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Les Français pensent souvent être « les meilleurs du monde » (« avoir le meilleur système de retraites au monde » d’après Philippe Martinez), avoir un très bon système de ceci ou cela. Seulement voilà en cette fin d’année on est dans la merde. Mouvement social majeur à propos d’une réforme indispensable, mais refusée. Les refus vont bien au-delà de la question des retraites, mais celle-ci doit être traitée. Pour le débat et le dialogue, on est franchement mauvais !

Et sur le sujet des retraites, tout le monde a joué aux cons. Il y a d’abord eu un débat public puis dix-huit mois de concertations avec les partenaires sociaux, les responsables des caisses de retraite, les responsables des administrations concernées, les experts de la question, le tout sous la responsabilité de Jean-Paul Delevoye « Haut Commissaire aux retraites ». Mais alors ils ont fait quoi pendant dix-huit mois ans, durant 40 et quelques réunions ? Du dialogue social à la papa, celui dont on dit volontiers qu’il doit se passer à l’écart des rumeurs et de l’opinion parce que c’est comme ça que les choses avancent, avec éventuellement, en tout cas à l’époque de Marc Blondel (leader de Force Ouvrière de 1989 à 2004) : gros cigares et armagnacs des bonnes années. Dans les coulisses coulissantes comme on les aime.

Est-ce que pendant toute cette période officiellement d’intenses discussions de 2017 à maintenant, les syndicats se sont exprimés sur le sujet des retraites, est-ce que la CGT et FO par exemple, nous ont dit qu’ils étaient depuis toujours radicalement opposés à un système par points (alors qu’ils en gèrent deux depuis 1961), est-ce qu’ils ont expliqué aux salariés ce que c’était qu’un système par points ? Que nenni ! On doit cependant reconnaître à Laurent Berger d’avoir abordé le sujet de la réforme des retraites chaque fois qu’il était interviewé.

Est-ce que le Haut Commissaire ou les membres du gouvernement nous ont fait état des points de consensus et de dissensus tout au long de ces longues discussions en sorte que chacun y réfléchisse, en discute avec ses copains, ses collègues, ses enfants ? Voit les avantages (car il y en a, par exemple pour les jeunes qui dès qu’ils vont faire le moindre petit boulot vont acquérir des points, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ou pour les agriculteurs bien mal lotis, ou pour les femmes…), que nenni ! C’est un sujet bien trop compliqué pour les simples gens…

Est-ce que le gouvernement, très en pointe sur les « grands débats » en tout genre a cherché en termes de méthode pendant ces deux ans de discussion à faire régulièrement des points d’information sur le processus en cours ? A-t-on d’ailleurs réfléchi à ce que c’est qu’un débat public qui ne soit pas juste une politique de com’ ? ou un combat de coqs en période de crise ?

Est-ce que les journalistes ont fait leur travail tout au long de ces discussions en faisant vivre le débat ? Mais voyons ce n’était pas un sujet « chaud »… pas une « actu »… C’est tellement plus drôle lorsque c’est saignant.

Est-ce que les syndicats se sont exprimés sur le fait qu’il existe actuellement deux régimes de retraite par points (AGIRC-ARCCO qui ont fusionné il y a peu de temps), créés par un Accord national interprofessionnel le 8 décembre 1961 par les partenaires sociaux précisément, et qui semblent donner satisfaction à tout le monde. Rajoutons qu’aujourd’hui parmi les retraites versées aux retraités du secteur privé, l’AGIRC-ARCCO représentent 41 % des montants versés… ?

Est-ce que les syndicats de la fonction publique nous ont informés que Préfon Retraite, le système de retraite complémentaire des personnels de l’Education Nationale d’abord, puis des services publics plus généralement, auquel l’adhésion et les versements sont volontaires (et défiscalisés à 100 %) était très exactement ce que l’on appelle une retraite par capitalisation ?

Est-ce que les entreprises sont montées au créneau pour commencer à modifier leur politique de ressources humaines qui aboutit à ce que vers 45-50 ans on soit considéré comme un sénior (un mot que personnellement je me refuse à employer) ? Et qu’en s’appuyant sur diverses possibilités, licenciements collectifs et individuels, ruptures conventionnelles, départs volontaires… 40 % des personnes qui ont fait valoir leurs droits à la retraite en 2018 n’étaient déjà plus en emploi. Hypocrisie générale ! D’autant plus que si tellement de salariés ont si fort envie de « partir en retraite », c’est souvent que leur travail ne va pas très bien. L’enjeu du travail (de ses conditions et de sa qualité) à n’importe quel âge est déterminant et les entreprises feraient bien de s’en occuper sérieusement. L’exemple des pays d’Europe du Nord montre que c’est possible.

Alors oui la retraite c’est un sujet très sérieux, vu le temps qu’on y passe ! C’est un sujet compliqué parce que les parcours sont variés et qu’il faut réussir à donner des libertés à chacun tout en assurant des garanties collectives solides c’est-à-dire avec le moins possible de risques d’être fragilisées dans le temps long. Très long même dans des régimes par répartition.

C’est un sujet de passion : parfois je me dis que pour beaucoup, la retraite c’est le grand rêve enfin réalisé du revenu universel, d’un super « revenu universel » (en tout cas pour un bon nombre des générations actuellement à la retraite). Un revenu stable sans contrepartie et sans souci quant à la pérennité de son emploi alors que les temps sont devenus si précaires en entreprise. C’est aussi du temps, beaucoup de temps : comme une autre vie avec plein de possibles. Une troisième, ou quatrième vie, ou cinquième dont on espère qu’elle soit longue.

C’est aussi un sujet d’angoisse, car nul ne peut faire que ce ne soit pas le début d’une période dont la fin est la mort. Tout morceau enlevé fait d’autant plus mal.

C’est un sujet sérieux dont il reste à espérer que l’on en sorte sérieusement.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.