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Difficile à définir, à observer et donc à piloter, la sous-traitance échappe à la régulation. Le défi économique reste entier

 

sous traitant

En Europe, les relations de sous-traitance sont très différentes selon le donneur d’ordre, la filière et le pays. Il n’existe pas de définition européenne commune de la sous-traitance, car celle de la Commission européenne n’a pas de valeur juridique. Au mieux, il est possible de distinguer quatre typologies de sous-traitance : de spécialité ou de capacité, selon le rang dans la chaîne de sous-traitance, selon le degré d’externalisation, sur site ou hors site.

 

Le processus est aussi difficile à objectiver faute de données. Eurostat compile très peu de données économiques et encore moins de données sociales. Fernando Vasquez de la DG Emploi reconnaît donc qu’il est difficile de « piloter vraiment la politique industrielle en Europe ». Pour compenser cette faiblesse, la Commission Européenne a soutenu un projet coordonné par l’ANACT, qui a rassemblé des partenaires issus de cinq pays européens : Allemagne, Espagne, France, Hongrie et Royaume-Uni. Les résultats ont été présentés lors d’une conférence internationale à Lyon en février dernier.

 

L’étendue de la sous-traitance

Les entreprises offreuses de sous-traitance sont avant tout en Allemagne, en France et en Italie. Suivent de près le Royaume-Uni, l’Espagne et les Pays-Bas. Daniel Coué remarque que « le classement reste le même. L’Allemagne est largement en tête. Le volume de chiffre d’affaire est le double de celui des entreprises françaises, qui arrivent en second. La bataille se joue entre les pays plus petits : Espagne et Royaume-Uni, Autriche et Pays-Bas ».

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L’économiste s’étonne cependant que l’Allemagne qui « sous-traite énormément dans les pays d’Europe centrale, n’ait pas un chiffre d’affaire plus faible ». De fait, les composants sont fabriqués à l’Est, mais l’assemblage des produits se fait en Allemagne, grâce aux syndicats qui ont signé des accords de modération salariale.

 

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Ce graphique montre d’ailleurs que la sous-traitance dans les 15 premiers pays membres de l’Union Européenne génère 390 milliards €, bien au-dessus de celle des nouveaux pays membres, à 63 milliards.

 

 

 

 

Reflet des nouveaux modes de production

La sous-traitance est une réalité de l’entreprise-réseau. Une entreprise ne maîtrise pas toutes les technologies nécessaires pour atteindre la sophistication actuelle des produits. « On ne plus parler d’entreprise classique, le sens juridique est trop limité, explique Bertrand Vial d’Astrees. La firme est souvent passée par la filialisation, l’externalisation. L’entreprise-mère s’est ensuite délestée de ses filiales, qui sont devenues autonomes. Si le lien commercial subsiste, il est donc très fort. Par exemple, une décision du donneur d’ordre peut impacter directement les salariés du preneur d’ordre. On est passé d’une relation bilatérale simple, à une relation tripartite. Un salarié reçoit des ordres de la hiérarchie et de l’entreprise donneur d’ordre, avec laquelle il n’a en principe aucun lien juridique ».

 

Les grands constats relevés par les partenaires du projet européen piloté par l’ANACT ont permis de dessiner les principales caractéristiques des relations de sous-traitance en Europe. La sous-traitance, à laquelle le recours n’a cessé de s’accroître depuis 30 ans, est considérée comme source à part entière de création de valeurs pour les donneurs d’ordres européens.

 

Les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants de rang 1 européens sont souvent des relations de confiance ou de partenariats, coordonnées notamment grâce à des outils de gestion et de communication dédiés. Les relations sont plus difficiles entre les autres niveaux de la chaîne de valeur. Or, le nombre de sous-traitants de rang 1 tend à se réduire : le besoin de confiance et de prédictibilité des donneurs d’ordres se traduit par une volonté de concentration des intermédiaires directs où seuls les plus compétitifs survivent.

 

Prix, qualité et délai sont les principaux critères de sélection des sous-traitants en Europe, les critères de RSE restant secondaires. Les pressions (notamment tarifaires) exercées sur les sous-traitants se traduisent de façon quasi automatique par une dégradation très nette des conditions de travail de leurs salariés.

 

En Allemagne, les collaborations d’ordre financier sont monnaie courante entre donneurs d’ordres et sous-traitants de rang 1. La filière dans son ensemble est ainsi renforcée. « L’Allemagne part du principe que tout produit de qualité exige une chaine de production de qualité saine, dont chaque maillon doit tirer un bénéfice », rapporte Daniel Coué.

 

Bonnes et mauvaises pratiques

La caricature tend à encenser les entreprises d’Europe du Nord, et diaboliser celle d’Europe du Sud. Les donneurs d’ordres français seraient peu scrupuleux, achètent n’importe quoi, n’importe où, exploitent leurs sous-traitants, alors qu’en Allemagne, la solidarité est plus spontanée.

 

Les pays latins estiment ces relations à l’aune du Code Napoléon. L’article 1583 du Code Civil considère que la vente est parfaite quand le donneur d’ordre et le sous-traitant se sont mis d’accord sur le produit, la vente et sur le prix. En théorie, l’acheteur est donc déjà propriétaire du produit, quand le sous-traitant est en train de le fabriquer, faire tourner ses machines, puis le livre. « Il a le droit d’y coller une étiquette, faire des trous, l’assembler dans une machine, égrène Daniel Coué. C’est seulement quand il le vend, qu’il est obligé de payer son sous-traitant. Mais là encore, il a 60 jours, il a le temps de faire travailler l’argent… ». Selon lui, c’est une des raisons majeures de la fragilité des preneurs d’ordres en France, Espagne, Italie, Grèce et Portugal.

 

Dans tous les autres pays, que ce soit au Royaume-Uni, sous régime jurisprudentiel ou en Allemagne, la vente est parfaite, quand la livraison est payée. Le donneur d’ordre doit payer très vite son fournisseur, sinon il se retrouve dans l’illégalité. La moyenne des paiements est inférieure à 30 jours dans ces pays-là.

 

 

Les efforts de régulation

En France les syndicats proposent de légiférer sur le contrat écrit, sur des contrats de plusieurs années, surtout si le sous-traitant a investi dans des machines coûteuses, et que son donneur d’ordre lui annonce qu’il ne renouvelle pas et s’en va en Chine…

 

Le Parlement européen a demandé à la Commission de se saisir de la question en mars 2009 : valoriser les bonnes pratiques, mettre en place un instrument européen de responsabilité solidaire dans la chaîne de sous-traitance en passant par la développement de pratiques RSE et l’encadrement des détachements transnationaux de travailleurs.

 

Lors de la conférence de Lyon, Fernando Vasquez de la DG emploi a douché les espoirs.

« L’Europe ne fait aucune référence à la sous-traitance lorsqu’elle parle de politique industrielle. On estime que c’est une affaire privée, dont le pouvoir public européen ne doit pas s’en mêler. Le livre vert sur les restructurations aurait aussi pu intégrer la dimension sociale de la sous-traitance, des mesures palliatives en cas de crise pour couvrir l‘ensemble de la chaine. Mais le sujet est très sensible. Beaucoup de personnes au sein de la Commission trouvent que la préoccupation pour ce sujet est excessive. Notre droit de la concurrence influence ces questions : en définissant les cartels, l’entreprise et le groupe ». Rien ne se fera au niveau européen, qui opte pour le statut quo. Peut-être est ce pour le mieux, car dans le contexte de dérégulation ambiante, les choix ne seront par forcément les bons. « Avec la crise, on assiste à la déconstruction du droit du travail imposée par l’UE, le FMI, la Banque centrale européenne. Certaines règles sont mises en causes. On assiste rapprochement du droit civil et du droit du travail, donc dans les faits à la disparition du droit du travail. Dans ce contexte, c’est relativement dangereux de légiférer ».

 

Le statu quo réglementaire oblige à se tourner vers les outils de soft law comme la RSE. Julien Pelletier de l’ANACT regrette cependant que les normes RSE soient élaborées par les donneurs d’ordre, peu déclinées par la direction des achats, et dépassent rarement le sous-traitant de premier rang. L’ANACT propose donc de labéliser les conditions de travail plutôt que les produits.

 

Ricardo Rodriguez propose de son côté de créer un cadre européen pour le dialogue sur la dimension sociale de la sous-traitance. Trop souvent, les syndicats salariés du donneur d’ordre et celui du sous-traitant sont en concurrence, voire les sous-traitants entre eux, entre les filiales.

 

Enfin, d’autres rapports de force jouent sur les filières. « La distribution met en difficulté l’industrie, car elle privilégie les industries chinoises ou indiennes, explique Daniel Coué avec pessimisme. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus acheter un vélo, une perceuse, ou une moto européenne. Dans 10 ans, ce sera les voitures, dans 20 ans, les avions. Ces produits entrent en franchise en Europe, ce sont les règles du commerce internationales et les barrières douanières qu’il faut changer… »

 

À lire

– J. Pelletier (dir.), La régulation sociale dans la relation donneurs d’ordres et sous-traitants dans l’industrie en période de restructuration, Une boîte à outils, ANACT, février 2012 –

 

– Parlement Européen, Responsabilité sociale des entreprises sous-traitantes dans les chaînes de production, résolution du 26 mars 2009


 

 

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