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Les exemples ne manquent pas d’instaurations de postulats dans notre Histoire, du « communisme » au « national socialisme » et au « néolibéralisme » initié dés la fin des années 70.

Un postulat c’est « le principe d’un système déductif qu’on ne peut prendre pour fondement d’une démonstration sans l’assentiment des auditeurs ». Un assentiment qui, pendant toute la durée de la démonstration, se paie du renoncement à la question des valeurs qui en amont fondent le système et les déductions du raisonnement.

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Mais il est des démonstrations si longues que l’assentiment initial des auditeurs, à se perpétuer trop longtemps, peut faire perdre l’exercice même de la question et empêcher la capacité de la concevoir autrement que dans le cadre de la conformité aux valeurs fondatrices du postulat. Cette étape atteinte, les valeurs autres que celles du postulat se perdent, n’étant plus portées comme référence du questionnement, une pensée unique s’installe.

Sans contrepouvoir, le système s’érige dans une toute puissance dévastatrice, seule à même de révéler aux auditeurs les symptômes de ses nuisances. Mais le dévoilement des symptômes ne livre pas pour autant leurs sources profondes. Dans un premier temps, le fracas de l’écroulement sidère et aveugle par son éclat, tout autant qu’il donne à voir, tant l’activisme nécessaire à chaud sur l’événement occupe tout l’espace. Un activisme mené par nos édiles aux affaires, tous identifiés au système de valeurs qui nous a mené au gouffre et qui veulent nous faire croire, telle Bernadette Soubirous, à un désenvoûtement en temps réel de leur part. Rien là, derrière les déclarations ou « plus rien après ne sera comme avant » qui ne soit crédible. La révélation des crimes de Staline par Khrouchtchev n’a amené que Poutine. En quoi le capitalisme serait-il capable, lui, de changer inéluctablement ? Il a certes l’avantage d’avoir su cohabiter avec la démocratie mais sans que celle ci n’empêche l’assentiment du plus grand nombre à l’assujettissement aux postulats.

Il est difficile de se raconter que cette crise puisse être la « der des ders » et d’autant plus qu’il ne suffirait pas d’aller débusquer les mécanismes de l’assujettissement entamé depuis un quart de siècle au postulat thatchero-reagano-friedmano monétaire. Le postulat s’est en effet beaucoup enrichi dans sa perversité de ce que lui a apporté en 1989 l’écroulement du mur de Berlin. Le trop d’Etat totalitaire à l’Est n’a pas été sans ajouter à la crédibilité du moins d’Etat à l’Ouest et l’efficacité des plans quinquennaux à celle de la main invisible du marché. Quant à la liberté, fut-elle celle du renard dans le poulailler, il ne faisait plus grand doute dans les démocraties de la planète qu’elle valait beaucoup plus que celle d’un soviétique dans un Goulag. C’était là un coup de pouce au postulat néolibéral non négligeable qui allait propulser le marché au pinacle de la planète mais pas seulement.

En effet, les deux modèles qui s’affrontaient antérieurement sur la planète avaient beaucoup plus de caractéristiques communes que leur adversité n’en donnait à voir. A l’efficacité près, le productivisme n’était pas moins partagé à l’Est qu’a l’Ouest, Tchernobyl en 1986 suivait de 10 ans Seveso. Le progressisme à tout crin vers les lendemains qui chanteraient, pour faire tolérer les souffrances du présent, n’était pas moins valorisé à l’Est que la fuite en avant à l’Ouest au détriment du développement soutenable. Enfin le communisme inventeur de la Science de l’Histoire, n’avait rien à envier au scientisme à l’Ouest d’un « meilleur des mondes » annoncé depuis longtemps déjà. Quant à la rapacité au gain, moteur de l’Histoire en capitalisme, on réalisa très vite qu’elle avait des tenants très fervents à l’Est. Elle mit beaucoup moins de temps à se révéler que Mao n’en mit pour parcourir sa longue marche.

Les valeurs néolibérales, avec l’appui des valeurs productivistes, du progressisme fin en soi, du technoscientisme et de la rapacité au gain issues de l’Est, étaient désormais mondiales. Plus un lieu de la planète ne leur 2chappait, et le changement n’était pas que quantitatif. Face à cela et à l’assentiment qu’y ont donné les opinions publiques, dans les lieux où elles ont droit de cité, qu’attendre d’une possible actualisation du capitalisme, quand la crédibilité d’une révolution de type 1917 n’a plus de sens et que la révolution de type « orange » est loin d’avoir fait ses preuves ?

En l’instant, opinions publiques et sociétés civiles de la planète peuvent difficilement ne pas être inquiètes de ce qui les attend, ce dont, à juste titre, les édiles aux affaires sont d’ailleurs plus soucieux qu’à l’accoutumé. A contre culture de la bonne vieille tradition libérale on nationalise là, on prône la nécessaire régulation et le contrôle partout, on est même prêt en Grande-Bretagne à faire de l’anti-bouclier fiscal, ce qui au passage ne valorise pas particulièrement le nôtre. On promet monts et merveilles dont la suppression des paradis fiscaux, la réduction des salaires exorbitants, pour ne plus légitimer que ceux « mérités », sans préciser les critères d’appréciation du mérite qui exigeraient quelque refonte. Ainsi, selon la presse d’outre atlantique, des critères qui ont légitimé le versement aux financiers américains de 90 milliards de dollars en contrepartie de 10 000 milliards de perte.

Ces financiers ont fait cela en toute légalité et si la justice se voudrait rétroactive ; la loi ne l’est pas. C’est bien là que le bât blesse profondément les opinions publiques, au sein desquelles, le sentiment d’injustice doublé d’un quart de siècle d’impuissance a alimenté une colère rentrée qui ne demande qu’à éclater. Puisse cette colère, partout où elle le peut, devenir manifeste. Il nous faut une crise sociale et sociétale pour accompagner la crise financière si l’on ne veut pas faire de la non assistance à nos édiles aux affaires. Une longue cure de pression de la société sera seule capable d’acculer nos hommes politiques au désenvoûtement du postulat néolibéral enrichi du communisme de marché. Après tout, un appel au peuple n’est pas forcément un appel au crime, il y a peut-être en Europe, sinon chez nous, des restes de social-démocratie susceptible d’offrir un discours pour donner sens à cette colère. En France, si la colère émerge enfin, il ne nous restera qu’à espérer une grande ouverture à la flexibilité idéologique de la majorité de droite aux affaires et de notre syndicalisme, aussi décrié qu’il soit, la capacité à réguler les grandes déstabilisations sociales et sociétales, car il reste la seule force à pouvoir le faire.

Henri Vacquin 

« Mes acquis sociaux » au Seuil. Collection « non conforme »

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