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La victoire de François Hollande aux élections présidentielles françaises est un événement qui dépasse l’hexagone. Il devrait influer sur la manière dont l’Europe s’est projetée et construite ces dernières années. Et en la matière le nouveau président aura fort à faire ! Mais cette victoire n’efface pas ce qui a été le fait marquant de ce scrutin: la montée du populisme qui s’est exprimée en France mais aussi chez chez tant de nos voisins. Belgique, Suisse, Italie, Royaume Uni, Pays Bas, Danemark, Finlande, Suède, Hongrie, Bulgarie, Grèce: la liste n’a cessé de s’allonger depuis des années et nous incite à réfléchir sur ce fameux vote protestataire que d’aucuns jaugent avec une condescendance souvent déplacée. Pour Metis, et en dépit de facteurs nationaux parfois très spécifiques, il y a plus d’un lien entre ces votes et une crise profonde du travail.

 

Quand le travail n’est plus et que le chômage devient durable, quand le travail devient survie et n’est plus réalisation de soi et facteur de progrès, quand le halo du chômage s’étend et substitue la crainte de l’avenir à une certaine confiance, alors, des sociétés comme les nôtres tournent le dos à ce qui les a fondées depuis des générations. On peut toujours évoquer la valeur travail et crier haro sur l’assistanat, cela ne change rien et ne fait qu’exacerber des clivages et souligner des échecs sociaux d’ores et déjà massifs.

 

Mais il y a plus. Deux expressions ont fait florès dans la campagne électorale française sur lesquelles il nous faut revenir.

 

Il y a d’abord cette dénonciation des élites – qui elle aussi touche largement nombre de nos voisins – et ne cesse de croître. Nous ferions bien de la prendre très au sérieux. En France, les chartes et autres politiques de diversité n’ont rien modifié au recrutement et à la composition des équipes dirigeantes des grandes entreprises ou des administrations publiques : l’entre-soi reste la règle. Accroissement des inégalités, ségrégations éducatives, spatiales ou autres n’ont cessé de gagner du terrain. Métropoles contre ultra-périphéries, les écarts se creusent et en désespérèrent plus d’un. Un peu à l’image des relations de sous-traitance, dans lesquelles les conditions d’emploi et de travail de ceux qui sont employés dans les grandes entreprises donneuses d’ordres n’ont cessé de se différencier de celles de leurs sous-traitants de rang 1, 2 ou 3. La reproduction sociale a toujours existé, mais elle était supportable et acceptable quand l’ascension des uns entraînait peu ou prou celle de tous les autres. Désormais, ce mécanisme-là ne fonctionne plus ou fonctionne très mal.

 

Il y a ensuite ces déclarations sur les corps intermédiaires – entendez ici d’abord les syndicats – que l’on voit se multiplier chez nous et ailleurs. Il ne sert à rien de les contrer, en célébrant les vertus du dialogue social. Si à Metis nous défendons l’idée que les corps intermédiaires sont à la fois nécessaires et irremplaçables, que le rôle du syndicalisme est fondamental dans une démocratie digne de ce nom, nous ne nous voilons pas la face. Le problème des corps intermédiaires, c’est aujourd’hui leur capacité d’intermédiation, d’expression et de représentation des intérêts dans un univers social organisé bien différemment des bases sur lesquels ils se sont développés et dans un contexte où nombre de décisions et autres interactions ont pour territoire la planète et non plus le pays.. En dehors des pays où le syndicalisme assure un rôle de services (Suède, Belgique, Danemark) et où il capte ainsi une grande partie de la population active, partout ailleurs, y compris en Allemagne, son déclin se confirme. De qui donc est-il devenu la voix ? Massivement de celles et ceux qui ont un contrat à durée indéterminée dans les grandes entreprises privées ou dans le secteur public. Dans une Europe où les PME emploient plus de la moitié des salariés, et dans une population au travail qui ne compte guère plus de 55% de personnes employées en CDI à temps plein, cela pose véritablement problème. En d’autres termes, pour beaucoup, cette capacité d’intermédiation n’existe pas ou n’existe plus. Jusqu’où et au nom de quoi défendre alors ces institutions ? La raison par défaut -entendez, sans elles ce serait bien pire – ne peut servir longtemps.

 

Le refus de l’austérité, le combat pour la croissance ne feront pas l’économie de ces questions (et de bien d’autres). Il est à espérer qu’elles soient entendues, travaillées, assumées. Il n’y aurait rien de pire que des alternances qui se contenteraient de modifier les équipes sans changer de chemins. Nos démocraties sociales, représentatives et participatives, sont à réinventer, faute de quoi…

 

 

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