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danielle kaisergruber

On nous le dit sur tous les tons : l’avenir c’est les compétences, l’augmentation des compétences de tous et de tout un chacun. Certes, la France se caractérise par une forte proportion d’adultes ayant de faibles compétences en « littéracie et numéracie », comme on dit maintenant. Certes, les diplômés sont davantage protégés du chômage que ceux qui ne le sont pas. Et dès que les affaires reprennent, de nombreuses entreprises ne trouvent pas les compétences qu’elles recherchent. Et les compétences transversales (soft skills) prennent une place de plus en plus importante, en particulier les compétences numériques.

 

Deux grandes réformes qui figureront dans la même loi sont attendues dans les semaines qui viennent : celle de l’apprentissage et celle de la formation professionnelle des adultes. Et en parallèle, un grand programme de « rattrapage » est mis en place par un « Haut Commissariat à la transformation des compétences » pour les chômeurs et les jeunes : il se traduit pour une part importante par des conventions avec les Régions en leur apportant des crédits supplémentaires pour des actions de formation de demandeurs d’emploi, prolongement de ce qui se faisait déjà et qui est dans leurs compétences. Certes la formation pour les demandeurs d’emploi est essentielle et a été le plus souvent le parent pauvre (pas par manque d’argent, mais parce que les conseillers de Pôle emploi répugnaient à s’engager dans ces affaires de formation bien compliquées et chronophages…).

Mais un coup d’œil aux évaluations du programme « 500 000 formations supplémentaires pour les demandeurs d’emploi » décidé en 2015 montre des résultats mi-figue mi-raisin : une grande réussite quantitative (objectifs atteints !) par une bonne mobilisation de Pôle emploi (« le réflexe formation est revenu »), de la plupart des Régions, mais pour aboutir à une très faible augmentation des taux de retour à l’emploi. Il est vrai que les formations ont embarqué beaucoup de demandeurs d’emploi de longue durée et de personnes très « éloignées de l’emploi ». Mais, surtout, les travaux concluent à l’absence de toute dimension d’innovation : « l’offre de formation a été étirée » a dit curieusement un expert lors de la dernière Université de la formation professionnelle… 

 

Le PIC (Plan d’investissement compétences) mis en œuvre de manière super rapide doit aussi comporter une dimension d’encouragement des innovations et des expérimentations… À suivre. Alors que l’on sait depuis longtemps que pour les personnes les plus en difficulté par rapport à l’emploi, seules les formations comportant une réimmersion dans le travail et dans des collectifs, sont efficaces, on continue à « envoyer » les personnes en stage. C’était déjà l’un des constats des évaluations des actions publiques conduites lors de la fermeture de Moulinex en 2002 !… Alors bienvenue aux innovations, il serait temps !

Décidée dans les grandes lignes, une réforme de l’apprentissage (après « concertation ») qui appelle un complément dans la transformation des filières professionnelles scolaires et des lycées professionnels. Ça, c’est le boulot du ministre de l’Éducation.

Et, depuis quelques mois, une négociation entre les partenaires sociaux sur la formation continue des adultes qui a abouti : bon le résultat n’est pas un « big bang » (pour reprendre l’expression utilisée par la ministre du Travail), mais on sent bien que les partenaires ont voulu conserver la logique choisie en 2013-14 : donner la main aux personnes sur leur parcours par des droits individuels, assurer et professionnaliser leur accompagnement et renforcer la visibilité pour tous des évolutions du travail, des emplois et des compétences nécessaires. Un des acquis de la négociation : l’élargissement de ce que l’on peut entendre par « action de formation » (dans et par le travail, à distance et en ligne, par des alternances…). Le résultat de la négociation n’est donc pas renversant, toute la complexité du système est soigneusement conservée. De quoi donner envie au gouvernement de faire des « courts-circuits » (voir dans Metis : « La formation, remède miracle ?« ) : c’est ce que vient d’annoncer Muriel Pénicaud qui garde l’architecture du système, mais l’épure considérablement. On peut regretter qu’ayant voulu jouer le jeu de la « négociation sociale », la copie soit corrigée aussi vertement !

Et voilà que, plus que jamais, la formation professionnelle est un grand chantier de travaux : gageons que les acteurs ne manqueront pas de faire des propositions pour y tenir leur place…

 

Pour l’essentiel, les liens entre formation et travail ne sont pas assez pris en compte : l’absence totale de la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) le montre. Et pourtant voilà bien une manière tout à fait originale en Europe de reconnaître, à égalité de valeur avec un diplôme, ce que l’on apprend dans le travail, une manière aussi d’identifier les compétences acquises et celles qui peuvent rester à acquérir.

Conclusion : pour tous (ou presque) les acteurs concernés, l’achat de formations en masse (de manière prescrite ou sur sa propre initiative, en ligne ou pas) résume et épuise ce qu’est la formation, comme s’il ne s’agissait que d’envoyer le plus grand nombre possible de gens en stages de formation. Alors qu’il s’agit d’ouvrir pour tous le plus grand nombre de possibilités de parcours et d’accompagner chacun pour répondre à ses besoins de compétences (compte tenu de ce qui a déjà été acquis) et à ceux de l’économie et de la société. Et c’est d’abord dans les entreprises que se construisent les parcours.

C’est une affaire d’égalité de possibles, d’égalité de vies, car ce sont les personnes les moins diplômées, les moins qualifiées qui ont les conditions de travail les plus difficiles et les conditions d’emploi les plus précaires (les fameux contrats hyper courts qui devraient être pénalisés dans le cadre de la réforme de l’assurance-chômage). Les inégalités de condition et l’inégalité des chances ne doivent pas être opposées, elles se combattent en même temps, et surtout tout au long de la vie.

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.