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danielle kaisergruberUn dimanche soir vers 17 heures, le moment où l’on commence à penser à la semaine qui va commencer, une conversation de famille en Normandie. En question : l’organisation du temps pour les trois prochaines semaines.

Quels jours de télétravail tu poses ? Quand est-ce que tu as besoin d’être à Paris (car le télétravail se déroule dans une maison de campagne proche) ? Et toi ? Quels jours de RTT ? « Moi, je tiens à aller au bureau ce vendredi, car j’ai besoin de voir Patrice et Florence qui n’aiment pas le télétravail ». « Moi je tiens à mes réunions d’équipe le lundi ou le mardi pour lancer la semaine ». « Mais ce serait bien aussi d’être là le jour où le couvreur va venir pour discuter avec lui »…

De nombreuses enquêtes, ou baromètres du télétravail, plus exactement du « travail hybride » (Malakoff Humanis, HelloWork, etc.) relèvent les évolutions du rapport au temps et au travail des salariés : les choix se feraient davantage en fonction des impératifs personnels ou familiaux. Ce n’était pas le cas de la conversation entendue, lors de laquelle les exigences du travail, du collectif, des interactions avec les collaborateurs ou collègues comptaient à égalité avec les besoins individuels. C’était une vraie « réunion d’organisation des temps ». Le travail y tenait une grande place pour ce manager et cette chef de projet, mais se combinait d’une manière nouvelle avec d’autres temps et d’autres investissements.

Les études récentes montrent par exemple comment le travail « à distance » et tout particulièrement « à la maison » permet un réinvestissement du moment où les enfants rentrent de l’école, quitte à décaler les horaires de travail vers le soir. Il s’agit alors de s’interroger sur ce que les salariés nomment « flexibilité » et « souplesse des horaires » : pour beaucoup il s’agit de caser dans le déroulé d’une journée ces moments consacrés à régler des aspects et problèmes de la vie quotidienne, ou à s’occuper des enfants. Bien sûr tous les salariés n’ont pas les mêmes besoins selon les âges, les situations familiales, les choix de vie… Les salariés qui travaillent « à distance » deux ou trois jours par semaine plébiscitent les temps de trajet économisés, et la fatigue qui va avec, ainsi que les petits arrangements quotidiens.

Défini comme alternance de périodes de travail sur site et de travail à distance (dans son lieu de résidence ou un autre, dans un tiers lieu…), le travail hybride génère donc « des jours de télétravail » qui prennent place à côté des jours de RTT mis ou non sur un CET (Compte-Epargne temps), des jours de congés annuels, des jours de congés « thématiques » (enfant ou proche malade, formation, participation à une activité civique…).

Les entreprises sont à la recherche de règles du jeu dont elles ont compris qu’elles ne pouvaient pas être générales, mais adaptées aux différents métiers et services. Beaucoup les délèguent « aux équipes », le plus souvent une dizaine ou une quinzaine de personnes avec « leur » manager. Les agendas sont ainsi négociés en un sens nouveau dans le cadre très général (trop général ? mais comment faire autrement) des accords avec les partenaires sociaux. Le plus souvent de manière assez informelle, à la semaine, et non sans de nombreux arrangements. Les managers de proximité vont-ils craquer ? À voir.

Dans son blog Management & RSE, Martin Richer fait un panorama des derniers développements du travail hybride et plaide en faveur d’un « travail à distance socialement responsable », bénéfique pour les entreprises, les salariés et la société (effets sur les déplacements).

À la fin 2021, ce sont 22 % des salariés qui travaillaient en permanence en mode hybride (INSEE Focus, 09.03.22). 61 % sont des cadres ! Que faire pour les autres ? Jouer davantage sur les différents types de « congés thématiques » (paternité, congés parentaux, congés de formation, de transition professionnelle, congés sabbatiques, congés proches aidant…) ? Trouver d’autres formes de compensation ? 15 % des entreprises américaines proposent à leurs salariés des congés sabbatiques, mais les amateurs sont sans doute les mêmes que ceux qui télétravaillent !

Dans le même temps, on voit des entreprises proposer de nouveaux services à leurs collaborateurs qui relèvent largement de la vie privée. Ainsi, dans un entretien pour Le Comptoir de la Nouvelle entreprise, la DRH de Siemens France expose comment l’entreprise a créé une « plate-forme de la parentalité » qui propose différents services (CESU pour les gardes d’enfant, dons de jours de RTT, aide à l’orientation scolaire des adolescents…), dans le cadre de sa politique de qualité de la vie au travail. Un luxe de grande entreprise ?

Les secteurs qui peinent à recruter et ne traitent pas toujours très bien leurs salariés seraient bien avisés de penser à leurs conditions de travail et à leurs possibilités (logement, transport, problèmes des familles monoparentales…) d’organiser leur vie quotidienne tiraillée par différentes exigences.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.