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Pourquoi le rapport Larcher a t-il été enterré ? Le 27 janvier 2012, le Président de la République adresse à Gérard Larcher, ancien président du Sénat, et ancien ministre du travail, une lettre de mission. Il le charge de faire des propositions pour améliorer l’efficacité de la formation professionnelle. En jeu, l’utilisation de plus de 30 milliards d’euros chaque année.

 

Larcher

Le rapport est présenté à l’Élysée le 3 avril. Une présentation à la presse est prévue deux jours plus tard, mais elle est annulée à la dernière minute. C’est en fin d’après-midi, le vendredi 6 avril, début du week-end de Pâques, que le rapport « La formation professionnelle, clé pour l’emploi et la compétitivité » est mis en ligne sur le site de l’Elysée. Depuis, silence du commanditaire et du gouvernement. Il semble que le rapport n’alimentera pas le débat électoral sur la formation.

 

Un rapport technique
Le rapport de l’ancien Président du Sénat s’inscrit dans le prolongement de la loi de 2009 sur la formation professionnelle. Cette loi avait créé le droit individuel à la formation (DIF), le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels et réformé le plan de formation des entreprises.

Simplifier, clarifier, coordonner, tels sous les objectifs qui sous-tendent les 26 propositions sur le financement et la mise en œuvre des actions de formation. Le rapport souligne la multiplicité des dispositifs et des acteurs en charge de la formation professionnelle et relève nombre de dysfonctionnements. Il reste cependant prudent et apporte des réponses complexes et techniques. Pouvait-il en être autrement ? Ces pistes sont peu susceptibles d’alimenter en l’état des argumentaires électoraux.

 

Un rapport qui rappelle que les réformes doivent être soumises aux partenaires sociaux
Pour rester dans l’actualité chaude, on doit noter que le rapport Larcher s’inscrit en quadrature avec l’annonce d’un référendum sur la formation professionnelle des chômeurs.

Nicolas Sarkozy n’a pas attendu les conclusions de Gérard Larcher pour lancer en février la proposition d’un référendum sur la formation des chômeurs une « forme de révolution » du système d’indemnisation du chômage a-t-il précisé.
« Passé un délai de quelques mois, toute personne au chômage sans perspective sérieuse de reprise d’emploi devra choisir une formation qualifiante. Celle-ci sera définie par un comité national qui identifiera, avec des chefs d’entreprise et des syndicalistes, les secteurs d’avenir créateurs d’emplois. A l’issue de cette formation, qui sera obligatoire, le chômeur sera tenu d’accepter la première offre d’emploi correspondant au métier pour lequel il aura été nouvellement formé ».

Ce n’est pas vraiment au fond de cette réforme que s’oppose le rapport. La proposition de Gérard Larcher sur le sujet n’est pas incompatible avec celle du candidat à la présidentielle même si leurs intentions sont divergentes :

Proposition n°15 : Mettre en place un « Contrat Formation Emploi » (CFE) liant le demandeur d’emploi et Pôle emploi pour la mise en oeuvre d’une formation correspondant à des emplois disponibles ou des potentialités d’emplois. A l’issue de la formation, le demandeur d’emploi sera tenu dans les conditions fixées par la loi relative à l’offre raisonnable d’emploi d’accepter de candidater aux emplois disponibles. A défaut d’emploi disponible, ou si sa candidature n’est pas retenue, ses droits à indemnisation seront « rechargés ».

 

C’est le choix du référendum qui pose question, Gérard Larcher lève un obstacle conséquent, l’observation de la loi.

« Quand viendra le moment de l’action, la loi de 2007 devra naturellement s’appliquer pour donner toutes ses chances au dialogue social. Les grands principes de la formation professionnelle doivent faire l’objet, non d’un consensus a minima, mais d’une adhésion engagée de tous les partenaires à cette grande mission d’intérêt général en dépassant les cloisonnements inhérents à la multiplicité des systèmes et des statuts des personnes en formation. »

Le rapport est très clair, un référendum ne saurait se substituer au processus de négociation avec les partenaires sociaux. La loi du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social doit s’appliquer. Une loi sur la formation professionnelle doit obligatoirement être précédée d’une concertation avec les partenaires sociaux dans le but d’ouvrir une négociation.

 

Un rapport qui met les régions au cœur du dispositif
Autre objet de désaccord avec le gouvernement et le Président de la République, Gérard Larcher privilégie clairement la décentralisation et le rôle prééminent des régions pour améliorer l’efficacité des dispositifs de formation professionnelle. Il préconise d’améliorer la coordination entre les acteurs concernés et rejette notamment l’idée de confier à Pôle Emploi la responsabilité de la formation des chômeurs.

L’objectif est de développer une offre de formation territorialisée : « La demande sociale exige une plus grande proximité, une meilleure prise en compte des différences entre territoires, … l’aspiration de beaucoup à trouver un emploi près de chez soi. »

La très grande majorité de ses propositions illustrent cet objectif, parmi elles :

 

Proposition n° 10 : Mettre en place une démarche de territorialisation commune entre l’Etat, les Régions, les Départements et les partenaires sociaux en faveur des demandeurs d’emploi.

 

Proposition n°11 : Mettre en place sur tout le territoire des outils communs et partagés entre tous les prescripteurs pour faciliter l’orientation vers la formation.

 

Proposition n°5 : Poursuivre la mise en oeuvre du SPO (Service Public de l’Orientation) en confiant au Préfet de région et au Président du Conseil Régional la délivrance du label.

 

Proposition n°6 : Installer au moins une « Cité des Métiers » dans chaque région et lui confier l’animation des structures labellisées SPO dans le cadre d’un plan de développement signé entre le Préfet, le Recteur, le Président du Conseil Régional et les partenaires sociaux.

 

Proposition n°9 : Créer un « Pacte de Réussite Professionnelle » (PRP) autour d’une offre de formation qualifiante et certifiante pour les jeunes sans qualification en coordonnant les dispositifs existants et en assurant un maillage territorial. Le PRP sera proposé par les Missions locales et Pôle emploi et piloté par les Régions.

 

« Placé sous le pilotage des Régions, en lien étroit avec les Rectorats, il s’agirait de créer plus de coordination et de synergie autour de l’objectif d’inscrire rapidement tous les jeunes, à partir de leur inscription à Pôle emploi ou dans une Mission locale, dans une formation qualifiante et certifiante ou un contrat de travail en alternance. Les financements existants, mieux orientés et plus ciblés sur cet objectif, devraient être suffisants, notamment pour l’apprentissage avec la réorientation de la taxe que je souhaite voir affecter prioritairement sur les niveaux IV et V. »

 

Un rapport qui met en cause des dispositions adoptées au cours du quinquennat

Gérard Larcher remet ainsi en cause la décision prise par le gouvernement en décembre 2008 de créer des comités spécialisés distincts pour l’emploi et la formation professionnelle, il recommande une simplification de ces différentes instances :
Proposition n°18 : Création d’un Comité National de l’Emploi et de la Formation Professionnelle fédérant les différents comités et conseils actuels de consultation, d’observation et de prévision.

La création d’un organisme unique, un au niveau national et un dans chaque région, avait été refusée par le gouvernement lors de la création de Pôle emploi. Le gouvernement voulait alors éviter de partager le pouvoir avec les régions, d’où la création de comités spécialisés qualifiés dans le rapport de « chronophages » et « redondants. »

Par ailleurs, il marque son opposition aux tentatives de recentralisation qui ont émaillés récemment les discours des responsables politiques de la majorité.

 

Un rapport qui précise les chiffres de la formation professionnelle

Le rapport Larcher explicite en quoi consistent les plus de 30 milliards dépensés chaque année pour la formation professionnelle, somme que François Fillon avait imprudemment proposé de « transférer » à la formation des demandeurs d’emploi.

« La formation professionnelle représente un investissement global (plus qu’une dépense) en constante progression. Il était de 31,3 Mds € en 2009, soit 1,6 % du PIB. Cette somme regroupe cependant des dépenses de nature très différente (dépenses de l’Etat et des fonctions publiques, les collectivités territoriales, en premier lieu les régions, les entreprises et les ménages), qui visent des objectifs distincts et ne peuvent être confondus.»

– La formation des actifs salariés : 13,2 Mds €
– Les crédits qui financent l’apprentissage, les contrats de professionnalisation et les accompagnements des jeunes : 7,9 Mds €
– La formation des agents publics : 6,02 Mds €
– La formation des demandeurs d’emploi : 3,83 Mds€
– L’effort des ménages : 1,1 Md €

Au total, les sources de ces financements se répartissent ainsi :
– Entreprises : 41% de la dépense
– Fonction publique au titre d’employeur : 19%
– Collectivités publiques : 16%
– Ménages : 4%

 

Le rapport Larcher préconise des solutions qui divergent sensiblement des options retenues par les responsables politiques en place. Il risque fort de terminer comme d’autres rapports, aux oubliettes.

 

Repères :

Lettre de mission du Président de la république

Rapport « La formation professionnelle, clé pour l’emploi et la compétitivité »

 

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