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On ne plaisante pas avec la technique. Un geste hésitant et la piqûre font mal. Une mauvaise position et on ne parvient pas à redresser le patient hémiplégique. Un stéthoscope mal placé et il reste muet. Une utilisation du SHA (prononcer « chat » et comprendre « solution hydro-alcoolique ») trop rapide et l’hygiène n’est plus garantie. Nicolas Philibert, dans son documentaire tourné à l’Institut de formation en soins infirmiers de la Croix-Saint-Simon à Montreuil, filme avec précision comment une quinzaine de jeunes gens, filles et garçons, apprennent ces gestes. Aucun n’est naturel. Qu’on soit droitier ou gaucher, il faut beaucoup s’entraîner.

 

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Nous découvrons en même temps qu’eux l’extrême diversité des actes qu’une infirmière ou un infirmier doit accomplir. À l’entraînement, sur un mannequin ou sur un collègue dans le rôle du malade, on peut rire de ses tâtonnements et hésitations, mais en vrai, on n’a pas le droit à l’erreur. De retour de stages – ils sont nombreux tout au long des trois ans que dure la formation -, ils disent tous le poids de cette responsabilité, la pression qu’ils ont ressentie. Le code de déontologie de la profession retient comme principe la qualité du soin au patient et exige en retour qu’aucun geste ne soit accompli pour complaire aux intérêts des laboratoires et ne soit rémunéré par eux. Il dit aussi que cette qualité des soins ne doit pas être bradée. On n’accomplit pas la prescription à moitié pour gagner du temps. On ne bâcle pas parce qu’un collègue est en arrêt maladie…

 

Quelques scènes du film montrent ces élèves infirmiers pendant ces stages qu’ils accomplissent en milieu hospitalier dans les services les plus divers, de la psychiatrie à l’oncologie en passant par la chirurgie et les urgences. Il n’est pas facile pour ces jeunes en formation d’avouer que, oui, c’est bien la première fois qu’ils retirent en vrai les fils après une opération… Dans le film les patients semblent l’accepter avec le sourire. On peut imaginer que ceux que le prennent mal ont été réticent à accepter la caméra dans leur chambre !

 

La troisième partie du film est consacrée au récit que ces élèves font d’un stage crucial puisqu’il a lieu pendant la troisième et dernière année d’étude. On n’y parle plus technique, mais émotions. Ce n’est plus la qualité ou la pertinence technique des soins qui est en cause. La pression – ils emploient tous ce mot – naît de ce que la relation avec les patients exige. Comment se comporter, comment accepter d’être touché, d’être affecté par la douleur, la détresse, l’intimité, la mort, sans se perdre ? Certains racontent qu’en situation, ils pensent avoir trouvé les mots justes, quand d’autres ne parviennent pas à retenir leurs larmes. En retour, les mots rassurants des responsables de formation paraissent bien insuffisants. Non pas qu’ils recommandent de s’endurcir ou de jouer l’indifférence, mais plutôt qu’au fond, ils sont eux-mêmes démunis. Ils ne savent pas très bien quoi dire sur ce qui sera pourtant au cœur de l’exercice du métier auquel ils forment ces jeunes. Significativement ces retours d’expérience ont lieu en tête à tête et jamais collectivement, empêchant ainsi de faire d’une question personnelle une question professionnelle.

 

Par ailleurs, le stage n’est pas seulement l’occasion d’être confronté aux patients. C’est aussi la découverte du milieu hospitalier, du travail en équipe, des relations avec les autres professionnels du soin. Certains disent que c’était vraiment super, qu’ils ont noué des liens durables avec des collègues et se sont sentis soutenus et guidés. D’autres disent qu’ils voulaient partir, que l’ambiance était exécrable, qu’ils se sont sentis rejetés. On n’en saura pas plus.

 

Au début du film, on comprend que le métier est composé de trois éléments : « la technique, la paperasse et la relation ». On comprend aussi au fur et à mesure du déroulement de leur formation, qu’elle leur permettra d’acquérir la dextérité et la précision manuelle nécessaire, mais qu’ils ne découvriront les conditions d’exercice de leur profession, exigences humaines, matérielles, bureaucratiques et financières réunies, qu’en situation. On comprend aussi que l’essentiel de ce qui se joue dans la pratique du soin se noue dans la relation entre le patient et les professionnels les plus présents auprès de lui, infirmières ou infirmiers. Ceux-ci semblent bien seuls, sans le secours de la technique ou de la théorie, lorsqu’il faut écouter, comprendre et accompagner le malade avec autant d’humanité que d’efficacité, l’un n’allant pas sans l’autre.

 

Au final, il ne faut pas voir le film comme un documentaire sur l’exercice du métier et encore moins sur le travail dans les hôpitaux. Il ne dit rien sur la souffrance, l’absentéisme, les sous-effectifs, les dysfonctionnements nés des exigences de la gestion et de la tarification à l’acte, dont on annonce qu’elle sera remise en cause. Nicolas Philibert se contente comme dans ses autres films, Etre et avoir ou La Maison de la radio, de filmer la bonne volonté, l’engagement, les satisfactions et les doutes des uns et des autres. Il le fait bien. Les jeunes gens en formation à Montreuil, dans leur diversité, leurs formateurs également, veulent bien faire et semblent bien faire, techniquement et déontologiquement. Il n’est pourtant pas certain que cette bonne volonté suffise. Elle sera rudement mise à l’épreuve. En situation réelle de travail, elle risque de s’épuiser. De cela le film ne dit rien. Dommage.

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.