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danielle kaisergruberAutour de ce titre choisi pour rassembler des articles de Metis et de la Revue Cadres, tous écrits en 2020 (2020 Chroniques du travail éloigné, Demandes de changement ?), s’est tenu le 7 octobre dernier un séminaire ODC/Metis particulièrement riche, et riche surtout de nombreuses questions à venir.

C’est que la révolution du « travail à distance » est forte et va au-delà des frontières de l’entreprise : elle met en jeu des problématiques de modes de vie, d’aménagement du territoire, de choix immobiliers et d’habitat. La distance n’est pas qu’une affaire qui se jouerait entre le lieu de travail et le domicile, elle questionne aussi les normes qui définissent le travail, unité de temps et unité de lieu. Il est significatif que la loi passée en 2019 (eh oui avant Covid) en Finlande après discussion avec les partenaires sociaux établisse la possibilité de travailler « anytime and anywhere » pour la moitié des 40 heures de travail hebdomadaires.

Car c’est bien de temps et d’espace qu’il s’agit : un, deux ou trois jours de télétravail par semaine, tel semble être le menu du travail hybride qui commence de s’installer, en réponse à une forte demande d’autonomie dans l’organisation de son travail et de son emploi du temps. Contrôler le temps de travail va devenir de plus en plus difficile. Il n’est pas interdit de penser que l’on glisse ainsi vers la semaine de quatre jours. L’Espagne va s’y essayer de manière expérimentale : 500 entreprises volontaires seront ainsi invitées à conduire cette expérience pendant deux ans. Sans diminution de salaire, mais avec des soutiens publics. Le groupe d’habillement Disigual vient de s’y mettre, mais avec diminution de salaire. Intéressant !

Réfléchir sur de nouveaux modes d’organisation du travail et des temps sociaux plutôt que de répéter comme commencent de le faire certains politiques les confrontations sur la semaine de 32 heures dans des termes qui sont quasiment les mêmes que ceux d’il y a vingt ans ? Partir des nouvelles demandes et des nouvelles questions : comment s’économiser un jour de trajet ? Comment réussir à être un peu plus chez soi pour des salariés qui ne peuvent pas télétravailler ? Belle question pour DRH, manageurs et organisations syndicales.

La crise sanitaire a-t-elle été une « expérience naturelle » pour le marché du travail qui en est ressorti tout chamboulé ? Trois chercheurs américains (David Card, Joshua Angrist et Guido Imbens) viennent d’être récompensés par le « Nobel » d’économie pour leurs travaux sur le marché du travail, en partie conduits avec Alan Krueger. Au-delà des difficultés de recrutement (parfois trop vite qualifiées de pénuries de main-d’œuvre) dans de nombreux secteurs pas toujours attractifs, il est urgent de regarder de plus près ces changements de métiers, ces reconversions avec ou sans mobilité géographique, ces très nombreuses créations d’entreprises pendant la pandémie même ? Le CEREQ réalise en ce moment une étude « Impact de la crise sanitaire sur les mobilités, les projets, les aspirations professionnelles, les compétences et le travail » à partir d’enquêtes conduites de mars 2020 à mai 2021. Nul doute qu’on y apprendra beaucoup.

Économiser des déplacements est une manière de « décarbonner » le travail. Qui vaut aussi pour les déplacements professionnels. Qui pourrait bien valoir pour les livraisons sur le modèle Amazon qui, elles, n’ont fait que prospérer au mépris de toute frugalité énergétique. La toute récente Loi « climat » (du 22 août 2021) y invite en élargissant les compétences du CSE (Conseil social et économique) qui devrait être informé des « conséquences environnementales » de toutes les décisions et mesures qui lui seront soumises. Une réorganisation, un déménagement, les plans de déplacement des salariés, les choix logistiques ou de sous-traitance lointaine, un accord de télétravail… Ce peut être une belle occasion pour les syndicats de se positionner sur des sujets considérés comme essentiels, par les plus jeunes surtout.

De beaux sujets pour les mois à venir, complexes certes, mais passionnants, à condition de savoir se préserver des improbables bulles sondagières.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.