Bien malin qui pourrait dire ce que nous réserve 2021.
La crise sanitaire et ses menaces accusent les traits des évolutions récentes de notre monde : chaque jour apporte son lot de nouvelles inquiétantes, surprenantes et le plus souvent menaçantes.
Catastrophes à l’autre bout du monde dont on voit immédiatement les images en boucle, bonnes et mauvaises nouvelles américaines. Certes Trump devra partir le 20 janvier, et c’est l’une des bonnes. Certes le Sénat avec deux nouveaux élus démocrates ne sera pas un irréductible opposant aux réformes à venir, et c’est une autre bonne nouvelle. Mais tout cela dans un chaos qui rend la démocratie bien fragile face aux populismes. Les images du Capitole sont violentes. Les États-Unis sont un pays violent, mais ne faisons pas les fiers : les images des Gilets jaunes à l’Arc de Triomphe n’étaient pas glorieuses.
Avec raison, nous devenons de plus en plus sensibles aux mauvais côtés de la mondialisation : circulation infernale des virus biologiques ou informatiques, sophistication excessive (délirante) des chaines de production de biens ou de services. Apprendre et comprendre que notre santé dépend de la fabrication d’une molécule dans une sous-préfecture de Mongolie intérieure en Chine n’est guère rassurant. Menaces sur le climat et la biodiversité. Ursula von der Leyen donne de l’Europe une image ferme et souriante : c’est réjouissant enfin.
De nombreuses enquêtes (celles dont Metis a été partenaire et d’autres comme le Baromètre Malakoff Humanis sur le télétravail) montrent à quel point la période actuelle met à nu le travail et ses ressorts. Pour le meilleur parfois : davantage de collaboration, d’autonomie dans le travail à distance. Et pour le pire parfois : des managers qui refusent le télétravail, des jeunes qui perdent leurs jobs (petits certes, mais précieux),…
La demande pour le télétravail va rester très forte (cf Etude APEC sur le télétravail des cadres en décembre dernier), bouleversant l’organisation des entreprises et accusant les divisions entre catégories professionnelles. Va-t-on assister à des traductions individuelles du type avenant à mon contrat de travail avec des jours de travail à distance sacralisés comme il y a des jours de congés ou des jours de RTT ? Les DRH et les syndicats pourront-ils essayer d’en faire des démarches plus collectives ? Les managers vont-ils s’en arranger ? Va-t-on en profiter pour réduire l’empreinte carbone des déplacements quotidiens ? Ou l’inverse ? Autant de questions qu’il sera intéressant de suivre…
En ramenant une partie du travail « à la maison », la crise sanitaire lui donne une matérialité, lui donne du corps et une visibilité nouvelle pour les proches. « Un métier c’est un job que l’on peut expliquer à ses enfants » écrit joliment Pierre Veltz dans son dernier livre L’économie désirable. Sans doute beaucoup de parents ont-ils mieux compris ce que faisaient les enseignants de leurs enfants, et comment ils le faisaient, et pourquoi c’est un vrai métier. Et peut-être beaucoup d’enfants ont-ils mieux compris ce que font leurs parents quand ils partent « au bureau ».
Il devrait résulter de cette crise du COVID et de ses multiples conséquences un surcroît d’intelligence, de compréhension du monde qui nous entoure (je ne parle pas des visions prophétiques du monde d’après). C’est peut-être le cas même si nous ne le voyons pas encore. Toutes ces transformations (celles du travail, mais bien d’autres encore dans la consommation, dans les comportements sociaux) se produisent à bas bruit dans les replis du quotidien tandis que la bêtise et l’ignorance ont pignon sur rue.
Ou sur cour. Ainsi d’un grand nombre de responsables politiques embroussaillés dans les dédales et les épaisseurs bureaucratiques qu’ils augmentent inlassablement de « Comités » et « Commissions » nouvelles. Les yeux rivés sur les nouvelles « petites phrases » et les graphiques des sondages, comme si l’opinion était la vérité et une corrélation une causalité.
Ce plus d’intelligence collective, il nous faut le mettre dans le débat public, inlassablement, loin des invectives politiciennes. Il y avait la semaine dernière un bel article de François Jullien dans Les Échos (merci à ce journal de garder le goût de la complexité) : il y pestait contre les fausses évidences et pour la décoïncidence des mots et des choses avec cet exemple : « Dès lors que la cause écologique s’installe en obédience collective, une langue de bois s’est aussitôt sécrétée et installée qui fait de ses thèmes engagés des thèmes obligés ». Alors on a arrêté de penser.
Alors 2021 ? Apprivoiser les incertitudes, sans tomber dans le fatalisme ou le scepticisme. Éviter le prêt-à-penser. Anticiper sur les changements qui vont venir. Ouvrir et rouvrir sans cesse des possibles.
L’équipe de rédaction de Metis remercie les lecteurs qui ont répondu à sa demande de soutien et souhaite simplement à tous « une bonne année et une bonne santé » !
Excellent édito!