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Le 21 juin dernier, l’Association française pour la réflexion et l’échange sur la formation (AFREF) organisait un séminaire dans la série des « jeudis de l’AFREF » sur le thème : « Se former, c’est aussi travailler ! Analyse des liens entre travail et formation ». Conduite en deux étapes, la première consacrée à des retours d’expériences et la seconde à des réflexions plus générales, et en présence d’une soixantaine de participants pour la plupart praticiens dans le domaine de la formation, le séminaire s’est révélé particulièrement riche et stimulant.

 

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Il s’agissait d’abord de bien cerner l’objet du débat en partant des profonds changements intervenus depuis 20 ou 30 ans, en identifiant quelques-unes des caractéristiques de ce qu’est aujourd’hui le travail tel qu’il amène les formateurs à reconsidérer leurs approches face aux formés. Le besoin d’une théorie du travail se faisait sentir et certains intervenants en esquissaient les contours : « à tous les niveaux de qualification, le travail est un engagement », disait Anne-Lise Ulmann, Maître de conférences au CNAM. Plus que jamais, il ne se confond pas avec l’emploi, et l’écart augmente entre travail prescrit et travail réel. L’exemple en était donné de l’agent d’accueil d’une institution de formation qui occupe un emploi basique d’accueil, mais met en œuvre des compétences pédagogiques du fait des connaissances qu’il a acquises des comportements et des personnalités des étudiants qu’il rencontre jour après jour ; compétences qui pourraient être mobilisées utilement par l’institution et donner lieu à une formation adaptée, mais qui restent ignorées faute d’avoir été repérées.

 

Aujourd’hui, comme le soulignait Christian du Tertre, Directeur scientifique du laboratoire d’intervention et de recherche ATEMIS, la généralisation des activités de services dans tous les domaines fait que de plus en plus, les travailleurs sont confrontés à des clients. Le travailleur est aussi membre d’une équipe au sein de laquelle les interactions voire les conflits jouent un rôle majeur. Les rythmes de travail se sont accélérés, le temps s’est raccourci, y compris le temps de penser. La révolution digitale est passée par là et les nouvelles technologies de communication sont omniprésentes (y compris dans les salles où les formés continuent à travailler avec leur smartphone en même temps qu’ils suivent les exposés des formateurs).

 

Globalement le sens du travail s’est dilué. « Il ne s’agit plus d’exécuter une tâche, mais d’intervenir dans une activité de régulation » où l’engagement personnel est requis, la responsabilité assumée et les dimensions affectives multiples, tel que le relatait Marc Guyon, chercheur associé au CNAM. Pour lui, cette situation est aussi porteuse de risques pour l’individu. À l’inverse, tout ceci peut constituer « un boulevard pour l’émancipation » comme le proposait Corinne Savart-Debergue, Formatrice et Responsable d’un chantier d’insertion « Petite enfance », à propos du nouveau référentiel de qualification introduit à la rentrée prochaine pour le CAP éponyme. Mais cette émancipation répond-elle bien aux besoins de l’apprenant ou n’est-elle pas plutôt une injonction de l’institution, à moins d’être les deux à la fois ?

 

Comme le suggérait Jean-Marie Bergère, il convient « d’éviter de survaloriser cet engagement subjectif », il n’est pas donné à tous d’entretenir « un rapport signifiant à son travail », et l’estime de soi (dans le travail) ne va pas de soi. D’autant que le travail s’exerce maintenant dans des formes, des conditions et des environnements de plus en plus diversifiés – du fonctionnariat jusqu’à l’ubérisation – et porteurs de valeurs spécifiques où se jouent les rapports à la société et au politique. Ces contextes vont influencer la façon dont chacun, seul devant ses choix, va produire ses propres valeurs et le défi est gigantesque de parvenir à former des citoyens responsables dans une démocratie qui ne devienne pas « illibérale ».

 

Dans ce contexte, de nouvelles compétences transversales sont requises ; il s’agit en particulier de la capacité de chacun à se distancier de l’exécution des routines du travail, à exercer son discernement, à verbaliser les actions y compris celles porteuses de désagrément, à décrire et même écrire les situations auxquelles on est confronté y compris dans le cadre de l’équipe, « à mettre en mots pour mettre en valeur ». Et tout ceci vaut bien entendu également pour le travail des formateurs.

 

Cela vaut plus largement pour les politiques d’éducation et de formation qui doivent être repensées radicalement, notamment au niveau des relations entre formation initiale et formation continue, de la conception et des modalités de la formation continue, du rôle des diplômes (toujours trop prégnant) et de la certification dans ces nouveaux dispositifs appelés à promouvoir la formation tout au long de la vie, comme le formulait Jean-Marie Bergère. Le travail n’est pas naturellement formateur, disait-il, mais la formation en situation de travail a un rôle majeur à jouer.

 

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Des changements profonds ont été engagés pour certains depuis près de 20 ans comme la VAE avec la prise en considération des acquis de l’expérience au même titre que les savoirs scolaires dans l’obtention des diplômes et avec la nécessité pour le candidat de décrire et de verbaliser ses expériences. (Mais les développements de la VAE restent encore embryonnaires). Plus récemment, les compétences transversales ont été introduites dans les programmes éducatifs notamment dans le cadre du socle commun que chaque élève doit avoir acquis en fin de collège. (Mais ce socle s’est enrichi de connaissances diverses où les compétences transversales trouvent difficilement leur place) Quant aux dispositifs de formation « en situation de travail » ou en « milieu de travail » elles restent en France beaucoup moins développées que dans les pays voisins et concurrents (Metis, « Se former en milieu de travail en France et en Europe », Jean-Raymond Masson octobre 2017). Enfin des travaux récents du CEDEFOP ont souligné les limites de la recherche française en matière de pédagogie dans le domaine de la formation professionnelle, notamment sur la question de la « formation centrée sur l’apprenant ».

 

La présentation par Corinne Savart-Debergue donnait une idée des obstacles à surmonter pour adapter les systèmes de formation. C’est seulement à la prochaine rentrée en septembre 2018 que le nouveau référentiel du CAP Petite enfance va être mis en œuvre : il va imposer 20 heures en situation de travail (sur les 26 heures hebdomadaires de formation), c’est-à-dire dans des crèches, et en même temps rompre avec la tradition de l’usage des poupons. C’est une véritable révolution pour beaucoup d’enseignants/formateurs désorientés par ce nouveau référentiel et dont la discipline va devoir s’intégrer dans un ensemble « professionnalisé ».

 

Plus généralement, le travail des formateurs va devoir prendre en compte ces situations de travail de plus en plus différenciées et en particulier les questions des valeurs qui s’y jouent. Pour Anne-Lise Ulmann il est essentiel de travailler sur des cas comme le fait déjà le CNAM. Au-delà, Christian Du Tertre suggère le développement d’espaces de réflexivité où l’on discuterait les retours d’expérience et où la parole devrait être le plus libre possible, y compris dans les émotions que les situations de travail provoquent. Il y a là un enjeu majeur de recherche et développement et un défi pour les institutions concernées.

 

Beaucoup de questions à la fin d’un séminaire aussi riche. Et d’abord l’idée de reprendre la question posée dans l’autre sens : « est-ce que travailler ce n’est pas aussi se former ? », comme le suggère la distinction largement admise (mais absente des débats) entre apprentissages formels, non formels et informels. Si l’on dit que formation et travail sont indissociables et si l’on veut promouvoir la formation en milieu (ou en situation) de travail, ne devrait-on pas d’abord cerner de plus près ces apprentissages non formels et/ou informels qui se constituent sur le lieu de travail, en l’absence de tout formateur patenté, et qui forment selon de multiples études la part essentielle de la qualification ? Et si l’on aborde les questions des valeurs et du politique et du rôle que peut avoir la formation dans ce contexte, ne faut-il pas convoquer aussi la formation initiale et le système éducatif dans son ensemble ? Quelques questions majeures qui pourraient nourrir les espaces de réflexivité souhaités par Christian Du Tertre en même temps que la rédaction du cahier des charges de l’Agence France Compétences prévue dans le projet de loi sur la formation professionnelle.

 

Merci à l’AFREF de les avoir nourries.

 

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.