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En plein confinement le film de Steven Soderbergh Contagion est un des plus téléchargés. N’a-t-on pas assez de la réalité dramatique d’une pandémie mondiale ? Que peut-on espérer trouver dans une œuvre de fiction inspirée d’épidémies passées, quand quotidiennement les politiques, les médecins et les commentateurs nous inondent de statistiques, de comparaisons, d’analyses et de supputations sur la propagation mondiale du Covid-19 et ses multiples conséquences ?

Multiplicité de temps et de lieux

Le cinéma propose peu d’histoires de pandémie. En 2011, Steven Soderbergh s’inspire des épidémies du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) et H1N1 pour réaliser le film Contagion. Il consulte des professionnels qui ont affronté ces crises pour écrire le scénario. Il choisit de nous faire vivre les 135 jours qui séparent la contamination du « patient 0 » de la mise au point d’un vaccin.

Au fil des jours, le film nous transporte à Hong Kong où le drame se noue lors d’un symposium bien arrosé, aux États-Unis dans la maison où vivent Mitch et son épouse, Beth qui tousse, meurt et contamine leur fils, au sein de l’administration, celle de la sécurité intérieure et celle de la santé dirigée par le Docteur Cheever. Nous pénétrons dans les laboratoires de recherche avec l’admirable Ally et dans les hôpitaux des différentes villes touchées, Chicago, Milwaukee, Atlanta, mais aussi Londres et Tokyo. Nous assistons au conflit entre la presse écrite et Alan, le blogueur à la chasse aux scoops, et bientôt aux rumeurs qui alimentent de faux espoirs à propos d’un remède miracle dont les « autorités » ne veulent pas reconnaître l’efficacité. Nous suivons l’action de l’OMS à Hong Kong et en Chine. Nous assistons aux mouvements de foules incontrôlés lorsque les rations alimentaires se font rares et qu’il faut faire la queue sans être sûr qu’il en restera. Nous partageons les dilemmes des autorités sanitaires et politiques lorsque les premiers vaccins apparaissent et qu’il faut choisir ceux à qui ils seront destinés en priorité.

On peut certainement contester la véracité de certaines situations, s’interroger sur la violence d’autres (mais la vente des armes a bien augmenté aux États-Unis depuis début mars cette année), s’offusquer de la quasi-absence de tous les métiers qui rendent la vie quotidienne possible (Contagion n’est pas l’histoire d’un confinement !), regretter le pathos et le ton moralisateur qui transparaissent çà et là. Il semble qu’en 2020 les rassemblements évangélistes ont été plus contaminants que les frasques d’une femme adultère.

On ne peut néanmoins qu’être frappé par la similitude de multiples évènements dont nous avons connaissance aujourd’hui dans la lutte contre le Covid-19. La multiplicité des lieux et des acteurs autour de laquelle le film de Steven Soderbergh est construit, est tout aussi fondamentale dans l’histoire que nous sommes en train de vivre. Contagion nous la donne à voir et nous rappelle qu’il n’y a pas un front et des arrières, mais de multiples combats spécifiques qui se gagnent un par un tout en étant parfaitement dépendants les uns des autres.

Rendre hommage ou rendre justice ?

Il nous rappelle aussi le caractère inédit de chaque crise qui interdit de se satisfaire des connaissances acquises et des certitudes passées. C’est vrai pour les remèdes et les vaccins comme pour les conséquences économiques et sociales. Qui aurait cru qu’en quelques semaines la doxa économique sur la hiérarchie des salaires et la dette publique serait autant attaquée, même si on peut s’interroger sur la durabilité de la remise en cause actuelle de ces « conceptions qui président à notre organisation sociale » ? (Voir dans Metis « Le virus, les salaires, la dette et après », 27 avril 2020)

Mieux que les chiffres et les courbes, mieux que les talk-shows télévisés dont on peine pourtant à se détacher, mieux que les indispensables déclarations officielles, mieux que les hommages régulièrement rendus (au fait ne faudrait-il pas plutôt rendre justice ?), le cinéma permet de partager et comprendre ce que vivent et éprouvent ces femmes et ces hommes qui s’exposent au risque de la contamination pour prendre soin de nos vies et qui, en dépit des incertitudes multiples, décident et agissent avec professionnalisme et conscience. Joëlle Zask dans son Coronajournal écrit ainsi à propos du film : « La maladie et la mort ne sont pas portées à l’écran en tant qu’expériences nivelantes ; au contraire, elles sont dépeintes comme ce qui donne une chance à la dimension individuelle d’affirmer quelque chose d’elle-même ».

Nous attendons aussi toujours d’une œuvre de fiction, roman, série ou film, qu’il nous dise le fin mot de l’histoire. La chute est le moment décisif, l’instant de vérité d’un scénario. Ici, il y a la découverte d’un vaccin et c’est énorme. Pour le reste, pour les enseignements éventuels, pour le monde d’après qui dit-on « ne sera plus comme avant » (doit-on comprendre qu’il sera meilleur ou pire ?), Soderbergh est plus prudent. Il ne conclut pas et se contente de faire un pas de côté bien dans l’esprit d’Hollywood : la jeune et belle Jory peut retrouver son amoureux pour un tour de danse le jour programmé du bal de fin d’année ! Le retour « des jours heureux » ?

La mémoire et l’oubli

Dernier point pour finir. En 2011, lors de la sortie du film, il n’avait pas eu un grand succès, la critique avait été très réservée. Comment ne pas y voir l’envie d’oublier ? À quoi bon revenir sur des heures sombres ? Contagion nous dit aussi qu’en 2020 nous avons tout à craindre de la tentation de tourner la page, de fermer la parenthèse et de revenir au plus vite « à la normale ». Cette tentation nous a conduits à oublier les précautions qu’il faut prendre face à l’incertain et à l’inédit, qui peuvent être bénéfiques ou toxiques et d’une ampleur qu’on ne peut prévoir. Nous payons cher notre prétention à nous croire invulnérables, disruptifs en tout, au faîte de notre supposée toute-puissance, oublieux de notre condition d’êtres corporels, en relation avec d’autres humains et avec notre milieu animal et naturel (lire à ce propos mon article « Mort au Covid-19 » dans Metis, 10 avril 2020).

Le film est aussi la mémoire des crises passées. Il nous rappelle que nous savions beaucoup de choses qui rendaient plausible l’apparition d’une pandémie virale, et que nous avons préféré pratiquer la politique de l’autruche. Rien que pour ça, il est salutaire de voir ou revoir Contagion.

– Contagion de Steven Soderbergh (2011) avec Matte Damon, Marion Cotillard, Kate Winslet –

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.