par Manager sous X
Le poète disait que de la noirceur sortirait une étoile… espérons-le, car ce que nous vivons depuis quelques années de l’effet de la réforme du social dans les entreprises est une belle noirceur, une perte progressive du sens, du sens tout court comme de celui de la relation à l’autre, de ce « désir de bâtir ensemble », cet affectio societatis que le droit commercial définissait comme l’essence même de l’entreprise. Sans désir partagé, point d’entreprise.
Avant la noirceur, il y eut une brume légère et prometteuse pour certains dirigeants, celle visant à nous libérer, nous employeurs, une sorte de version française de « l’empowerment » anglo-saxon : sans qu’une barricade ne s’élève, qu’une opposition ne s’oppose, qu’un syndicat ne banderolise. En quelques mots et quelques mois, voilà la sacro-sainte hiérarchie des normes juridiques mise sens dessus dessous : je peux maintenant imposer par contrat à un salarié des dérogations à l’accord d’entreprise, la convention collective et tutti quanti. « Tu voulais les clefs du social, aurait dit l’omniprésident à la dame du MEDEF… Tu les as… ». Il manquait une clé du royaume des cieux, ce fut celle de la réforme de la représentativité : les nouveaux critères de représentativité sont censés provoquer un beau foutoir intersyndical, de quoi, dans l’esprit du législateur président, asseoir le DRH dans son nouveau rôle de souverain du social.
La gestion calamiteuse des 35 h a brouillé les pistes et renforcé les haines
Il y eut ensuite un tir soutenu de fumigènes pour que les repères se brouillent, pour que les gens ne s’y retrouvent pas. Avant, il y avait le salaire d’un côté, les dispositifs d’épargne d’entreprise de l’autre. Aujourd’hui, l’omniprésident voudrait bien distribuer plus de cash : attention, attention, nous savons tous qu’à rendre l’épargne liquide, on prend un gros risque. Si les gens considèrent cette épargne comme du cash, les années de mauvais résultats, pas de participation, pas d’intéressement… c’est la promesse de conflits sociaux comme la France en a peu connus… Avant il y avait les 35 heures. Aujourd’hui, on peut travailler plus et gagner plus. Nous savons tous que les 35 heures n’existaient plus depuis longtemps pour beaucoup de salariés. La gestion calamiteuse de leur disparition a brouillé les pistes et renforcé les haines : un jour, je te mets au forfait jours, mais attention, t’as des compensations, les RTT, c’est super… le lendemain, je te les rachète… mais attention, seulement sur deux ans, faut pas pousser quand même… le surlendemain, je t’allonge ton forfait jours… etc. etc. La haine sociale qu’avait provoqué l’apparition des 35 heures (il y avait ceux qui en bénéficiaient et tous les autres) est aujourd’hui décuplée : ceux qui croyaient avoir enfin gagné un morceau du gâteau (je parle des cadres – je fais partie des nombreux DRH a avoir été surpris par l’attachement viscéral des cadres à ce thème au moment de l’instauration des 35h), eux qui représentent l’énergie de la machine entreprise, vous pouvez être sûrs qu’ils vont se mettre aux abonnés absents, voire à la grève du zèle. Pensez donc, dans un temps où un amendement de nuit introduit la « liberté » de travailler jusqu’à 70 ans, si l’on veut durer jusque là, c’est pas le moment de prendre des risques…
Ce que nous sommes en train de faire, c’est briser toutes les solidarités
L’ennui, quand la brume s’est dissipée, c’est que l’analyse était fausse, contra-cyclique : on n’a pas besoin de plus de souplesse de l’appareil de production quand il ne tourne pas à plein régime. Nous sommes quasiment l’économie occidentale la plus productive… la faute en revient à la dame des 35 heures… et nous assurons la souplesse nécessaire des effectifs par le recours à des mondes obscurs et parallèles qui s’appellent stages, CDD, intérim et sous-traitance. Ces mondes obscurs ne passionnent ni les patrons que nous sommes ni nos partenaires sociaux. C’est comme à Athènes, ce n’est une démocratie que pour les citoyens.
C’est bien là que le bât blesse. Ce n’est pas que l’analyse économique était mauvaise, çà, on peut toujours le corriger. C’est surtout que ce parti pris idéologico-économique porte en lui un poison bien plus grave : ce que nous sommes tous en train de faire, c’est de briser toutes les solidarités qui existent encore et de monter les gens les uns contre les autres : les syndicats entre eux, les cadres contre les non cadres, les CDI contre tous les formes de travail précaire.
Puisqu’il est encore l’heure des vœux, voilà le mien. A l’heure où nous ressortons sans honte nos vieilles recettes (plans sociaux, chômage technique, départs volontaires), que quelques lieux de petite lueur apparaissent où nous, employeurs, puissions partager sur des recettes anti-crise moins dévastatrices, avec des syndicats moins tétanisés, pour inventer quelques solidarités nouvelles à proposer aux puissances publiques (l’emploi, c’est la communauté de travail quelque soit son statut, le territoire, c’est l’Europe).
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