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par Mohammed Osseni, propos recueillis par Claude-Emmanuel Triomphe

A 23 ans, Mohammed Osseni vient de terminer ses 8 mois de Service civique effectués chez Unis-cité. Il a quitté Mayotte à l’âge de 7 ans pour venir s’installer à Marseille avec sa famille et vit dans le quartier Félix Pyat, l’un des plus pauvres de la ville. Il raconte pour Metis, ses joies, ses découvertes, ses valeurs et ses projets d’avenir.

 

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Le Service civique tu en avais déjà entendu parler ?

 

Jamais ! Par contre, j’avais un projet, je voulais ouvrir un studio d’enregistrement pour mon quartier et je ne savais pas comment m’y prendre. On m’a dit qu’Unis-cité pouvait m’aider à le réaliser alors je les ai contactés. Pour les jeunes qui ont un projet, ils ont un programme dénommé « Rêve & réalise », mais je n’ai pas pu être retenu, faute de place. Ils m’ont proposé un autre programme, « Intergénéreux », qui consiste à lutter contre l’isolement des personnes âgées. Et tout de suite ça m’a touché.

 

Pourquoi cette action t’a plu ? En quoi consistait-elle ?

Déjà, c’était inconcevable pour moi qu’une personne soit abandonnée et isolée. Et je me suis dit que si je pouvais donner ne serait-ce qu’un peu de mon temps pour rendre le sourire à une personne, je le ferai de bon cœur. Avec Intergénéreux, on rendait visite deux jours par semaine en binôme à des personnes âgées isolées. On passait du temps avec elles, on organisait des sorties. Mais bien qu’on ait été super motivé avec des tas d’idées, on n’a pas eu beaucoup de chances : c’était pas si facile de repérer ces personnes, ensuite certaines renonçaient à nos visites parce qu’elles étaient trop fatiguées ou que leur état de santé s’aggravait, pour d’autres il a fallu arrêter parce que la mairie voulait nous remplacer… Finalement on a pu suivre deux personnes en maison de retraite. Là on allait voir tous les résident(e)s, mais on a accroché spécialement avec deux d’entre elles qui étaient adorables avec nous. Avec l’une on jouait même aux échecs jusqu’à ce que là aussi son état de santé ne le lui permette plus.

En dehors d’Intergénéreux, avais-tu d’autres activités ?

 

Les autres jours, on faisait des missions dans un cadre plus collectif et on intervenait au CADA, le centre d’accueil des demandeurs d’asile, où l’on développait des activités culturelles et sportives pour les adultes ou pour les enfants : sorties, ateliers avec les femmes, matchs de foot, découverte de Marseille avec le petit train, etc. La communication était parfois compliquée, certains ne parlant que peu ou pas le français. Mais on y arrivait avec des mots simples et à force de répétition. Beaucoup de ces gens s’ennuient dans l’attente du traitement de leur dossier. Il y avait parmi eux deux Éthiopiens de 30-40 ans, qui avaient fui le pays à cause des conflits et qui avaient tout vécu ensemble, la fuite, le passage dans plusieurs pays, la traversée de la mer. Depuis ils font tout ensemble. Si leur dossier est accepté, ils ont décidé de s’installer à Marseille. Et puis il y a eu cette course d’enfants organisée au profit de l’association Graine de joies. C’était kiffant de les voir se prendre au jeu, de se donner à fond. Pour moi, tous ces gens c’est la crème de la crème.

Un autre truc dont je garde le souvenir très ému, c’est le travail avec Handisport. Au début on était juste là pour donner un coup de main puis on participé à tout et à la fin, ils nous ont donné le micro, on a mis de la musique, on a dansé avec eux. C’était tellement beau de les voir comme ça, oublier un moment leurs handicaps. Ça m’a fait vraiment plaisir et si c’était à refaire, je le referais de suite.

Tu as aussi participé à Eloquentia, ce concours d’expression publique que le film A voix haute a rendu célèbre ?


A la base j’avais du mal à m’exprimer. Devant un public, je perdais mes moyens. On me l’a proposé, quasi imposé, chez Unis-cité en me disant que ça me ferait du bien d’y participer, sans forcément gagner. Je me suis dit « pourquoi pas essayer !  » J’ai suivi des master class pendant plusieurs semaines avec près de 70 personnes à la fac sur la Canebière. Presque tous les autres étaient en droit, j’étais le seul en informatique – j’avais d’ailleurs arrêté après la première année, car ça ne me convenait pas. Durant les premiers exercices, j’avais du mal à aligner des mots, mes phrases étaient speed, pas très cohérentes. Mais je me suis accroché et j’ai accepté de prendre part à la phase éliminatoire qui consistait à traiter une question à laquelle il fallait répondre d’une certaine façon. Pour moi c’était : « Ce qui ne tue pas te rend-il plus fort ? » et il fallait répondre par l’affirmative. On avait une semaine pour préparer. Je ne le sentais pas du tout, mais moi je n’aime pas perdre et puis quand je commence un truc, je le fais jusqu’au bout.

Le jour J, j’étais tétanisé, je tremblais de partout. Et quand on m’a dit, c’est ton tour, j’ai commencé à avoir chaud. Mais j’étais là et pas pour faire n’importe quoi. Il fallait que j’arrête de me poser trop de questions. Après mes trois premiers mots, je suis rentré dans mon texte et je l’ai vécu jusqu’à la fin. Ça a été une délivrance. Le jury était bluffé. Ils m’ont demandé si je faisais ça depuis longtemps. Je lui ai dit que c’était la première fois. Il m’a encouragé à continuer même si moi je n’y croyais pas trop. En quart de finale, j’ai eu un thème à se gratter la tête : « Fuir, est-ce courageux ? » Je devais répondre par l’affirmative alors que je pensais le contraire ! Ce fut très compliqué à préparer, mais à la fin j’ai su trouver de bons arguments. J’étais un peu plus à l’aise et le jury m’a trouvé très convaincant ! Faire croire à quelqu’un que fuir c’est courageux, c’est difficile. Malheureusement je n’ai pas été sélectionné pour les demi-finales. Mais on apprend de ses erreurs et depuis j’essaie de m’améliorer. D’ailleurs quand a-t-on fait la grande manifestation de fin du Service civique, c’est à moi que l’association a demandé de faire le speech sur l’engagement. Et ça a déchiré !

Quel bilan tires-tu de ces 8 mois ?

 

Le plus important c’est que ça m’a permis d’apprendre à me connaître. Il y avait des facettes de moi, comme celle de meneur d’équipe, de leader que je ne connaissais pas. Je ne pensais pas non plus que je pouvais m’engager sur des projets, que travailler en équipe ce n’était pas seulement pour ceux qui ne s’en sortaient pas, mais que c’était juste fondamental. Je ne savais pas que quand on fait un don de soi on reçoit beaucoup en retour ! Dans la société, on te dit qu’il faut charbonner et écraser les autres pour réussir. Mais j’ai découvert que c’est ensemble qu’on peut réussir même si nos envies et nos caractères sont différents. Le Service Civique m’a ouvert sur tellement de choses que je ne savais plus où donner de la tête tant j’avais envie de participer à chaque nouveau projet. Ces 8 mois m’ont pris du temps, mais c’est du temps que j’ai donné avec mon cœur.

Je pense aussi à mes tuteurs, qui ont été super et m’ont tous apporté quelque chose. J’aimerais dire un grand merci à Myriam, ma coordinatrice, celle qui m’a poussé à faire plein de choses, qui m’a parlé d’Eloquentia, qui croyait en moi et qui, à la fin, m’a poussé à postuler pour devenir Ambassadeur d’Unis-cité.

Tu as parlé de ton engagement autour de toi ?

 

Dans le quartier, mon Service Civique n’a pas beaucoup attiré. Le premier truc qu’ils demandent c’est combien ça paie. Alors dès que tu parles d’une indemnité de 500 €, il n’y a plus personne. Ils recherchent de vrais boulots ou des stages. Ils ne me prennent pas trop au sérieux, car souvent je rigole. Ils sont quand même étonnés que j’en sois arrivé là. Avec ma famille – j’ai 8 frères et sœurs, sans compter les demi – je reste très discret, je veux rester dans ma bulle, mon univers. Je ne leur parle que lorsque je réussis un truc. Comme quand j’ai postulé pour être ambassadeur d’Unis-cité pour porter les grandes valeurs de l’association : solidarité, diversité, travail d’équipe. Ces trois mots, c’est le Triangle d’or de l’engagement. Je suis fier d’avoir été un des deux sélectionnés parmi les 40 postulants. Je vais pouvoir passer 4 jours par semaine à Paris pour représenter Unis-cité et me déplacer dans toute la France dans des événements politiques, sportifs ou culturels. On va être là aussi pour rebooster des équipes démotivées ou divisées. Et ça, j’en ai parlé à ma mère qui est très fière.

 

Qu’as-tu envie de faire maintenant ?

 

Il y a quelque temps, j’hésitais entre la musique, l’informatique et la politique ! J’aime tant de choses, c’est un peu mon problème. Dans mon quartier, je sens trop de gens démotivés, découragés. Les gens se disent que s’ils trouvent un travail c’est déjà bien. C’est pour survivre. Mais ils ne se posent pas la question de l’utilité de ce travail. Y a pas de rêve, pas d’ambition. J’aimerais aider tout le monde et encore plus réveiller ce genre de personnes et changer les choses. Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, car j’ai besoin d’un revenu. La politique pourrait me tenter alors j’approche des partis et j’écoute ce qu’ils disent sans aller plus loin pour le moment. La musique et l’art permettent aussi de faire passer des messages. J’aime bien tout ce qui est création. Un jour, j’ai fait un son puis j’ai mis un instrument. Et ensuite dans la cabine je me suis éclaté en faisant du rap, du rap technique hein, pas du rap gangster même si j’aime en écouter pour la rythmique… Je cherche encore ce que je vais faire. Un truc en lien avec l’art ? De la politique ? Ou encore gagner au Loto ? Mais ça, c’est plus compliqué !

En attendant, avec d’autres volontaires, je suis sur le projet d’une grande marche de l’engagement, de Marseille à Paris, un peu comme la marche des Beurs en 1983. Pour montrer que la jeunesse peut s’engager et être utile. Je ne sais pas si on y arrivera, mais il faut essayer !

 

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