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par Manager sous X

Camera cafe

Discussion dans une grosse boîte de services informatiques entre un syndicaliste ingénieur et un collègue ingénieur non syndiqué, après une réunion de négociation annuelle obligatoire.

–        Alors, cette négo ?

–        Bof… Le patron a profité de l’occasion pour venir nous parler de la crise et de ses conséquences. C’était un exposé lucide et correct comme on aimerait en avoir plus souvent avant les crises… Tout ça pour nous dire que les temps à venir seraient durs et que nos salaires n’augmenteraient que de 0,5% en 2009 et seulement au mérite. Pas de mesures générales. L’ennui, c’est que quand ça allait bien les années d’avant, on nous avait tenu le même discours, avec un peu plus de grain à moudre mais à peine et là, c’était la concurrence indienne qui était en cause etc, etc.

–        Tu peux pas nier que ça existe !

–        Certes, mais on ne peut pas tout de même adopter le code du travail de Bangalore et les salaires indiens. Les salariés ne sont pas responsables de l’insuffisance de montée en gamme des produits ou des traités qui instaurent le libre échange absolu.

–        OK mais tu proposes quoi ?

–        A tout le moins une plus grande transparence. On en a marre de ce management opaque et de plus qui ne tient jamais ses engagements. Chaque année les sacrifices qu’on nous demande sont la promesse de lendemains qui chantent. C’est pas drôle ça ! C’était les cocos qui tenaient ce discours. Aujourd’hui c’est le serrage de ceinture perpétuel, l’éternel marche ou crève. Les mesures d’économie que le patron a annoncées ne sont pas idiotes a priori. Mais elles ne sont pas équitables. Pourquoi nous et pas eux. On voudrait connaître les économies sur les dividendes, sur la rémunération des trente ou quarante plus hauts salaires, sur les stock options etc. Le plus incroyable c’est qu’on nous annonce comme en 14 une grande campagne de mobilisation pour atteindre les objectifs !

         Ah les fameuses réunions en cascade du PDG aux techniciens ! Ils nous font marrer, ce qu’ils ne savent pas c’est que 80% des cadres n’y croient plus et leur relais des messages venus d’en haut manque furieusement d’enthousiasme. Tout le management intermédiaire se sent floué !

–        Si c’était le cas, vous devriez péter le feu vous les syndicats et occuper tout le terrain.

–        Pas du tout, nous sommes nous-mêmes victimes de la même disqualification, au mieux nous avons limité les dégâts, mais nous n’avons rien empêché et pire nos modestes suggestions alternatives n’ont jamais fait le poids. Nous sommes aujourd’hui incapables d’un vrai rapport de force dans le privé, on obtient plus des juges que des luttes. Les seules grèves un peu sérieuses ont lieu dans le public et tu m’avoueras qu’elles ont de plus en plus une allure corporatiste. Nous, nous avons négocié la paix sociale mais elle ressemble de plus en plus à la paix des cimetières.

–        N’exagères pas ! Le naufrage du libéralisme sauvage auquel on vient d’assister devrait tout de même apporter de l’eau à votre moulin et faire repartir les rapports de force dans le bons sens, augmenter la mobilisation…

–        Je n’en suis pas si sûr ; les périodes de crises font peur et ne favorisent pas les conflits. Ce que je constate est tout autre. Un désenchantement amer des salariés y compris dans l’encadrement. La société de défiance dont on a beaucoup parlé je la vois à l’œuvre avec son scepticisme, son cortège de sinistrose et de stress qui sont liés, son absence de perspectives et donc de mobilisation. On est à la fois dans le stress et dans l’ennui.

Pire encore, les plus jeunes, les plus dynamiques ont perdu toute idée de solidarité, de collectivité sociale. On voit émerger un individualisme morose. On passe insensiblement de la société de défiance à la société de vengeance. Ne pas se faire prendre voilà le slogan caché. Ne pas se faire prendre par le baratin du management, ne pas se trahir, faire le dos rond, le service minimum pour ne pas perdre son boulot, partir dès qu’une bonne occasion se présente. En face le système est trop verrouillé , trop fort pour être affronté par des contreprojets une contre-stratégie, un autre modèle et toutes ces foutaises. C’est ce que pensent beaucoup de jeunes parmi les bons. S’il doit se casser la gueule c’est par lui-même, comme il vient de commencer à le faire, il faut juste se défouler hypocritement ici ou là, sans se faire prendre. C’est comme en banlieue, la vengeance ça soulage.

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