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Le responsable de la politique de santé de la Deutsche Post déclarait dans une interview récente au journal « Les Echos » : « Lorsque un salarié se porte mal, c’est souvent lié à un problème de motivation. La meilleure action de prévention est de signaler à un salarié qu’on apprécie son travail ». Et il ajoutait « le fait d’avoir un travail est déjà en soi un facteur de santé ».

Ce ne sont pas des propos de café du commerce. Andreas Tautz parle en connaissance de cause. La Deutsche Post, confrontée il y a une dizaine d’année à un taux d’absentéisme particulièrement élevé et coûteux a mis en place des programmes relatifs à l’ergonomie et à l’alimentation ainsi que des campagnes de prévention contre le cancer ou l’infarctus. L’entreprise mobilise pour cela 50 médecins du travail et 170 responsables sécurité. Comment interpréter ces propos ? Ils nous disent deux choses essentielles qui dépassent largement les frontières de l’entreprise et les frontières de l’Allemagne.

La première confirme ce que toutes les études actuelles sur le sujet disent. Les questions de santé, dans les pays développés et syndiqués, quittent petit à petit l’univers des causes et des effets physiques, celui terrible de la silice et de l’amiante, pour entrer dans celui des contextes sociaux et humains et des conséquences mentales et psychologiques. Les chiffres convergent tous : le nombre de personnes souffrant de dépression dans tous les pays occidentaux a considérablement augmenté depuis 20 ans. En France, il aurait été multiplié par sept en dix ans. Ce qui pose me semble-t-il plusieurs problèmes nouveaux. Le premier tient à la difficulté de définir la maladie mentale. Les manuels de psychiatrie fixent un certain nombre de conditions à remplir par les patients pour qu’ils puissent être considérés comme déprimés. Les items les plus souvent retenus sont la tristesse excessive, la perte d’intérêt, l’incapacité à agir, les problèmes d’appétit, les problèmes de sommeil, la fatigue, la perte d’énergie, la culpabilité excessive, les difficultés à se concentrer, les pensées de mort. Un trouble mental n’est jamais défini de manière absolue. Il semble qu’il y ait un continuum entre le « vague à l’âme » et la maladie mentale. Qui peut se sentir définitivement à l’abri ? Devra-t-on demain déclarer la fatigue, la démotivation, le stress, comme des maladies au même titre que la dépression profonde ? Qu’on se comprenne bien. Il ne s’agit pas de nier la réalité de ces souffrances liées au sentiment qu’on ne « va pas y arriver », ou que « décidemment nos dirigeants, là haut, ils ne connaissent pas et ne reconnaissent pas la réalité de notre travail ». Il faut simplement, et c’est la deuxième difficulté, ne pas confondre la démotivation, le repli sur soi, une mauvaise humeur passagère, l’esprit critique, avec un trouble à soigner absolument. Dénoncer une volonté de normaliser les comportements est certainement excessif. Il n’en reste pas moins vrai que le ras le bol des procédures, des objectifs abstraits, des prescriptions qui contrarient la possibilité de réaliser « la belle ouvrage » dont on puisse être fier, ne doit en aucun cas être traité par une médication, fût-elle un simple placebo.

Rester jeune et beau

La deuxième chose induite par les propos de ce responsable des politiques de santé est que nos exigences ont considérablement changé. Longtemps nous avons demandé à l’art médical de nous soigner tout en priant pour qu’il nous guérisse. Puis nous avons exigé de la médecine qu’elle nous guérisse. Nous voulons aujourd’hui non seulement ne pas être malade, mais être en permanence en pleine possession de nos moyens, et si par malheur la maladie nous a atteint, nous exigeons d’être remis à neuf selon les normes d’une perpétuelle et idéale jeunesse. Et nous exigeons de notre travail, dans le même mouvement, non seulement qu’il n’altère pas notre « capital santé », mais qu’il concoure activement à cet épanouissement physique et psychologique. C’est très bien. Il ne faudrait tout de même pas qu’en retour, ce qui reste une illusion –rester toujours jeune et beau- ne soit la cause de notre déprime envahissante. Notre espérance de vie a doublé en un siècle et nous nous porterions de plus en plus mal… Là encore entendons nous bien. Il ne s’agit pas d’invoquer à bon compte le tragique de la condition humaine ou la fatalité des destins individuels pour s’exonérer de politiques de prévention, d’un management intelligent ou de politiques de reconnaissance. Il ne s’agit pas non plus d’exonérer ni les entreprises ni les pouvoirs publics de leurs responsabilités dans ces domaines. Il faut peut-être tout de même pouvoir dire que les responsabilités devront être partagées et que la diversité d’êtres humains singuliers est dans tous les cas préférable à l’uniformité, fût-elle celle des corps minces et bronzés, des sourires constants et éclatants et des esprits toujours positifs et motivés…..

Jean-Marie Bergère
Directeur général d’Astrées

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.