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danielle kaisergruberFini la représentation d’un avant Covid – où tout était bien ou l’inverse – et l’espérance d’un après – où tout serait remis à sa place comme avant, ou si merveilleusement différent.

A date, février 2021, il faudrait être bien benêt pour s’imaginer que nous serions tout soudain devenus plus solidaires, plus engagés, plus écolos. Tout le monde évite tout le monde, même lorsque les trottoirs sont larges. Les regards  se fuient. Et la pandémie joue les continuations, s’insinue dans la vie quotidienne, nous sommes déjà dans l’après car nous sommes dans l’avec.

Ce qui n’est pas sans apporter de grands et notoires changements dont quelques évidences politiques : seuls les Etats et les banques centrales peuvent faire certaines choses (payer les salaires d’une grosse partie de la population active…par le biais de l’activité partielle, souvent appelé chômage partiel, emprunter des sommes énormes au nom de l’Europe…) Seules la science et la technologie sont capables de produire des vaccins et le soutien à la recherche publique devrait aller de soi. On fera bien de s’en souvenir.

De grandes réformes qui se voulaient décisives ont été abandonnées ou laissées de côté : la révolution de la retraite universelle à points, la transformation de l’assurance-chômage. Y revenir purement et simplement donnerait l’impression de ressortir d’une malle des vêtements empesés. Un tour est passé…

Mais pendant ce temps, des idées nouvelles se font une place et cherchent à se concrétiser. Ainsi des « transitions collectives » en réponse aux plans de restructuration des entreprises et secteurs  touchés par les fermetures administratives ou par l’impact de la crise sanitaire. C’est un dispositif (certes un peu compliqué) construit sur une idée simple : une entreprise voit disparaitre certains des métiers qu’on y pratiquait, une autre entreprise cherche à embaucher sur des activités qu’elle développe et sur des métiers porteurs. Aménageons le passage de l’un à l’autre en évitant le passage douloureux pour les salariés concernés par la « case chômage ». D’un job à un autre avec un solide filet de sécurité (le maintien du salaire par « l’entreprise de départ » remboursé par l’Etat !) et une formation longue si besoin est. Le tout financé par le « Plan de relance ».

Evidemment c’est un peu l’inverse des réformes précédentes qui visaient plutôt à banaliser le chômage en ouvrant des droits pour les salariés démissionnaires, les indépendants, et en faisant une transition parmi d’autres… Le jeu en vaut sans doute la chandelle si l’on réussit à remettre un peu de collectif dans un écosystème de la formation qui a plutôt évolué vers l’individuel (voir Jean-Marie Luttringer, Chronique n° 160 « Réflexions juridiques à propos de l’individuel et du collectif dans la formation des travailleurs par temps de crise »).

Avoir 20 ans en 2021 ? Pas facile. Enfin différents appels ont été entendus et les projecteurs mis sur la situation des jeunes en général, des étudiants privés de ressources (un grand nombre exerçaient des petits boulots à côté de leurs études), privés de socialisation et de parcours de progression. Faut-il créer un « RSA jeunes » ? La question revient régulièrement dans le débat, et les encore-partisans du revenu universel d’existence soutiennent cette réforme. Mais le bilan du RSA n’est pas  terrible et chacun sait que les aspects d’insertion, de formation, de retour vers l’emploi sont défaillants. Par contre, toutes les évaluations de la « Garantie Jeunes », créée en 2013 pour les jeunes ni en emploi, ni en études ou formation, à petite échelle expérimentale, puis étendue, sont positives. Alors pourquoi ne pas généraliser un dispositif qui associe un revenu minimal et un accompagnement serré et apprécié des intéressés par les Missions Locales ? Work first and see what works !

Avoir 60 ans en 2021 ? A bas bruit, les entreprises qui se voient contraintes par la crise de diminuer leurs effectifs retrouvent le bon vieux système des préretraites. Renault, Aéroports de Paris, Michelin, HSBC, et tant d’autres ! Evidemment c’est tout à fait à l’opposé des objectifs d’allongement de la vie au travail et les sociétés européennes avaient mis 20 ou 30 ans à se passer de cette drogue douce…Sera-t-on capable de changer un peu la manière de penser les différents âges de la vie, en imaginant des comptes-épargne temps tout au long de la vie, des périodes de transition pour formation, aide à des proches, activités civiques…(voir le dossier de Metis « Changer de vie (professionnelle) ? »)

En somme, être déjà dans l’après c’est juste faire des projets pour aujourd’hui, être innovant dès aujourd’hui, puisque de toute façon et comme le disait si bien le père Keynes, à long terme nous serons tous morts !

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.