit que l’emploi en 2014 serait de 1,1 % inférieur au taux de 2010. En fait, l’emploi a diminué de 7,1 %. Les différences observées en ce qui concerne la profondeur de la récession peuvent être attribuées surtout au fait que la consommation privée a diminué beaucoup plus que prévu. Seul aspect positif, le retrait de la consommation privée, en dépit de son effet récessif indésirable, a conduit à une réduction des importations qui a excédé de loin les prévisions, donnant lieu à un rééquilibrage très rapide des comptes courantes déjà en 2013, malgré une hausse des exportations plus faible que prévu.

Impact sur le déficit et la dette.

Alimentée par des compressions budgétaires drastiques et l’augmentation très substantielle des impôts, la récession donnerait aussi lieu, en tant qu’effet secondaire paradoxal, à des difficultés évidentes dans la réduction des déficits. Pas une seule fois au cours du programme les objectifs annuels initiaux de déficit budgétaire ont été respectés – ce qui a conduit, année après année, à leur renégociation. À la fin du programme, en 2014, au lieu du déficit cible de 2,3 % du PIB, un déficit de 4,6 % a été enregistré. La dette publique, qui devrait commencer à s’inverser et atteindre 115 % du PIB en 2014, en fait, atteignait 129 % cette année. Il faut dire que l’impact très négatif du programme sur la consommation interne (et les variables économiques qui en dépendent) a été adouci par la Cour Constitutionnelle portugaise qui invalidé à quatre reprises des mesures d’austérité imposées par le gouvernement en application des directives de la Troïka. C’est ainsi qu’elle a condamné en avril 2013, au nom du principe d’égalité, le ciblage des mesures d’austérité sur les travailleurs du secteur public. L’avant-dernière de ces décisions (de décembre 2013), invalide, au nom du principe de la confiance, la baisse de près de 10 % des retraites des fonctionnaires au-delà de 600 euros. Ces décisions – et la conviction en résultant de l’existence de limites constitutionnelles insurmontables à ce type de mesures – ont de toute évidence modéré, fort heureusement, les effets négatifs du programme.


Impact sur le secteur bancaire.

Le désendettement du secteur bancaire qui a été consigné dans le programme a effectivement eu lieu. Cependant, bien que les banques aient été recapitalisées avec les fonds propres du programme, ceci a été accompagné d’un resserrement notable du crédit et une hausse des créances douteuses, ce qui a forcé les banques à reconnaître des niveaux très élevés de crédits impayés ou douteux. Au lieu de stabiliser le secteur financier, la récession a contribué à la faillite et a entraîné chutte de l’une des plus grandes banques privées au Portugal, la Banco Espírito Santo, entre autres. Encore aujourd’hui, en 2016, l’idiotie du secteur financier portugais constitue le plus grand obstacle à une vraie reprise économique.

En conclusion, une évaluation sérieuse du programme nous permet de conclure que les effets de celui-ci se sont limités à l’ajustement de la balance extérieure au prix d’une augmentation des déséquilibres internes (emploi et niveau d’activité). Le programme a à peine contenu la croissance de la dette extérieure et a juste remplacé la dette bancaire externe par la dette publique externe, laissant derrière lui un sillon d’entreprises et de familles en faillite, avec des survivants qui sont autant ou plus endettés qu’au début du processus. Aucun des problèmes de l’économie portugaise diagnostiqués au début (compétitivité faible, déficits budgétaires insoutenables et endettement élevé du secteur financier et des entreprises) ont été résolus ou même atténués. Le FMI l’a presque reconnu dans son évaluation post-programme. Cependant, au lieu de proposer une réorientation des politiques, il suggère tout simplement leur renforcement à travers une plus grande consolidation budgétaire et des réductions encore plus importantes dans les coûts salariaux.

 

Les conséquences sociales, politiques et sociétales

 

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Les conséquences sociales

En ce qui concerne les aspects sociaux, très largement sous-estimés par les institutions européennes et le FMI, les conséquences du programme peuvent se résumer en trois mots : appauvrissement, inégalités et émigration. L’appauvrissement de la société portugaise, attribuable surtout au chômage, à la baisse des salaires et à la défaillance des mécanismes de protection sociale, est clairement reflété dans les statistiques officielles. L’enquête annuelle de l’Institut national de la statistique (INE) sur les conditions de vie et les revenus montre que le pourcentage de personnes en risque de pauvreté est passé de 18,1 % en 2010 à 19,5 % en 2013. Si on ne prend pas en compte la sensibilité de cet indicateur à l’évolution du revenu médian (qui a baissé dans la même période – voir plus bas), ce dernier niveau serait de 25,9 % en 2013 (presque 8 points de plus). L’augmentation du risque de pauvreté a touché tous les groupes d’âge, mais affecte de manière particulière les moins de 18 ans, qui sont passés de 22,3 % en 2010, à 24,4 % en 2012 et 25,6 % en 2013. Cet appauvrissement est confirmé par la détérioration des indices de défavorisation (grande privation matérielle) qui touchait en 2011, 20,9 % des personnes résidant au Portugal (8,3 % dans le dénuement matériel extrême). En 2014, ces niveaux avaient augmenté à 25,7 % et 10,6 %, respectivement.

Le chômage est la principale cause d’appauvrissement. En 2010, 36 % des chômeurs étaient en risque de pauvreté et ce pourcentage est passé à 40,3 % en 2012 et 40,5 % en 2013. Cependant, la situation des personnes ayant un emploi s’est également détériorée : le risque de pauvreté pour les salariés a augmenté d’un taux de 10,3 % en 2010 à 10,7 % en 2013. Les mesures de coupe des salaires du secteur public ont servi de référence pour le secteur privé et ont donc été les précurseurs d’un processus qui aurait une incidence très importante sur l’ensemble de la société portugaise. En Avril 2011, le salaire moyen était de 962,90 €. En Avril 2014, la rémunération moyenne a chuté à 948,80 €. Le salaire minimum légal, lui, est resté congelé à 485 € pendant cette période, mais – ce qui est plus grave – le nombre de travailleurs couverts est passé de 10,9 % du total en avril 2011 à environ 15 % en avril 2014. La dévaluation interne inscrite dans le mémorandum s’est traduite dans une dévaluation effective du travail et dans un transfert des revenus du travail vers le capital. Entre le deuxième trimestre de 2011 et le troisième trimestre de 2014 il y a eu une baisse sensible des revenus salariaux (de 5,8 M €, soit 6,9 %), accompagnée d’une augmentation significative des revenus du capital : une augmentation de 3,5 millions € (36 %), des revenus du capital et 860 M € (2,8 %), de l’excédent brut d’exploitation des entreprises – ceci malgré la conjoncture morose.

En dépit de l’augmentation du chômage et de la baisse de la valeur des salaires, le programme a renforcé les restrictions à l’accès et a réduit les montants des prestations sociales. Depuis 2010, avant même l’entrée en vigueur du programme d’ajustement, des mécanismes permettant d’évaluer les ressources des bénéficiaires se sont généralisés pour fixer des limites au-delà desquelles le soutien ne serait pas donné. Ce maillage est devenu encore plus serré en 2012. En 2011, le nombre de bénéficiaires des allocations de chômage était de 53,6 % du nombre total de chômeurs inscrits dans les centres d’emploi. Trois ans plus tard, cette proportion était tombée à 52,7 %. Dans le même temps, la durée des prestations de chômage et leur valeur a diminué. Le résultat a été une réduction des dépenses publiques en rapport avec le chômage tout au long de la période, précisément au moment où celui-ci a le plus augmenté. Les autres avantages sociaux (à l’exception des pensions, qui ont augmenté leur valeur globale malgré les réductions) ont subi une réduction de 6,3 % entre 2011 et 2014. Dans le même temps, les politiques sociales ont fait l’objet d’une réorganisation profonde, traduite par la promotion et le financement public d’activités caritatives et, en général, des institutions qui offrent un soutien social sous la forme de donations en espèce.

Outre le chômage, la dévaluation du travail et la baisse du niveau de protection sociale, le programme a augmenté de manière significative la charge fiscale sur les revenus du travail, tandis que les impôts sur les revenus de l’entreprise ont été allégés. Le corollaire de ce processus devait évidemment être un approfondissement des inégalités sociales au Portugal. Les statistiques publiées par l’INE ne font qu’allusion très superficielle à cette situation quand ils montrent que l’indice de Gini sur la distribution de revenus est passé de 34,2 % en 2010 à 34,5 % en 2013. En fait, l’aggravation des inégalités se traduit en termes que la seule distribution directe de revenus ne caractérise pas correctement : elle laisse cachés les enfants et les adolescents qui doivent abandonner le système éducatif plus tôt, les personnes qui cessent d’avoir accès aux soins de santé en raison de leur coût ou des longs temps d’attente pour les traitements (y compris des maladies graves), les familles qui ne peuvent plus se permettre de payer leur loyer ou les prêts hypothécaires, se retrouvant alors privées de leur droit à un logement.

Rien de tout cela n’a été mesuré, ou même pris en compte, par la Troïka et le gouvernement portugais dans leurs proclamations victorieuses à la fin du programme. Encore moins ont-ils évalué et reconnu ce qui est peut-être le plus mauvais résultat du sauvetage: la destruction de l’espoir de toute une génération de jeunes. S’il était possible de mesurer ce désespoir, les chiffres de l’émigration seraient les plus éloquents: plus d’une centaine de milliers d’émigrants par an entre 2001 et 2013, dont la plupart des jeunes, des chiffres comparables au Portugal misérable et en guerre des années 1960.

 

Les conséquences sociétales et politiques

Le plan de sauvetage portugais a été bien plus qu’un « programme d’ajustement » imposé à une économie endettée en échange d’un financement. En réalité, le gouvernement et les institutions créancières l’ont transformé en un instrument de réorganisation de l’économie et de la société portugaise. Sous prétexte de la consolidation budgétaire, les services publics de santé, d’éducation et de sécurité sociale ont été largement affaiblis et de nouvelles opportunités d’expansion des prestations privées ont été créées, notamment par la sous-traitance. Sous couvert de la nécessité d’arrêter la croissance insoutenable de la dette publique, la privatisation des entreprises publiques a été pratiquement achevée, il n’en reste alors que très peu dans le domaine publique. Sous le prétexte du besoin de contenir la croissance des dépenses de prestations sociales, les politiques émancipatrices et proactives de soutien social ont été en partie remplacées par un réseau de soutien social offrant des prestations en espèce à travers des organismes de bienfaisance sans but lucratif. Sous un prétexte de lutte contre le chômage et de la restauration de la compétitivité par la réduction des coûts salariaux, ont été mis en cause certains mécanismes essentiels de la législation du travail protegeant les travailleurs ainsi que les instruments leur permettant de négocier collectivement leurs salaires et les conditions de travail.

Le programme d’ajustement n’a résolu aucun des problèmes structurels de l’économie et de la société portugaise, ni son endettement. Il a appauvri le pays et les portugais, réduit durablement le niveau d’emploi, aggravé les inégalités et poussé les jeunes à émigrer. Ceux sont, objectivement, les résultats les plus visibles du programme. Mais en réalité, au-delà des blessures les plus criantes, s’en cachent d’autres plus profondes – comme le désespoir, le manque de confiance dans la faisabilité des solutions alternatives, la suspicion croissante vis-à-vis de la politique et des politiciens – qui sont peut-être encore plus corrosives et difficiles à guérir.


Et l’avenir ?

 

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Le nouveau gouvernement sorti des élections d’octobre 2015, soutenu par l’aile gauche du parlement portugais, s’est engagé à inverser la plupart des orientations du gouvernement précédent. Le tout, en essayant de continuer à respecter les engagements européens du pays, notamment dans le cadre des règles qui régissent la zone euro. Dès le lendemain de sa prise de fonctions, le 26 novembre 2015, certaines des mesures de dévaluation interne les plus importantes prises entre 2011 et 2014 (augmentations d’impôts, coupes des salaires et des pensions) ont commencé à être renversées. Le programme du gouvernement actuel se base sur une stratégie économique tout à fait contraire à la précédente, fondée sur des mécanismes d’expansion et de relance de la consommation.

 

Les discussions internes et au niveau européen sur le projet de budget de l’État pour 2016 ont, néanmoins, montré que la mise en œuvre d’une telle alternative économique et politique sera extrêmement difficile dans les circonstances actuelles de l’Europe et, en particulier, de la Zone Euro. Les ombres qui planent sur l’économie européenne et mondiale – les incertitudes dans lesquelles vivent des parties importantes des économies de la zone, notamment au sud de l’Europe, l’émergence de facteurs politiques et géopolitiques très difficiles à gérer (réfugiés, Ukraine, menace terroriste, radicalisation à l’extrême droite, etc.) et, par-dessus tout, la faiblesse évidente des mécanismes politiques européens pour faire face à tous ces défis dans un contexte de divergence économique, sociale et politique croissantes – nous font croire que le débat entre les deux conceptions antagoniques de l’économie et de la société vient seulement de s’ouvrir. Nous y reviendrons.

 

Pour aller plus loin :

 

– Fernando Vasquez est consultant en affaires européennes et ancien fonctionnaire à la Commission européenne

– La Troïka, représente les bailleurs de fonds (78 milliards d’euros) permettant au gouvernement portugais de faire face à ses responsabilités vis-à-vis ses créanciers dans un contexte d’impossibilité d’accès aux marchés internationaux à des taux raisonnables. Elle est composée par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.

 

– Le présent article s’inspire très largement de l’excellente analyse de Manuel Carvalho da Silva, José Castro Caldas et João Ramos de Almeida dans le Chapitre  » Portugal 2014: the consequences of a bailout  » dans « The State of the European Union – The new legislature : eleven challenges facing Europe« , Fundación Alternativas et Friedrich Ebert Stiftung, mai 2015 

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