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Entamée depuis 2005, la politique de sous-traitance du placement et reclassement des demandeurs d’emploi par Pôle emploi auprès d’opérateurs privés a véritablement pris son essor sous le quinquennat de N. Sarkozy. Elle a connu des inflexions mais s’est pour l’essentiel maintenue, malgré l’accumulation des évaluations montrant son manque d’efficacité. Paradoxe d’un service public de l’emploi de plus en plus sous-traité ou logique implacable d’un chômage de masse de plus en plus mal traité ?

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Le recours au secteur privé par le service public de l’emploi (SPE) en France a été initié à la fin des années 2000. Depuis la loi de Cohésion sociale du 18 janvier 2005, qui a mis fin au monopole légal de placement de l’ex. ANPE, des expérimentations ont été conduites, avant la fusion entre l’ANPE et les Assédic en 2006-2007. Mais la véritable montée en charge a été initiée au début du quinquennat de N. Sarkozy. Pôle emploi a ainsi confié à l’été 2009 l’accompagnement de quelque 320.000 chômeurs à une trentaine d’OPP (opérateurs privés de placement), à travers deux marchés, « Trajectoire emploi » pour les personnes éloignées de l’emploi et « Licenciés économiques ».

Un choix fortement teinté d’idéologie
Cette décision du service public de l’emploi de déléguer à des opérateurs privés le placement d’une partie des chômeurs entraîne une réaction immédiate des syndicats maison, qui s’opposent immédiatement à cette « privatisation » de Pôle emploi. Un aspect moins connu tient au fait que la convention collective de Pôle Emploi prévoyait un maximum de 4,5 % de salariés en contrat à durée déterminée, facteur de rigidité majeur avec la crise de 2008, qui provoque une montée du chômage. L’Inspection générale des finances (IGF) a préconisé de favoriser l’adaptation conjoncturelle des effectifs de Pôle Emploi en permettant un recours plus important aux CDD et s’est montrée convaincue de l’utilité de développer la sous-traitance.

La charge idéologique de cette évolution du SPE est aussi liée au contexte de l’élection présidentielle de 2007 : N.Sarkozy avait fait de la mise en concurrence de Pôle emploi un argument de campagne et le débat sur les différents moyens de combattre le chômage s’était fortement crispé. Pour bon nombre d’acteurs, il était important de démontrer que le secteur privé serait plus efficace que le SPE. Au contraire, les organisations syndicales se montraient très défavorables à cette évolution. Début 2007, au cours d’un colloque conjoint du COE (Conseil d’orientation pour l’emploi) et du CAS (aujourd’hui France Stratégie) sur la Sécurisation des parcours professionnels, Jean-Claude Quentin, à l’époque secrétaire confédéral de FO et membre du COE déclarait : « Les opérateurs privés coûtent trois fois plus cher que le service public de l’emploi » et « les résultats des premiers sont inférieurs à ceux du second » (dépêche AEF du 14 février 2007).

Les opinions étaient également bien arrêtées du côté des prestataires. Le cabinet Altedia était auparavant dirigé par Raymond Soubie, devenu conseiller social de N. Sarkozy (de 2007 à novembre 2010). Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha, qui se révélera plus tard être le principal gagnant de l’appel d’offres de l’été 2009, était affermi par son entrée à la commission Attali (juin 2007), formée à la demande de N. Sarkozy pour produire des recommandations afin de libérer (et libéraliser) la croissance. Lors du colloque mentionné ci-dessus, il déclarait sur la question d’une éventuelle coexistence entre service public et opérateurs privés : « les deux peuvent fonctionner » et il ajoutait : « L’évaluation [du placement par le privé] nous dira qui des deux a les meilleurs résultats » (dépêche AEF citée). Il ignorait à quel point l’avenir allait lui donner raison…

Des sources d’inspiration européennes
Si on le compare à ce qui se pratique dans d’autres pays européens, le recours à la sous-traitance en France, malgré sa récente montée en puissance, reste d’une ampleur limitée. D’après l’étude comparative menée par l’IGF, en 2008, le placement par des prestataires privés concernait 511.000 chômeurs en Allemagne, 481.000 en France et 728.000 au Royaume-Uni. Rapportés au nombre de chômeurs, tiré des statistiques de l’OCDE, ces chiffres conduisent à des ratios de 16 %, 23 % et 30 % respectivement.

En 2009, d’après l’IGF, la dépense de sous-traitance du service public de l’emploi français (349 millions d’euros) était très largement inférieure à celle du Royaume-Uni (967 millions d’euros). Le recours à des OPP pour l’accompagnement des chômeurs a été initié en Grande-Bretagne en 1998, avec un programme réservé initialement aux 18-24 ans, puis étendu à une plus large population de chômeurs (parents isolés, travailleurs handicapés, seniors…). Sous l’impulsion du gouvernement, un important marché a été lancé en juin 2011 par Jobcentre Plus, homologue britannique de Pôle emploi. Ce programme, baptisé « Work programme », vise à confier à des opérateurs privés l’accompagnement de 2,4 millions de chômeurs parmi les plus éloignés de l’emploi, sur les 7 années suivantes. Depuis avril 2011, le Royaume-Uni expérimente sous la forme de social impact bonds (obligations d’impact social) et dans le cadre d’un programme de contractualisation avec les OPP, le work programme. Le contenu des services proposés est laissé à l’entière discrétion des opérateurs mais, en contrepartie, le paiement du prestataire n’intervient que sur la base de l’impact mesuré de ces services.

En Allemagne, l’externalisation a été introduite en 2002. Les bénéficiaires de l’assurance chômage peuvent décider de recourir à un prestataire privé après six mois de chômage, grâce à une somme qui leur est allouée sous forme d’un « bon de placement », utilisable auprès des prestataires de leur choix.


Le bilan des OPP par rapport au SPE en matière d’accompagnement vers l’emploi

Voici quelques étapes marquantes de ce bilan :

Février 2007 : le Centre d’études de l’emploi publie une étude approfondie réalisée par Nathalie Georges sur « L’externalisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi : modalités d’un marché en plein essor » (Document de travail n° 81). Elle passe au crible les politiques d’externalisation menées par six pays qui ont choisi d’ouvrir leur marché de l’accompagnement à la concurrence : la France, l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, l’Australie et le Royaume-Uni. Elle identifie déjà des effets potentiellement négatifs, dont le plus important est le risque d’écrémage engendré par la rémunération au résultat : si les opérateurs privés sont payés, au moins en partie, en proportion des retours à l’emploi, ils ont en effet une incitation à prendre en charge prioritairement les personnes les plus proches de l’emploi afin de présenter de bons résultats. Elle note que « l’efficacité de l’externalisation comme politique de l’emploi (accélération du retour à l’emploi et qualité des emplois retrouvés) fait encore débat. Les rares évaluations disponibles de l’action des opérateurs privés présentent des résultats contrastés, parfois discutables sur le plan de la méthode d’évaluation employée, et ne permettent pas toujours de conclure à une amélioration significative ». Elle relève notamment que « la première évaluation menée en Allemagne (H. WINTERHAGER, « Private Job Placement Services – A Microeconometric Evaluation for Germany », ZEW Discussion Paper n° 06-026, 2006) conclut à une détérioration des chances de retour à l’emploi pour les chômeurs au sein du nouveau système mis en place ».

Début 2010 : la presse rend compte de la mise en œuvre de l’appel d’offres de l’été 2009 et relève des éléments inquiétants. On peut citer à titre d’exemple l’article d’Odile Plichon publié le 27 janvier 2010 dans Le Parisien : « les agences privées ont du mal à remplir leur mission, ce qui ne les empêche pas d’engranger les bénéfices », « une bonne idée en passe de tourner au grand n’importe quoi », « ici, ce sont des chômeurs reçus dans un hôtel miteux ou dans des locaux inadaptés ; là, des consultants, souvent inexpérimentés, sont recrutés en catastrophe pour suivre des demandeurs d’emploi par dizaines ». Elle met déjà l’accent sur l’évaluation en citant les regrets de Josiane Chevalier, de la CFDT : « On a industrialisé le recours au privé, avant même de dresser un bilan des expérimentations menées ».


Juin 2011
: Lors de son audition devant la Mission commune d’information relative à Pôle emploi du Sénat, Christian Charpy, alors directeur général de Pôle emploi, livre quelques chiffres (cités par le « rapport d’information du Sénat » publié en juillet 2011) : « Nous avons interrogé 6 000 demandeurs d’emploi qui étaient suivis par des opérateurs privés de placement et par Pôle emploi. Nous avons regardé le taux de retour à l’emploi à huit mois. Après huit mois de suivi, 44 % des personnes suivies par Pôle emploi, en convention de reclassement personnalisé (CRP), avaient retrouvé un travail contre 38 % pour les personnes suivies par les opérateurs privés de placement. Ces résultats ne me surprennent pas : nous avions observé la même conclusion dans une évaluation réalisée en 2007-2008 ».

Fin septembre 2011 : une première évaluation qualitative sur les performances comparées de Pôle emploi et des OPP est présentée aux administrateurs de Pôle emploi.

 

Fin octobre 2011 : vient le tour de l’évaluation quantitative, présentée au conseil d’administration de Pôle emploi le 25 octobre. Cette enquête, réalisée à la demande du comité d’évaluation de l’opérateur, est menée par la Dares et la direction des études et statistiques de Pôle emploi, avec l’appui de l’institut de sondage LH2 : Au total, 8.111 demandeurs d’emploi accompagnés soit par un OPP soit par Pôle emploi ont été interrogés à trois reprises, 8, 13 et 18 mois après leur entrée dans le programme. L’objectif est de « comparer les effets des dispositifs confiés aux OPP à ceux mis en œuvre par Pôle emploi », en mesurant le retour à l’emploi et la qualité du service rendu aux chômeurs. Les bénéficiaires interrogés sont entrés en accompagnement en novembre 2009 et en mars 2010, selon les deux cohortes sondées.

Selon l’étude, 52 % des chômeurs éloignés de l’emploi ayant été accompagnés par Pôle emploi (prestation « Cap vers l’entreprise ») sont en emploi (CDI, CDD ou création d’entreprise), 13 mois après le début de leur accompagnement, contre 45 % pour ceux suivis par les OPP. Pour les licenciés économiques, 57 % de ceux accompagnés par Pôle emploi sont en situation d’emploi 13 mois après, contre 49 % pour ceux suivis par un OPP. L’étude observe par ailleurs que les bénéficiaires de la prestation de Pôle emploi visant les chômeurs éloignés de l’emploi sont plus souvent orientés vers des emplois durables : 62 % sont en CDI ou en CDD d’au moins 6 mois, contre 56 % pour les OPP. Il n’y a en revanche « aucune différence » en la matière pour les licenciés économiques.

Les mises en relation des chômeurs avec des offres d’emploi sont « plus fréquentes de la part de Pôle emploi » : 80 % des chômeurs en difficulté ont reçu des offres de la part de leur conseiller Pôle emploi, contre 62 % chez les OPP. Pour les CTP/CRP, ce taux est respectivement de 64 % et 50 %. Mais l’accompagnement fait aussi la différence : 59 % des chômeurs en difficulté d’insertion ont eu au moins un entretien d’embauche suite aux offres d’emploi proposées par Pôle emploi, contre 50 % chez les OPP.

Décembre 2011 : le rapport présenté par Michel Heinrich et Régis Juanico à l’Assemblée Nationale sur « L’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe » souligne qu’en matière de retour à l’emploi, « plusieurs expérimentations conduites en France, en Suède et en Allemagne montrent que les prestataires privés ne sont pas plus efficaces que l’opérateur public ». Les rapporteurs s’appuient sur une étude comparative commandée au cabinet Euréval (« Étude comparée concernant la politique de l’emploi dans plusieurs pays européens ; étude réalisée pour la mission sur l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe », décembre 2011) et insistent notamment sur le fait que « les représentants de l’Agence fédérale pour l’emploi – service public de l’emploi allemand – rencontrés à Berlin le 7 novembre 2011, se sont montrés dubitatifs sur l’externalisation, les prestataires externes ayant finalement montré une moindre efficacité que l’opérateur public ».

Mars 2012 : le collectif ACDC (Autres chiffres du chômage), qui regroupe des syndicats de Pôle emploi, des statisticiens, des chercheurs et des associations de défense des chômeurs, dresse dans une note d’analyse trimestrielle publiée le 1er mars 2012, le bilan des évaluations menées concernant la « performance » des OPP. Cette note revient notamment sur l’un des arguments des OPP expliquant leur manque de performance par le caractère tatillon du cahier des charges de Pôle emploi. Elle s’intéresse notamment aux marchés passés par le ministère de l’Emploi (et non Pôle emploi), dont les cahiers des charges sont plus souples et les prix plus élevés, et relève les résultats mitigés de deux marchés sous-traités à des prestataires privés et gérés par le ministère de l’Emploi : la prestation « jeunes diplômés » confiée à des prestataires privés et le contrat d’autonomie. Elle cite les résultats d’une évaluation menée par la Dares sur le marché « jeunes diplômés » consistant en l’accompagnement de 9.890 jeunes chômeurs de 2007 à 2009. La Dares concluait à l’absence « d’impact significatif de l’accompagnement des OPP sur l’emploi à moyen terme » et relevait que les effets positifs de la prise en charge d’un jeune diplômé sur son accès à l’emploi durable « se réduisent au fil du temps ». Le collectif ACDC déplore ainsi que « même avec des conditions de marché plus favorables, les OPP ne sont pas plus efficaces que le service public de l’emploi ».

Janvier 2013 : la Dares publie son très attendu rapport sur « L’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi : évaluation du recours aux opérateurs privés par Pôle emploi de 2009 à 2011 », qui s’appuie sur deux ensembles de travaux : des monographies sur la mise en œuvre des prestations d’accompagnement renforcé sur la base d’entretiens de terrain menés dans huit régions, réalisées par le cabinet d’études Geste et une enquête statistique en plusieurs vagues, menée conjointement par la Dares et Pôle emploi, auprès de deux cohortes de demandeurs d’emploi. Les résultats montrent, une fois de plus, que les taux d’emploi et d’emploi durable sont plus élevés pour les demandeurs d’emploi accompagnés par Pôle emploi. Pour les demandeurs d’emploi en difficulté d’insertion, 8 mois après le début de l’accompagnement, 43 % des bénéficiaires de Cap vers l’entreprise (prestation de Pôle emploi) et 38 % des bénéficiaires de Trajectoire emploi (prestation des OPP) sont en emploi. Les écarts de taux d’emploi entre Pôle emploi et les opérateurs privés ont tendance à augmenter dans les mois qui suivent la fin de l’accompagnement : 5 points à 8 mois ; près de 9 points à 18 mois. Une fois tenu compte des différences de caractéristiques des populations accompagnées, les écarts entre Pôle emploi et les opérateurs privés sont moindres mais ils persistent. Pour les licenciés économiques, 57 % de ceux accompagnés par Pôle emploi sont en emploi 13 mois après le début de l’accompagnement contre 49 % de ceux suivis par un opérateur privé. L’écart entre Pôle emploi et les opérateurs privés a tendance à diminuer dans les mois qui suivent la fin de l’accompagnement : 8 points à 13 mois ; 4 points à 18 mois.

En 2013, quatre chercheurs renommés dans le domaine de l’évaluation des politiques de l’emploi, Luc Behaghel, Bruno Crepon, Marc Gurgand et Thierry Kamionka publient leur étude sur « L’accompagnement personnalisé des demandeurs d’emploi » (Revue française d’économie, Volume XXVIII, 2013/1). Elle revient sur les résultats de trois expériences contrôlées conduites en France de 2006 à 2010 visant à évaluer des dispositifs d’accompagnement renforcé de demandeurs d’emploi. Elle constate que « au regard de leur coût, l’efficacité des opérateurs privés de placement semble faible ».

Fin novembre 2013 : Pôle emploi lance une consultation sur le recours aux OPP « pour alimenter ses travaux et la réflexion de son conseil d’administration ». L’opérateur souhaite « tenir compte » des résultats des évaluations, des comparaisons internationales concernant le recours aux opérateurs externes dans les autres services publics de l’emploi et des observations formulées par les opérateurs de placement. Cette consultation « doit permettre de formaliser la doctrine de recours par Pôle emploi aux opérateurs de placement ».

Décembre 2013 : la Dares publie une étude sur « L’accompagnement des demandeurs d’emploi : enseignements des évaluations » qui rappelle que « les études les plus crédibles semblent converger sur le fait que le recours aux opérateurs privés est moins efficace pour le retour à l’emploi que le recours à l’opérateur public pour le même type d’accompagnement ». Elle ajoute : « Les rares analyses coûts-bénéfices ou chiffrages financiers se révèlent en faveur de l’accompagnement par le service public de l’emploi : les ressources affectées aux opérateurs privés paraissent offrir un moins bon rendement que celles affectées aux services publics pour l’emploi (employment zones au Royaume-Uni, recours aux opérateurs privés en 2007-2008 par rapport au dispositif Cap vers l’entreprise en France) ».

Juillet 2014 : la Cour des Comptes publie un rapport sur Pôle emploi et épingle « des faiblesses et des dysfonctionnements importants » dans le dispositif « insuffisamment piloté » de gestion de ses sous-traitants privés. Elle pointe les moindres performances des OPP par rapport aux reclassements opérés par Pôle emploi.

L’absence de prise en compte de ce bilan
La convergence de ces éléments de bilan aurait dû conduire à une réduction drastique, voire un arrêt de la politique de sous-traitance. Pôle emploi aurait pu utiliser le budget alloué aux OPP à renforcer ses capacités internes (dont un rapport de l’IGF a montré le sous-dimensionnement comparé à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne) et surtout à améliorer ses pratiques d’accompagnement. Or cette politique s’est poursuivie, même si elle a connu un infléchissement de nature qualitative début 2014 (Pôle emploi a décidé de faire désormais appel aux opérateurs privés pour s’occuper des demandeurs d’emploi les plus autonomes, et non plus pour les demandeurs d’emploi les plus éloignés de l’emploi). Comment expliquer cette déconnexion entre l’évaluation et la pratique ?

1) Le fort contenu idéologique de la décision a continué de peser (voir ci-dessus).

2) La grande misère de la culture de l’évaluation en France. Dans leur rapport sur « L’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe », présenté à l’Assemblée Nationale (15 décembre 2011), Michel Heinrich et Régis Juanico soulignent que l’Allemagne et la Suède peuvent être considérés comme des pays plus avancés dans le domaine de l’évaluation de l’impact des politiques de l’emploi : « en Allemagne, l’Institut de recherche du service public de l’emploi (IAB) joue un rôle clé. De plus, la fondation IZA (Institut de recherche sur le travail) a acquis une renommée internationale dans le domaine de l’évaluation des politiques de l’emploi et contribue très efficacement à la capitalisation des leçons apprises grâce aux évaluations. Par ailleurs, en Suède, une organisation publique (Institut pour l’évaluation de la politique d’emploi) finance, coordonne et diffuse une grande proportion des travaux d’évaluation conduits dans le pays ». Benoît Roger-Vasselin, à l’époque président de la commission des relations du travail au Medef, avait relevé durant son audition devant la commission sénatoriale sur Pôle emploi, le peu d’intérêt des acteurs vis-à-vis de l’évaluation (Rapport d’information du Sénat, juillet 2011, Tome 2) : « Le comité de suivi de la convention tripartite [de Pôle emploi], qui devait se réunir deux fois l’an, n’a été convoqué qu’une fois depuis 2009. Les indicateurs fixés par cette convention ne nous sont pas régulièrement transmis et concernent surtout les moyens alloués à Pôle emploi et non les résultats obtenus. Le rapport annuel prévu par la même convention n’a jamais été établi ».

3) L’incapacité française à évoluer vers un modèle de « flexisécurité ». Le rapport comparatif de l’IGF montre que les moyens consacrés en France au service public de l’emploi sont inférieurs à ceux constatés en Grande-Bretagne ou en Allemagne (Voir : Véronique Hespel, Emmanuel Monnet et Pierre-Emmanuel Lecerf, « Étude comparative des effectifs des services publics de l’emploi en France, en Allemagne et au Royaume-Uni », rapport n° 2010-M-064-02 de l’Inspection générale des finances).

4) L’insuffisante reconnaissance du travail d’accompagnement. François Fontaine et Franck Malherbet, chercheurs au Crest, ont montré dans leur ouvrage « Accompagner les demandeurs d’emploi » publié aux Presses de Sciences Po en décembre 2013, que le rôle des conseillers de Pôle emploi est « sous-estimé ». En effet, la tâche du conseiller Pôle emploi est « essentielle pour orienter les demandeurs d’emploi, mais elle est à la fois complexe et subjective ». Selon eux, « l’accompagnement, et plus particulièrement celui des chômeurs les plus éloignés du marché du travail, peut requérir plus de flexibilité que le système actuel n’en offre. De ce point de vue, les opérateurs privés de placement apparaissent comme un moyen complémentaire aux services proposés par le service public de l’emploi », même si « les résultats ne sont pas encore à la hauteur ». Dans un entretien accordé à l’AEF le 17 décembre 2010, deux ans après le conseil d’administration fondateur de Pôle emploi du 19 décembre 2008, Christian Charpy, alors directeur général, revenait sur les principales réalisations de Pôle emploi, ses difficultés, et déclarait : « C’est vrai qu’avec la fusion, la surcharge de travail, et aussi le recours massif aux OPP, on a un peu délaissé l’accompagnement interne au sein de Pôle emploi »…

Dans sa note réalisée pour le Centre d’analyse stratégique (désormais France Stratégie), Camille Guézennec soulignait que « bien que l’on sache encore peu de choses sur les leviers précis de son efficacité, l’accompagnement a des effets positifs et significatifs sur le retour à l’emploi » et ajoutait que parmi les grands axes de réforme envisagées ou conduites en Europe qui peuvent favoriser des gains d’efficacité, il faut considérer « l’assouplissement des « parcours types » vers l’emploi et la consécration du rôle pivot du conseiller, véritable pilote d’un accompagnement sur mesure ». Elle montre comment « l’Allemagne et le Royaume-Uni se sont engagés dans la voie d’une autonomisation des conseillers, leur laissant une plus grande latitude dans la définition des parcours des demandeurs d’emploi » (« L’accompagnement des demandeurs d’emploi : bilan d’une politique active du marché du travail en Europe et enseignements pour la France », Note d’analyse No 228, juin 2011). Cette évolution vers des marges de manoeuvre plus importantes laissées aux conseillers pour dimensionner et cadrer leur accompagnement a été intégrée dans le Plan stratégique Pôle emploi 2015.

Les solutions émergentes en Europe suggèrent qu’un axe de réforme efficace serait la consécration du rôle pivot du conseiller, véritable pilote d’un accompagnement sur mesure. Une étude publiée par le Groupe Alpha, l’un des principaux OPP au travers de sa filiale Sodie, mettait l’accent sur la proximité des pratiques professionnelles : « une condition majeure de performance réside dans la qualité de la relation nouée entre l’opérateur privé de placement et Pôle emploi, que ce soit au niveau individuel ou organisationnel. Au niveau individuel, les consultants RH comme les Responsables de Projet ont d’autant plus de facilité à résoudre les difficultés opérationnelles qui leur sont posées que les relations interpersonnelles sont bonnes ou qu’ils ont travaillé à un moment donné de leur carrière professionnelle chez l’opérateur public ou avec des personnes qui y travaillent » (« Un OPP sur le divan : l’évaluation des pratiques d’accompagnement et de reclassement des demandeurs d’emploi par Sodie », La Lettre du Centre Etudes & Prospective du Groupe ALPHA, N°9, février 2012).

5) Le manque de remise en cause de ses pratiques par Pôle emploi. Lors de son audition devant la Mission commune d’information relative à Pôle emploi, Christian Charpy, alors directeur général de Pôle emploi, déclarait (21 juin 2011) : « Concernant les remarques et les critiques exprimées par les opérateurs privés de placement et de formation, je trouve assez singulier que des prestataires que nous payons considèrent que nos demandes ne correspondent pas à leurs souhaits. Objectivement, Pôle emploi ne se situe pas dans un rapport de partenariat avec les opérateurs privés, mais dans une logique d’achat de prestations ». Le cadre était posé…

6) Pôle emploi est confronté au risque d’évoluer vers un rôle d’instrument de rotation de la main-d’œuvre. Gaby Bonnand, à l’époque président de l’Unédic, s’inquiétait déjà des effets de la rotation croissante des emplois mise en évidence par les statistiques de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), lors de son audition devant la commission de l’Assemblée nationale sur « L’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe » (décembre 2011) : « hors intérim, 19 millions de recrutements en 2010, soit le nombre de déclarations uniques d’embauche (DUE) recensé par l’Acoss, et 32 millions avec l’intérim. Sur 19 millions, 12 millions sont des contrats de moins d’un mois. Il y a dix ans, les chiffres étaient deux fois moindres et on créait trois fois plus d’emplois nets ». Depuis, le raccourcissement des contrats s’est accéléré, ce qui pose la question du rôle de Pôle emploi et des OPP. « Peut-on vraiment, comme on envisage de le faire, considérer comme « emploi durable » une succession ininterrompue de contrats pendant six mois, sur une période totale de sept mois ? Non. Que Pôle Emploi devienne l’outil qui pourvoit de tels postes est problématique, » ajoutait Gaby Bonnand. « Autrement dit, si l’objectif de Pôle Emploi est uniquement le retour à l’emploi, Pôle Emploi deviendra un simple instrument de rotation de la main-d’œuvre. » Une politique active de retour à l’emploi doit donc avoir pour corollaire le développement d’emplois de qualité.

Contrairement aux idées reçues, la France a fortement réformé son marché du travail ces dernières années (voir « Marché du travail : réforme impossible ? »). Mais les réformes, pour être comprises et acceptées doivent être conduites dans un cadre méthodologique rigoureux, reposant sur des évaluations soumises au débat public et… suivies d’effets.

 

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.