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Entretien avec Matina Yannakourou, Médiateur adjointe pour les questions d’égalité en Grèce. Elle s’exprime pour Metis à titre entièrement personnel sur la situation du pays après 18 mois de réformes sociales majeures et à la veille de nouvelles élections dont nul ne peut prédire encore le résultat malgré la popularité dont jouit le nouveau parti Syriza.

matina yannkourou

En quoi les réformes adoptées par le gouvernement grec dans le cadre du fameux mémorandum si discuté aujourd’hui ont-elles touché le droit du travail ? Que changent-elles concrètement ?

 

Le droit du travail est devenu entièrement dépendant des politiques financières et économiques imposées par les deux mémorandums convenus entre le gouvernement grec et la troïka (UE, BCE et FMI). Pour mettre en œuvre ces politiques d’austérité, 18 lois ont été adoptées d’urgence au cours des deux dernières années. La nouvelle législation a accentué la flexibilisation et la dérégulation du marché du travail et elle a déconstruit le système de négociation collective resté intact depuis 1990.

 

Les mesures clés comprennent une intervention directe du législateur dans le domaine de l’autonomie collective. A titre d’exemple, on peut citer la réduction immédiate de 22% du salaire minimum établi par l’accord collectif national interprofessionnel, et son gel jusqu’ en 2015, c’est à dire jusqu’à la fin de la période couverte par le programme d’ajustement financier. Une baisse supplémentaire de 10% (32% au total) des salaires des jeunes de moins de 25 ans a également été imposée. Il faut aussi noter l’anéantissement de l’arbitrage comme mécanisme de résolution de conflits collectifs, puisque dorénavant l’arbitre ne saurait statuer que sur le montant du salaire de base, n’ayant pas de compétence pour tout autre élément du contrat individuel.

De surcroît, la convention collective de branche perd son importance au profit de l’accord d’entreprise qui peut désormais être conclu, même en l’absence des syndicats, avec une union de salariés représentant au moins les 3/5 du personnel. Il peut contenir des dispositions moins favorables que celles prévues dans l’ accord de branche. De plus, la procédure administrative « d’extension » des effets obligatoires d’une convention collective sectorielle à tous les salariés et les entreprises d’une branche a été suspendue jusqu’en 2015. Pour comprendre la portée des réformes, il faut savoir que 87% des salariés étaient couverts par des conventions collectives sectorielles ou professionnelles quant à la détermination de leur salaire et seulement 13% par des grilles de salaires minima. La nouvelle législation représente une décentralisation de la négociation collective vers le niveau de l’entreprise. En même temps elle a fait de la négociation individuelle la source principale de réglementation des rapports de travail, en limitant considérablement la prorogation de la durée et des effets des conventions collectives de tout niveau après leur expiration ou leur dénonciation.

 

Alors que l’on vient d’apprendre que les recettes fiscales du pays avaient baissé de 10%, les réformes engagées représentent-elles un progrès pour la compétitivité de l’économie grecque ou une régression pour les travailleurs ?

Des réformes d’une telle ampleur, réalisées dans le cadre d’une récession économique qui s’amplifie, ne sauraient produire qu’une augmentation dramatique du chômage (actuellement à 21 %), surtout chez les jeunes (1 sur 2 sans emploi). On constate également des pertes de revenus et de chiffres d’affaires impressionnantes. Les mesures ont généré une insécurité de l’emploi et une précarité généralisées. Le gouvernement et les partenaires sociaux n’ont pas réussi à mettre en place des mécanismes compensatoires de protection et de réconfort du nombre extraordinaire des gens massivement et violemment touchés.

 

Comment analysez-vous aujourd’hui la société grecque dans ce contexte de crise : est-elle plutôt marquée par la révolte, par la dépression ?

La Grèce traverse une période extrêmement sombre. La société grecque est secouée pas une crise qui n’est pas seulement économique ou politique ; elle est davantage une crise morale, une crise de valeurs. Cette crise ébranle une population habituée à la manne du crédit provenant soit des banques, soit des fonds étrangers. C’est une population qui ne réussit pas à chasser ses vieux fantasmes de l’étatisme, du clientélisme politique et de la corruption. Au point où elle en est, la question est de savoir si la société grecque veut vraiment changer. Les Grecs semblent divisés entre ceux qui voient la crise comme une occasion de faire avancer les réformes structurelles et ceux qui souhaitent tout simplement préserver les acquis et pour cela prônent la non application du mémorandum, voir sa dénonciation, sans avoir de réponses sur la suite. Une majorité considérable (70%) se déclare partisane de l’Union Européenne et contre la sortie de l’euro. Cependant la société semble avoir perdu son orientation et le système politique, les gérants de la crise, les élites en sont responsables. Les Grecs pensent que les mesures d’austérité n’ont pas réussi et qu’au lieu d’augmenter la compétitivité, elles ont plongé la population dans la misère. Ils considèrent que les risques n’ont pas été partagés de manière équitable et qu`il n’y a pas de lumière au bout du tunnel. Ces sentiments conduisent au nihilisme, à la dépression et au manque de confiance en l’avenir. Le silence prolongé ayant précédé les élections du 6 mai 2012 a abouti aux résultats déjà connus : la révélation d’une société confuse, pleine de rage, à bout de forces, et qui cherche à retrouver l’espoir.

Les succès du parti Syriza comme celui d` Aube Dorée (Chrissi Avghi) ont beaucoup frappé les esprits…
Lors des élections du 6 mai, la division idéologique traditionnelle entre la droite et la gauche a été effacée. Le facteur qui a déterminé le résultat électoral était le mémorandum. Le parti Syriza a enregistré une poussée historique car une partie de la population grecque a voté contre les politiques d’austérité et contre les deux partis gouvernementaux (Pasok et Nouvelle Démocratie) qui les ont mises en application. C’était un vote de protestation contre le mécanisme financier et le mémorandum de février 2012 qui a constitué un véritable choc pour la société grecque. En revanche, le succès électoral d’Aube Dorée est dû à l’indifférence de l’État face à la hausse incontrôlable de l’immigration clandestine et de la criminalité, surtout dans la capitale et les grandes villes, où la qualité de vie dans les quartiers s’est dégradée à tel point que les habitants n’osaient pas circuler. L’Aube Dorée a pu convaincre qu’elle pourrait assurer la sécurité, alors que l’État se défaisait de cette fonction.

Que peut faire le Médiateur dans un tel contexte de crise ?

Dans le contexte actuel, le Médiateur est appelé à redéfinir son intervention face aux nouvelles demandes que les citoyens lui adressent. Les citoyens ne peuvent plus exercer leurs droits à recevoir des prestations sociales, car l’Etat est démuni de ressources financières. Ils se plaignent aussi des taxes et des contributions fiscales exceptionnelles imposées par les mémorandums, dont la mise en œuvre est chaotique et génère différentes injustices. De surcroît, de nouvelles formes de discrimination ont vu le jour dans le domaine du travail et dans l’accès aux biens et services. Ces nouvelles formes de discrimination, outre celles prohibées par la loi, appellent une action. A mon avis, loin d’un contrôle d’une légalité dont le bien-fondé est mis en cause, le nouveau défi pour le Médiateur serait de rétablir l’égalité et l’équité au sein d’une société traumatisée, ayant perdu confiance en l’Etat et en ses institutions.

 

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