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Un des premiers sujets dont a été saisi la nouvelle équipe gouvernementale française est celui des plans sociaux, sujet on ne peut plus médiatique ! Espérons cependant que derrière les affaires emblématiques qui font la une de la presse, les pouvoirs publics français sauront sortir du rôle de pompier. Au-delà des plans « gelés » pour cause d’élections présidentielles, il s’agit de créer un cadre adapté à la gestion de changements et de restructurations dont les dimensions sont devenues à la fois plus globales et plus locales.

 

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Son absence est de plus en plus criante. Un tel cadre est nécessaire pour les grandes entreprises dont on parle beaucoup mais plus encore pour les PME et les restructurations « silencieuses » qui touchent leurs salariés (et dont personne ne s’émeut alors qu’ils sont bien plus nombreux à être affectés) ainsi que tous ceux dont on ne parle jamais : CDD et intérimaires qui constituent toujours le plus grand réservoir de fins de contrats lorsque l’on restructure. Un tel cadre est nécessaire aussi au plan européen et l’initiative que vient de prendre le Parlement Européen à ce sujet est prometteuse.

 

En attendant, la destinée du continent reste toujours aussi incertaine et la crise de confiance patente. « Grexit » ou sortie d’une Grèce aujourd’hui désorientée comme le dit si bien Matina Yannakourou dans un entretien exclusif pour Metis. La période qui suit va être décisive et les donneurs de leçons (aux Grecs ou aux autres) sont priés de balayer devant leur porte, n’est ce pas Mme Lagarde ? Pacte de croissance ? Les négociations piétinent et pourraient, n’en déplaisent à François Hollande, accoucher d’un compromis bancal. Réformes structurelles ? Ca y est la Commission vient d’énoncer la feuille de route française avec au menu une plus grande flexibilité du marché du travail et une réfomre des licenciements.. Le tout sous peine de sanctions !

 

Ce qui est sûr en revanche, c’est que la crise a non seulement stoppé toute ambition en matière d’Europe sociale mais sert de prétexte à des régressions dangereuses. Cela tient beaucoup à la conception européenne du travail, lui-même réduit à un marché d’une part, à une quantité ou à l’emploi de l’autre. Au nom de cette conception et du « tout pour l’emploi », des tas de réformes aux résultats jamais démontrés sont entreprises ou promues. Cette conception et donc le rapport entre politique et travail en Europe, voilà ce qui peut et ce qui doit évoluer aujourd’hui. En effet, nos obsessions de l’emploi, en partie légitimes, ont abouti à faire l’impasse sur l’activité de travail, à ses transformations de nature et de structure. Or l’emploi résulte du travail, trouve sa place dans l’activité et ne la précède pas. En traitant le premier plutôt que la seconde, on traite l’aval et non l’amont, le résultat et non la source. Cette tendance lourde des trois dernières décennies a eu des conséquences considérables sur nos économies et nos sociétés.

 

Cette absence du travail – ou plus exactement le fait de l’avoir considérée comme un invariant « toutes choses égales par ailleurs » – nous a mené à des constructions naïves et à des dégâts considérables. Ainsi la stratégie dite de Lisbonne basée sur la foi en un avenir reposant sur une société de services alimentée par des flux financiers continus. Cette absence du travail nous a conduits à construire cette opposition erronée entre services (du futur) et industries (du passé) et à détruire les bases de toute politique industrielle consistante. Et la nouvelle musique qui se fait entendre en France – et, timidement, en Europe – arrive bien tard. L’angle mort que constitue aujourd’hui le travail a aussi à voir, il faut le reconnaître, avec une certaine ringardisation du « social » : acquis mortifères, pratiques obscures, démocratie sociale engoncée dans des fonctionnements et des représentations obsolètes. En matière de démocratie et de gouvernance, il faut faire un sacré ménage, et les acteurs sociaux ne sauraient y échapper.

 

Puisque nous parlons réformes et travail, il est temps d’aller de l’avant dans certains domaines :
– innover en matière de démocratie et de dialogue social et donner une place plus importante aux acteurs émergents comme à de multiples formes de démocratie participative
– réinventer un droit du travail (peut-être en le nommant autrement ?) afin de tenir compte de toutes les transformations survenues depuis 30 ans dans les rapports comme dans les organisations et les conditions du travail
– resocialiser l’Europe et penser à une mutualisation des risques à la hauteur des défis du travail et de l’emploi d’aujourd’hui plutôt que ne penser qu’en termes de déconstruction et destruction des droits et des systèmes.

 

Vous l’aurez compris, nous plaidons ici pour une réelle politique européenne de l’activité et du travail adaptée à la situation des économies, des valeurs du continent. Notre Europe se doit de ne plus mettre la charrue avant les bœufs et de définir une politique (et un budget) du travail et non pas d’abord des mesures pour l’emploi. Seule une vision de l’activité et du travail peut nous donner un horizon et nous aider à tracer un chemin. Elle seule peut entraîner les innovations indispensables à l’émergence d’un nouveau modèle socio-économique. Pour progresser, il nous faudra oser ce que nous n’avons pas pu ou pas voulu faire ces dernières années : nous penser comme une part et non pas comme les maîtres du monde, faire une place aux jeunes et les reconnaître comme acteurs majeurs, intégrer la diversité présente dans notre société, nos entreprises, nos écoles, nos quartiers … comme des ressources et non comme des handicaps ou des dangers. Compliqué pour une Europe vieillissante où la peur de l’autre n’a cessé de croître. Mais indispensable.

 

Aujourd’hui nombre de citoyens européens sont sceptiques : envers l’avenir, envers leurs dirigeants, envers des discours creux et des schémas obsolètes. L’impasse sur le travail y est pour beaucoup. Le temps du courage et de l’innovation est donc venu. Et avec lui celui d’une Renaissance de l’Europe qui sache innover en s’appuyant sur ses valeurs-clé.

 

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