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danielle kaisergruber

Il y a quelques semaines, Metis publiait un dossier « Combien de France dans le pays de France ? » avec des articles de Louis Gallois, Thierry Pech, Martin Richer, Pierre Veltz…La question est plus que jamais d’actualité en ces temps d’élections (suite en juin). Alors évidemment entre les deux tours des élections présidentielles, il était facile de faire des titres « Macron-Le Pen : les deux France ». Oui mais lesquelles ?

 

Avec la passion que nous avons aujourd’hui pour les cartes qui fonctionnent comme des images intelligentes, on peut voir se dessiner une France de l’ouest et du sud-ouest qui a surtout voté Macron, et une France du Nord et de l’Est massivement Le Pen (Le Monde, 25 avril 2017). S’y ajoute le littoral méditerranéen : ce sont alors des facteurs historiques (décolonisation et suites de la guerre d’Algérie) qui peuvent aider à comprendre.

On peut aussi opposer la France des villes, surtout celle des grandes métropoles, et la France rurale. Mais il faut alors y ajouter les territoires péri-urbains que l’on peine à définir positivement et à qualifier : le mode de vie y est urbain mais l’éloignement de la ville dense riche en services y rend pour des habitants à petits revenus la vie quotidienne difficile et pesante. Et pour ne pas simplifier à l’extrême les analyses électorales, il faudrait rajouter la composition des votes Jean-Luc Mélanchon, souvent très urbains et pas toujours « populaires ». Mais souvent le fait des jeunes générations : et il est vrai que les jeunes (pas tous) souffrent beaucoup du chômage de masse, des entrées longues et difficiles dans la vie active, des enchainements de petits boulots merdiques. Et dans toutes les familles de tous types, il y a toujours quelque part un jeune en galère. Cela diffuse une certaine sensibilité.

Les villes attirent des habitants et des actifs (salariés ou non) de niveau de formation élevé, des professions plus ouvertes sur l’extérieur, sur l’Europe et sur l’international. Cela aussi créé des lignes de fractures. Celles qui ont été observées aux Etat-Unis dans le vote Trump : Pierre Veltz dans son article de Metis « Fractures sociales, fractures territoriales ? » du 20 Février 2017, « ce tournant métropolitain des économies ». On pourrait parler de l’exception du vote de Paris intra muros ou de celui de Londres lors du référendum sur le Brexit. On entend dire que « Londres devrait se séparer du Royaume -Uni ».

 

Ce que l’on ne peut pas facilement mettre sur une carte, c’est la nature, les caractéristiques, les couleurs propres du travail que fait chacun. Non pas seulement la nature des emplois : les précaires versus les stables, les fonctionnaires versus les salariés du privé… Il faut analyser aussi ces oppositions-là : Martin Richer le fait sur l’axe des emplois abrités et des emplois exposés à la concurrence internationale (« Emplois exposés ou abrités : 2 France, 3 Europe ? », Metis,13 mars 2017). Mais il y a travail et travail : celui qui a du sens et celui qui n’en a pas, celui qui construit une image de soi-même et celui qui ne peut rien construire du tout. L’article de Denis Maillard (« « Back office » contre « front office », quel rôle joue le travail dans le vote en France ? »), explore de manière saisissante cette dimension peu souvent évoquée en différenciant le travail de back office dans ces activités de service indispensables mais qui ne se voient pas (livreurs, personnes chargées de l’entretien ….) et le travail de front office qui offre reconnaissance et visibilité. Le mépris français pour les activités de services n’arrange rien.

 

Les inégalités sont nombreuses dans nos sociétés, au point qu’il devient difficile de les hiérarchiser. Mais les inégalités territoriales par exemple ne sont pas des inégalités dans la redistribution financière : les minimas sociaux, les outils de la solidarité… sont les mêmes partout, les travaux sur les effets de la décentralisation ne montrent pas d’inégalités massives entre départements ou entre régions et pourtant la pauvreté ne s’est pas développée partout de la même manière.

Alors il faut chercher ailleurs des éléments pour comprendre les enseignements de nos votes : du côté des « grandes tendances anthropologiques » comme le fait Hervé Le Bras (« La France inégale : 45 ans de migrations intérieures des classes sociales », The Conversation, à partir du 2 avril 17) du côté des « Inégalités de rapport à l’avenir » comme l’exprime Thierry Pech en mettant en évidence la question de la représentation : « Ce sont presque toujours les mêmes qui participent, se syndiquent, militent et s’engagent dans la société civile » (« Les inégalités de rapport à l’avenir », Metis, 20 février 2017).

 

On sort alors du déterminisme économique ambiant : les choses se jouent aussi et fortement dans la culture, dans le rapport au passé et au futur (pas au sens « être cultivé » mais au sens de la possibilité de la culture, de la création, de l’éducation populaire), dans les idées, dans les images et l’ouverture aux autres. Ce combat de valeurs importe. Les choses se jouent beaucoup à l’école. Entreprendre de lutter contre les inégalités de rapport à l’avenir, avoir le droit de se projeter, d’ouvrir des possibles et donner des chances au plus grand nombre possible. Il serait de très mauvais goût de bouder devant l’audace positive : nous avons bien droit à l’optimisme ! En France, et en Europe.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.