par Anna Kwiatkiewicz
A l’aube du mandat de la Commission Juncker et du nouveau Parlement Européen, quelles sont les attentes du patronat ? Anna Kwiatkiewicz, représentante de la confédération patronale polonaise Lewiatan à Bruxelles, nous parle des défis qui attendent les entreprises et l’Europe.
Tout le monde veut croire que c’est un nouveau début pour l’Union Européenne et que ses nouveaux acteurs (qui sont peut être en fait juste d’anciennes personnes dans de nouveaux rôles) au Parlement et à la Commission seront capables de faire avancer le projet européen et de faire une différence. Ces espoirs pourraient s’avérer mal placés au vu de la complexité de la situation politique (des relations compliquées avec nos voisins de l’Est) et économique actuelle (la période qui suit la crise économique). Pourtant, les organisations patronales sont convaincues que les circonstances actuelles présentent une opportunité pour introduire des changements réels dans le fonctionnement des institutions européennes et dans leur approche des questions les plus urgentes.
Le Parlement Européen
Le résultat des élections parlementaires européennes a clairement montré qu’il est crucial d’écouter les européens et de comprendre leurs objections et même leurs peurs. Un bon exemple est le processus de globalisation qui présente une occasion importante pour continuer le processus d’intégration européenne dans des domaines essentiels, mais qui doit en même temps être bien expliqué à la population européenne. Les négociations du traité transatlantique (Transatlantic Trade and Investment and Partnership -TTIP) sont un autre exemple: il s’agit d’un accord commercial des plus compréhensifs qui pourrait booster les économies américaines et européennes ainsi que leurs grandes et petites entreprises.
Du point de vue des employeurs, il y a au moins 40 propositions législatives importantes qui n’ont pas été adoptées par le Parlement Européen précédent. Parmi celles-ci, on en trouve des sujets particulièrement notables, comme par exemple :
o la réforme du système de marque
o la législation en matière de protection des données
o la réforme du secret industriel
o la stratégie numérique
o la loi sur la faillite
o la politique de l’énergie et du climat
o la politique industrielle
o le quatrième paquet ferroviaire
Nous voulons encourager les nouveaux membres du Parlement Européen à faire progresser les travaux sur ces sujets aussi vite que possible. Ces règlements sont cruciaux pour la compétitivité et la santé du marché unique européen. Parallèlement notre préoccupation est liée au fait qu’il y a actuellement de nombreux eurodéputés populistes et/ou anti-union européennes au sein du Parlement. Il s’agit d’une menace réelle car ils pourraient faire obstacle aux procédures européennes par simple souci de s’opposer au processus d’intégration européenne, ainsi que pour assurer plus de visibilité pour leur mouvement. Les organisations patronales craignent également que le parlement n’élabore de nouvelles propositions législatives qui résulteront en des coûts additionnels pour les entreprises sans prendre en compte la productivité et/ou la situation économique générale. Par exemple, la proposition controversée du Comité économique et social européen d’instaurer un salaire minimum européen résulterait en de nouvelles dépenses, mais elle n’en indique pas la source et ne se base pas sur une analyse économique approfondie.
La Commission européenne
Les organisations patronales voient généralement de manière positive les changements effectués au sein de la commission, ainsi que le souhait du président J-C Juncker que « l’Union Européenne soit plus grande et plus ambitieuse sur les sujets importants, et plus petite et plus modeste sur les petites choses ».
Le monde entrepreneurial se félicite de la nouvelle structure européenne : elle est plus simple, et s’appuie sur des équipes chargées de projets avec une affiliation tournante en fonction de la nature du projet, sous la houlette des vice-présidents.
Cette nouvelle organisation du travail introduira plus de coopération entre les directions générales qui sont habituellement très individualistes, ce qui permettra d’éviter tout chevauchement et d’éliminer les sujets ‘oubliés’. Comme nous en avons fait l’expérience dans le monde du travail, cette structure permettra aussi probablement d’assurer une plus grande synergie et des solutions de meilleure qualité. Nous apprécions également le fait que tous les vice-présidents soient des anciens premiers ministres et/ou aient une expérience extensive dans leurs spécialités respectives. Ils sont dotés d’une vision « hélicoptère » qui leur permet de voir les choses dans une perspective plus large tout en gardant en tête les conséquences financières des décisions proposées.
Les entrepreneurs sont soulagés d’entendre qu’il n’y aura plus de règlement adopté avant que les conséquences des précédents soient évaluées en profondeur. Et ce ne sont pas juste des mots – cette annonce a été confirmée par la nomination du premier vice-président de la commission, F. Timmermans, qui a été chargé du portefeuille de la meilleure réglementation. Son rôle sera d’améliorer la qualité des règlements présents et futurs, tout en assurant que les problèmes qui peuvent être résolus à l’échelle nationale ne fassent pas l’objet d’une loi européenne.
Un autre changement important au sein de la Commission a été l’élargissement des responsabilités du Commissaire pour le marché intérieur. Nous sommes très heureux que Elżbieta Bieńkowska, l’ancienne adjointe du premier ministre polonaise, ait été nommée à ce poste. Les petites et moyennes entreprises (PME) reçoivent finalement une attention appropriée : elles forment plus de 99% de tous les entreprises européennes, emploient plus de 60% de la main d’œuvre du secteur privé et représentent plus de 50% du PIB généré par les compagnies européennes. Il convient d’ajouter que neuf PME sur dix sont des micro-entreprises – des entreprises qui emploient moins de dix personnes – et qu’elles forment leur propre espèce.
Nous espérons que la Commission deviendra plus consciente des besoins des PME durant le processus de révision, ou de création de nouvelles lois. Dans ce contexte, nous souhaitons qu’elle garde en tête le principe de proportionnalité ainsi que les spécificités des PME. Actuellement, la bureaucratie et la réglementation excessive ont souvent fait obstacle à la création d’entreprises et à la croissance des PME. Pour ces dernières, les enjeux essentiels sont les suivants : l’accès au financement et aux marchés ainsi qu’une nouvelle culture de la prise de risques et de l’acceptation des échecs. Ce dernier aspect immatériel est particulièrement important du fait que la direction d’une entreprise est intimement liée à la prise de risque, tout particulièrement dans le cas des PME. Avec tous ces changements, il n’est pas surprenant que la Direction Générale de la Commissaire polonaise soit appelée DG Croissance.
Du point de vue des entreprises, le retour à la croissance dépend du prix de l’énergie, qui est pour l’instant beaucoup trop chère. Le fait de combiner le climat et l’énergie en un seul portefeuille, sous la supervision de G. Oettinger est perçu comme une décision raisonnable. Une politique climatique bien conçue doit protéger l’environnement sans pour autant empêcher le développement de l’industrie, tout particulièrement si l’Union Européenne veut que la production industrielle représente 20% de son PIB d’ici 2020. Au-delà du prix de l’énergie, nous devons également assurer la sécurité de son approvisionnement, qui est une préoccupation commune des producteurs et des distributeurs d’énergie, ainsi que des consommateurs.
Nous nous soucions également de l’accès aux compétences. Les employeurs suivront avec attention les initiatives de la nouvelle Commissaire à l’emploi, Marianne Thyssen. Un de ses plus grands défis sera probablement d’aider à constituer une politique migratoire européenne qui attire des travailleurs avec les compétences requises et qui leur permette une plus grande mobilité. C’est pourquoi nous nous félicitons du fait que les compétences et la mobilité aient été ajoutées aux responsabilités de la direction générale de l’emploi et des affaires sociales. Pour de nombreuses entreprises, le manque de compétences est devenu un problème crucial. Elles sont désespérément à la recherche de stratégies qui pourraient leur assurer des employés avec les bonnes compétences. Une mobilité bien gérée pourrait être une solution très efficace, tout particulièrement au vu des problèmes démographiques de l’Europe (un faible taux de natalité, une population vieillissante), même s’il existe de nombreux problèmes à résoudre. On lit très souvent dans la presse que la migration des travailleurs favorise le tourisme ou même le dumping social. Ce sont des opinions qui sont souvent défendues par les nationalistes qui sont contre la migration, mais il manque la deuxième partie de l’histoire : celle des travailleurs immigrés qui compensent la pénurie de compétences dans les pays européens, et qui contribuent à la croissance économique de ces pays. Les représentants du patronat pensent qu’il est grand temps d’analyser les phénomènes migratoires de façon plus nuancée, comme par exemple en prenant en compte l’étendue de la période pendant laquelle les immigrés travaillent dans le pays hôte, ainsi que leur aptitude à la mobilité et leurs stratégies d’adaptation face au chômage.
Nous sommes convaincus que les mois à venir seront palpitants. Nous suivrons avec intérêt les premières initiatives de la Commission, et sommes prêts à contribuer au débat. En fin de compte, ce sont les entreprises qui créent de nouveaux emplois, fournissent du travail, forment des travailleurs et génèrent du PIB. Il est temps d’entendre leurs voix et de prendre au moins en considération leurs recommandations pour l’avenir si l’Europe veut être compétitive et prospère.
A propos de l’auteur
Anna Kwiatkiewicz est la directive du bureau de la confédération patronale Lewiatan à Bruxelles, et la réprésentante permanent de cette dernière auprès de Business Europe.
Crédit image : CC/Flickr/US Department of Commerce
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