par CES
Alors que la France établit des critères de représentativité pour les syndicats par la voie légale, le système britannique est marqué par la tradition dite du « volontarisme », c’est-à-dire de l’action syndicale et de la volonté des parties, qui ne confiait qu’un rôle secondaire à la loi. Paradoxalement, c’est le gouvernement de Margaret Thatcher qui, afin de réduire le pouvoir syndical, s’est le plus servi de la loi. Et c’est sur pression syndicale – le TUC étant non seulement un des piliers constitutifs du parti travailliste mais un de ses principaux financeurs – que les gouvernements travaillistes qui ont suivi ont, par la loi également, modifié la situation.
Le panorama qui suit a été tiré d’un rapport publié en 2007 par la confédération syndicale internationale – et enrichi par des commentaires de John Ball, syndicaliste britannique du TUC participant à plusieurs projets européens conduits par l’Association Travail, Emploi, Europe, Société (ASTREES).
- Libertés syndicales en droit
La loi sur la consolidation des syndicats et des relations du travail (TULR(C)A 1992) établit la plupart des droits syndicaux, dont le droit des travailleurs à former des syndicats de leur choix et à s’y affilier. La loi sur les relations d’emploi (ERA) de 1999 renferme également des dispositions régissant les droits syndicaux. En 2004, une nouvelle loi sur les relations d’emploi a été introduite. Elle a renforcé la législation existante et a créé de nouvelles protections.
Reconnaissance statutaire : Les entreprises dotées d’un effectif d’au moins 21 employés sont tenues de reconnaître les syndicats, dès lors que ces derniers peuvent prouver qu’une majorité des employés veulent qu’ils les représentent. Un syndicat peut s’adresser à la Commission centrale d’arbitrage (CAC), organe gouvernemental, pour obtenir sa reconnaissance officielle. La CAC a le pouvoir d’obliger un employeur à reconnaître un syndicat aux fins de la négociation collective. Le soutien à la reconnaissance d’un syndicat doit être établi soit par l’affiliation majoritaire de la main-d’œuvre, soit par un scrutin organisé sur le lieu de travail où 40% des inscrits votent en faveur de la reconnaissance. Un syndicat doit détenir au moins 10% de l’affiliation d’une unité de négociation pour déclencher un scrutin. Les accords collectifs sont des accords volontaires et ne sont pas légalement contraignants. Traditionnellement, les syndicats ont soutenu l’approche volontaire. Selon John Ball, lorsque le syndicat se sent en position de force, la seule « menace » de recourir au scrutin conduit souvent l’employeur à reconnaître l’existence du syndicat.
L’ERA de 2004 protège les travailleuses et les travailleurs contre des incitants qui leurs seraient offerts par leur employeur pour ne pas s’affilier à un syndicat, ne pas prendre part aux activités de leur syndicat ou recourir à ses services et pour renoncer à ce que leurs conditions d’emploi soient déterminées par une convention collective négociée par leur syndicat. Les travailleuses et travailleurs sont également protégés contre le licenciement ou contre d’autres formes de représailles pour avoir fait appel aux services de leur syndicat. Ces droits ont été effectivement utilisés dans une affaire impliquant l’entreprise de commerce de détail ASDA, qui a cherché, en 2005, à pousser les travailleurs à «renoncer volontairement» aux dispositions établies au titre de la négociation collective. Début 2006, le tribunal a exigé de l’employeur le paiement de 850.000 livres sterlings en guise de compensation. La loi renforce le rôle des syndicats lors d’audiences pour le règlement de conflits ou d’audiences disciplinaires, en octroyant aux travailleurs le droit d’être accompagnés, mais également au représentant syndical de prendre la parole au nom des travailleurs, point qui restait quelque peu ambigu aux termes de l’ERA 1999. Cette règle est d’application, même s’il n’y a pas de syndicat dans l’entreprise où les employés travaillent (une clause qui figurait déjà dans l’ancienne loi).
Manque de protection des employés des petites entreprises : Les entreprises qui emploient moins de 21 travailleurs sont exclues des dispositions relatives à la reconnaissance officielle prévue dans l’ERA.
Droits d’information et de consultation : L’ERA de 2004 donne au gouvernement le pouvoir d’établir des réglementations pour appliquer la directive de l’Union européenne en matière d’information et de consultation. Les employés auront le droit d’être informés et consultés au sujet de toute décision affectant leur emploi, faute de quoi les employeurs risquent des amendes pouvant aller jusqu’à 75.000 £.
Grèves autorisées – avec des restrictions : Il faut que les grèves soient confinées aux travailleurs et à leur propre employeur, le conflit doit porter uniquement ou essentiellement sur des questions liées à l’emploi et la décision de grève doit se prendre par scrutin secret parmi les travailleurs concernés. Si des travailleurs ayant fait grève sont licenciés dans les douze semaines après leur participation à une grève légale, ils sont en droit d’invoquer le licenciement abusif. Dans la plupart des cas, une fois écoulé le délai de 12 semaines ou après une période plus longue lorsqu’il y a eu un lock-out, les employés peuvent être licenciés légalement pour avoir pris part à une grève légitime. Toutefois, l’ERA de 2004 exige davantage des efforts des employeurs pour régler le différend par le biais de la conciliation. S’ils ne le font pas, les licenciements effectués après la période protégée peuvent être jugés illégaux.
Piquets de grève de soutien et grèves de solidarité toujours illégaux : La mise en place de piquets de grève «secondaires», c’est-à-dire autour d’établissements traitant avec des entreprises en grève, est interdite. Il n’y a aucune immunité en responsabilité civile pour les travailleurs qui prennent part à des grèves de solidarité.
Lois sur l’insolvabilité : En vertu de la loi actuelle sur l’insolvabilité, les entrepreneurs peu scrupuleux peuvent aisément licencier des travailleurs, se mettre en faillite et procéder au rachat des avoirs de la société en faillite, pour ensuite reprendre les affaires sans avoir à verser le moindre sou d’indemnisation aux travailleurs congédiés.
Projet de loi sur la liberté syndicale – protection accrue du droit de grève : Faisant suite à la résolution adoptée à l’occasion de son Congrès de 2005, la confédération syndicale nationale TUC (Trade Union Congress) cherche à faire adopter un projet de loi sur la liberté syndicale. Les propositions contenues dans ce projet de loi prévoient notamment la protection contre le licenciement pour participation à une action collective, la simplification des règles complexes régissant le vote et les préavis de grève, le renforcement de l’interdiction du recours aux intérimaires en tant que main-d’œuvre suppléante pendant les grèves, la réforme de la loi sur les injonctions contre les actions collectives et la mise à jour de la définition du différend du travail. D’après le TUC, en dépit des changements importants intervenus depuis 1997 dans la loi sur les relations du travail, les membres de syndicats en Grande-Bretagne ont moins de droits pour ce qui a trait à l’organisation d’une action collective à l’heure actuelle qu’ils n’en avaient en 1906, quand le système actuellement en vigueur a été instauré. A l’inverse John Bal se réjouit de a fin du « closed shop » où il fallait obligatoirement s’affilier pour entrer dans telle ou telle entreprise : » l’absence de volontariat du salarié était contre productive pour le syndicat lui-même. »
- Libertés syndicales dans la pratique
La caractéristique la plus remarquable de la nouvelle procédure légale relative à la reconnaissance syndicale obligatoire a été l’augmentation considérable des accords volontaires. Il n’en reste pas moins que, même aujourd’hui, environ un tiers seulement de la main-d’œuvre est couverte par des conventions collectives, soit environ la moitié de la moyenne européenne. Selon John Ball, la question de la représentativité se pose simultanément à deux niveaux : celui de la représentativité des syndicats vis-à-vis d’organisations tierces – employeurs, gouvernement, ONG etc. – mais aussi vis-à-vis des travailleurs et des affiliés -, en quoi le syndicat peut-il prétende les représenter dans leur diversité ? Traiter l’un sans traiter l’autre relève pour lui d’une erreur stratégique fondamentale.
Tactiques antisyndicales : Un rapport intitulé «Des droits modernes pour des lieux de travail modernes» (Modern Rights for Modern Workplaces) publié par le TUC en septembre 2002, énumère une série de tactiques utilisées par des employeurs hostiles aux syndicats au cours d’une demande de reconnaissance et notamment la création d’une association interne du personnel : mise sous surveillance des travailleurs lorsqu’ils sont vus aux côtés d’organisateurs syndicaux en dehors du lieu de travail, menaces de fermeture ou de transfert de leurs activités commerciales plutôt qu’octroi de la reconnaissance au syndicat, intègration dans l’unité de négociation de nouveaux employés temporaires avant le scrutin, présence en grand nombre du personnel de direction aux réunions accessibles au syndicat, possibilité donnée aux salariés de rentrer chez eux plus tôt lorsqu’une réunion syndicale est organisée, licenciement des militants ou déclaration que leur emploi est supprimé, intimidation des travailleurs au cas par cas et «encouragement» des travailleurs à signer des contrats personnels avant ou après l’octroi d’une reconnaissance.
En novembre 2003, le TUC a publié les résultats d’une enquête sur les réponses patronales à l’organisation syndicale. D’après l’enquête, une faible minorité d’employeurs ont fait appel à l’aide d’agences de conseil américaines pour saborder efficacement les tentatives de syndicalisation (cf Metis). Les employeurs voulant résister à la syndicalisation ont eu recours à un éventail de tactiques allant des représailles et du licenciement de militants syndicaux à l’interdiction d’accès aux lieux de travail, la dissuasion active de l’adhésion et la diffusion de propagande antisyndicale, en passant par les stimulants financiers et l’établissement de nouveaux mécanismes de consultation. Grâce à la campagne menée par le TUC, de nouvelles lois interdisant le recours aux pratiques déloyales par les employeurs ou les syndicats sont entrées en vigueur en 2005. De nouveaux cas de pratiques déloyales ont cependant été signalés en 2006.
Résistance patronale à la reconnaissance syndicale : Une étude publiée en avril 2006, réalisée conjointement par le TUC et le Département de recherche sur le travail (Labour Research Department), montre que les syndicats ont de plus en plus de difficulté à obtenir la reconnaissance des employeurs. La période comprise entre novembre 2004 et octobre 2005 a vu une diminution sensible du nombre de nouveaux accords de reconnaissance syndicale signés ; 61 accords couvrant 12.000 employés ont été signés sur une période de 12 mois, par rapport à 179 accords couvrant 20.000 travailleurs l’année antérieure. L’étude montre également que la lutte pour la reconnaissance syndicale a été plus intense, avec une nette augmentation du nombre de campagnes syndicales menées en vue de la conclusion d’accords de reconnaissance.
Claude-Emmanuel Triomphe avec la CES
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