par Diana Cooper-Richet
À l’heure où l’identité nationale est au cœur des discussions et où les dangers de l’immigration sont devenus des arguments électoraux, n’est-il pas temps de rappeler ce que de nombreux « étrangers », venus travailler dans l’industrie, ont apporté à la France et aux Français qui, maintenant, s’approprient sans l’ombre d’une hésitation leur nom, souvent difficiles à prononcer, et leur célébrité.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 13 mars 2017
Raymond Kopa, star du football mondial récemment disparu à l’âge de 85 ans, est de ceux-là, tout comme son ami l’ailier droit de Lens, Maryan Wisniewski, pour n’évoquer que ces deux footballeurs issus du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.
La pratique du ballon rond est arrivée dans le bassin houiller, en provenance de l’Angleterre proche, dans les toutes premières années du XXᵉ siècle. D’abord encouragée par les patrons des entreprises textiles de la région, dans le but de moraliser et d’occuper sainement leur main-d’œuvre, celle-ci gagne les compagnies houillères dont les directions cherchent, elles aussi, à détourner leurs ouvriers d’une fréquentation trop assidue des estaminets dans lesquels, de surcroît, se réunissent les syndicats.
Dans les années 1920, chaque commune minière possède son stade et son équipe de football, voire même son entraîneur. L’ensemble est le plus souvent chapeauté par la compagnie, que représente l’un de ses ingénieurs. Le Racing Club de Lens – RC Lens – est l’un des exemples les plus représentatifs de cette politique de promotion patronale du sport dans les bassins miniers.
Jusqu’en 1983, les Houillères étaient propriétaires du célèbre stade Bollaert-Delelis de Lens, dans lequel les mineurs venaient fréquemment assister aux matchs avec leur casque de gueules noires sur la tête en signe de soutien à l’équipe locale.
Soulignons aussi que le fameux maillot des joueurs du RC Lens est censé symboliser, avec le rouge, le sang trop souvent versé par les travailleurs du fond et, avec l’or, le minerai qu’ils arrachent à la paroi rocheuse.
Entre la Première Guerre mondiale et les années 1979, les compagnies, puis Charbonnages de France ont fait appel par vagues successives à des travailleurs immigrés : des Italiens, des Espagnols, des Polonais, des Marocains et même des Chinois, comme à La Machine dans le département de la Nièvre. Ces hommes ont eu, comme leurs camarades français, la possibilité de « profiter » des œuvres patronales – dans le domaine de la musique et du sport principalement. Certains d’entre eux s’y sont distingués.
Dans l’imaginaire collectif contemporain, c’est le foot qui retient l’attention. Joueur mythique, Raymond Kopa, de son vrai nom Kopaszweski, est né à Nœux-les-Mines en 1931 dans une famille polonaise. Son père, mineur de fond, a eu la chance de ne pas être expulsé de France de manière expéditive en 1934, comme nombre de ses compatriotes avec en tout et pour tout quarante kilos de bagages, à un moment où les compagnies en pleine récession décident de se délester d’une partie de leur personnel, les étrangers étant bien entendu les premiers concernés. Comme la plupart des jeunes garçons des bassins miniers, espaces quasi autarciques de mono-industrie, Kopa est destiné à travailler à la mine dès 14 ans, âge légal pour l’embauche. C’est au puits numéro deux de Noeux qu’il fait, en 1945, sa première « descente aux enfers » telle qu’elle a été vécue et décrite par Jules Vallès dans Le Figaro du 16 novembre 1866.
Pendant un peu plus de deux ans, il « roule » le charbon dans des galeries à 600 mètres de profondeur. Sa carrière de mineur, bien que courte au regard de la plupart de ses camarades, est considérablement plus longue que celle de Maurice Thorez – 206 jours de travail au fond – pourtant présenté par le PCF comme un véritable prolétaire. Kopa, victime d’un accident qui lui vaut d’être amputé de deux doigts – le pouce et l’index de la main gauche -, est très vite affecté à des travaux de chaudronnerie, considérés comme une voie de garage par les mineurs. Ce sont ses talents de dribbleur qui le sauvent et le promeuvent au rang de champion national et international du ballon rond.
Ainsi, le paternalisme censé protéger les ouvriers et, a fortiori, les compagnies des dangers du syndicalisme et des effets néfastes de l’abus d’alcool – en effet, le travail du fond dessèche les muqueuses – est-il à l’origine de la réussite spectaculaire d’un certain nombre d’immigrés ou de fils d’immigrés, tel Raymond Kopa, auxquels il n’était peut-être pas prioritairement destiné.
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