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Contre les discriminations, les Britanniques s’appuient sur l’appartenance ethnique

publié le 2007-01-01

Vingt-et-un an après la loi interdisant la discrimination raciale au travail, le taux d’emploi des personnes issues des minorités ethniques (moins de 60%) stagne, 15 points derrière celui des « blancs » (74,8%). Au rythme des progrès actuels, un jeune chômeur noir aura l’âge de la retraite, dans 45 ans, quand il pourra espérer les mêmes opportunités de travail qu’un Blanc ! Ces disparités sont pourtant une constante préoccupation du gouvernement. Dernière initiative en date : l’introduction, dans les statistiques trimestrielles du ministère du Travail, d’une nouvelle rubrique détaillant l’origine ethnique des bénéficiaires de l’allocation chômage.

Cette initiative peut paraître surprenante en France où l’on juge discriminant et suspect de distinguer les gens par race, mais le principe du monitoring ethnique est ancré depuis longtemps dans la société britannique : il s’agit de mesurer la représentation des personnes d’origine étrangères afin de redresser les inégalités.

Les Anglais sont habitués à remplir des formulaires avec une case « origine ethnique » au milieu des questions sur l’état-civil. Cette pratique, créée en 1965 avec la toute première loi anti-discrimination, est recommandée par la Commission pour l’égalité des races (CRE). Est-elle polémique ? « Au début, il y a eu quelques remous, mais quand les chiffres ont commencé à montrer les inégalités qui persistaient dans notre époque soit disant éclairée, les critiques se sont tues », constate Iqbal Wahhab, homme d’affaires et restaurateur à succès choisi pour présider le Groupe de conseil (EMAG) auprès du taskforce gouvernemental. « La collecte des données ethniques est considérée comme un moyen évident et pragmatique de lutter contre les discriminations », renchérit Gabriela Flores, de la CRE. Elle est même devenue obligatoire en 2003 dans tous les organismes publics : ministères, administrations, collectivités locales, écoles, hôpitaux, universités, afin de pouvoir montrer, chiffres à l’appui, leur engagement en faveur de l’égalité raciale. Et l’Office national des statistiques publiait déjà, une fois par an, les chiffres de l’emploi chez les minorités. C’est un problème étudié de près, et depuis longtemps.

Pourtant, malgré une législation apparemment avancée, une batterie de commissions et de rapports où les diagnostics se suivent et se répètent, le chômage des minorités ethniques, soit 8% de la population (jusqu’à 30% à Londres), atteint 11,2%, contre 5,2% pour la moyenne nationale. Le pays a depuis longtemps identifié les causes de cet écart, sans réussir à les corriger : le manque de qualifications chez les jeunes en échec scolaire, le regroupement géographique dans des zones désavantagées où les opportunités d’emplois sur place sont faibles, et les réseaux de transport et d’information sont déficients, et enfin, le facteur le plus difficile à redresser, le racisme latent. Au sein même des minorités, certains groupes s’en sortent mieux que d’autres, en particulier, les Chinois, dont le niveau d’éducation est supérieur à celui des personnes blanches. Au contraire, les Pakistanais et Bengladeshis cumulent les handicaps. Même pour ceux d’entre eux qui ont des compétences professionnelles, le taux de chômage est deux fois élevé, par exemple, que pour les Indiens et les Noirs africains.

Bien que la CRE veille depuis plus de 30 ans à l’application des lois anti-discrimination, l’approche anglaise basée sur le volontariat, incarnée par le recours aux codes de bonnes pratiques, semble marquer un coup d’arrêt. « Nous ne faisons pas confiance au marché pour résoudre le problème », affirme Iqbal Wahhab. De fait, le ministère du Commerce et de l’Industrie estime que 24% des entreprises privées de plus 10 salariés effectuent un monitoring. « Il faut l’intervention du gouvernement, réclame le président de l’EMAG. Nous souhaitons en particulier qu’il utilise l’arme des marchés publics, en les attribuant aux entreprises qui font preuve d’une main d’œuvre réellement diversifiée ».

Léa Delpont à Londres

Quarante ans de lutte contre les discriminations

1965 : Adoption de la première loi (race relation act) interdisant les discriminations
1976 : Création de la Commission pour l’égalité, la CRE (Commission for Racial Equalitity)
1986 : Interdiction des discriminations dans le travail
2001 : publication d’un Rapport stratégique qui tire la sonnette d’alarme
2003 : création en du taskforce interministériel (EMETF)
2006 : Groupe de Conseil indépendant (EMAG) composé de 22 « sages » issus des communautés

 

Comment peut-on être Anglais ?

Il faudra que nous fassions réagir nos collègues européens sur cette lutte contre la discrimination « à l’anglaise », mais pour un Français moyen c’est, au premier regard, et ne serait-ce que sur la manière d’en parler, « shocking ». Où nous parlons d’ethnies, ils parlent de races ce qui est soigneusement évité chez nous. Ils peuvent dire « les Chinois ont un niveau d’éducation supérieure à celui de personnes blanches ». Là il se peut que le mot éducation veuille plutôt dire instruction, ce qui corrigerait quelque peu la connotation que lui donnerait le Français moyen et encore. Quand à la catégorisation de « personnes blanches », elle serait reçue de ce côté ci de la Manche comme politiquement très incorrecte.

La Grande-Bretagne n’a rien à nous envier en matière de démocratie, elle prend en compte dans ses statistiques l’origine ethnique alors qu’en France, ce serait considéré comme une atteinte à la dignité de l’homme. En Grande-Bretagne toujours, vous l’aurez lu dans le précédent numéro de Metis, les syndicats anglais ont créé et reconnu un syndicat de travailleurs polonais en accord avec Solidarnosc, ce qui ne viendrait pas à l’idée d’un syndicat français. D’où ces idées viennent- elles à nos amis Anglais alors qu’elles nous échappent malgré l’étroite proximité que nous avons avec eux depuis toujours ? A leur manière, statistiques ethniques à l’appui, ils font aujourd’hui le constat de leur échec en matière de discrimination comme nous pouvons faire le nôtre. Deux échecs à partager pour très sûrement découvrir que le racisme résiste très bien tant aux CV anonymes qu’à ceux qui sont transparents.

Henri Vacquin

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