Le 23 avril dernier, Metis organisait avec la Société Française de Prospective et Cap Digital une journée exploratoire sur le thème « Les nouveaux modèles économiques : vers une déconnexion du revenu/travail ? ». Impliqué dans l’organisation et l’animation de l’une des trois table-rondes, je ne prétends pas en faire le compte-rendu. Mais voici quelques choix personnels, quelques graines semées par les intervenants, qui me semblent les plus fructueuses pour les lecteurs de Metis intéressés par l’étonnante capacité de transformation que manifeste le travail.
Les barbares du numérique : à l’assaut des business models
Le numéro Un mondial de l’hôtellerie s’appelle Airbnb. Combien d’hôtels et de chambres possède ce géant ? Zéro. Le média le plus lu au monde s’appelle Facebook. Combien de journalistes y travaillent et quelle quantité d’articles produisent-ils ? Zéro. La plus grande compagnie mondiale de taxis s’appelle Uber. Combien de taxis possède-t-elle ? Zéro. Alibaba est devenu le plus grand distributeur du monde. Quelle est la valeur de ses stocks ? Zéro… Cette économie du travail numérique fonctionne sur le paradigme de la plateforme, de l’effet réseau et des ressources immatérielles. « Désormais, nul n’est à l’abri des barbares du numérique, » titrait ‘The Economist’ il y a quelques mois. Il fut un temps où l’innovation de rupture passait par les produits, puis par les procédés. Aujourd’hui, elle se diffuse en faisant entrer en turbulence les ‘business models’.
C’est pourquoi nous avions repris cette notion de modèles d’affaires dans l’entame de l’intitulé de cette journée prospective. Vincent Lorphelin, fondateur de Venture Patents et co-Président de l’Institut de l’Iconomie, a montré que l’innovation fonctionne en deux temps : la révolution technologique en elle-même, puis la révolution des usages. On peut, par exemple, se souvenir que c’est l’automobile (révolution technologique), qui a permis l’arrivée des supermarchés (révolution de société), qui elle-même a bouleversé les modes de consommation.
Lorsque je regarde ce qui fait évoluer les business models des entreprises qui m’entourent, je suis frappé par la forte récurrence de 4 composantes, qui se combinent parfois :
• le développement durable et la RSE,
• l’économie collaborative,
• l’économie de la fonctionnalité,
• l’économie circulaire.
Or, ces 4 composantes, une fois intégrées au modèle d’affaires, présentent 5 points communs :
1 – Elles bouleversent les positions acquises en reconfigurant les chaînes de valeur.
2 – Elles permettent un découplage entre la production et l’utilisation des ressources (air, eau, matière,…) apportant ainsi une réponse nécessaire (mais non suffisante) à la finitude du monde.
3 – A l’inverse, elles accroissent l’intensité en travail par une réduction de la productivité du travail accompagnée d’une hausse de celle du capital. Par exemple, le modèle AirBnB permet de monétiser un capital (une pièce ou un logement entier) qui ne l’étaient pas, mais au prix d’un service (ménage, entretien,…) moins efficace que s’il était presté par une chaîne d’hotellerie.
4 – Elles rendent une future délocalisation plus difficile
5 – Elles provoquent une recomposition du travail
Françoise Colaitis, Déléguée Adjointe de Cap Digital, a donné quelques pistes sur la recomposition du travail en montrant l’effet conjugué de 4 forces :
1 – La dématérialisation du travail : le passage au numérique, qui s’étend à tout ce qui peut être remplaçable par un logiciel et jusqu’à la numérisation des connaissances, via l’intelligence artificielle ou des algorithmes qui rivalisent avec un expert humain dans des opérations de diagnostic ;
2 – La connectivité : tout communique avec tout, et le travail se décompose en tâches élémentaires ; les personnes communiquent entre elles, individuellement ou dans des communautés sociales, les objets avec les individus, les objets avec d’autres objets, des objets qui « augmentent » les capacités du corps humain avec d’autres objets ou avec des humains ;
3 – La désintermédiation des acteurs traditionnels : déstabilisés par des nouveaux entrants qui viennent s’intercaler dans leur chaîne de valeur, recomposer les flux de travail et renouveler les propositions de valeur : transformation des objets possédés en support de services partagés, transfert de tâches vers le client, travail gratuit des individus, transformation du temps en monnaie d’échange… ;
4 – Les données massives (big data) : elles irriguent l’économie numérique et représentent un nouveau mode d’acquisition de connaissance et de différentiation concurrentielle.
Ces 4 forces en se combinant montrent qu’à l’ère de l’économie numérique, les ruptures proviennent tout autant de la capacité à imaginer et imposer un nouveau modèle économique que de l’innovation technologique elle-même.
L’uberisation du travail nous mène en terra incognita
On parle de « l’uberisation du travail », expression créée par Farhad Manjoo, éditorialiste au New-York Times, en référence à la start-up californienne Uber, devenue emblématique de cette économie qui fonctionne sur la mise en relation des internautes avec les offreurs de travail (ici, les chauffeurs non professionnels). Mais s’agit-il de travail ? Christine Afriat, Vice-présidente de l’Association Française de Prospective a bien montré le caractère polysémique du travail. Ses contours se brouillent et ses conditions d’exercice se dégradent dans de nombreux secteurs, si bien que sans adhérer à la « fin du travail » comme l’affirme Jeremy Rifkin, la redéfinition de sa place dans la société et de son rôle au sein de la collectivité s’imposent.
Amandine Brugière, chef des projets « Digiwork » et « Infolab » à la FING (Fondation internet nouvelle génération), un think tank, qui travaille sur la manière dont les individus s’approprient les nouvelles technologies, propose plusieurs scénarios de cette redéfinition. On passe d’une société du travail à une société des activités, certaines rémunérées, d’autres non. On fait travailler le client (self-service) mais aussi les foules (corwdfunding, crowdsourcing, crowd-design). Les ‘slashers’ (mot qui vient du signe slash désignant cette barre oblique de nos claviers : un emploi, slash, un autre emploi…) ouvrent l’ère du self-emploi et de la pluri-activité. On voit bien que les contours du salariat sont déjà bien fissurés.
Edwin Mootoosamy, co-fondateur de OuiShare, le think tank de référence sur la consommation collaborative, cite Seth Godin, un entrepreneur à l’origine du concept de permission marketing : « Mon père a eu un travail dans sa vie entière, j’en aurai 7 dans la mienne et mon fils en aura 7 en même temps ». Ce travail utilise des données mais en produit aussi beaucoup. Vincent Lorphelin met en avant l’exemple de O2, une société de services à la personne : en déposant l’enfant à l’école, la nounou scanne le code-barre sur son cartable, ce qui génère un SMS pour prévenir les parents : les voilà rassurés. « L’entreprise est dans le smartphone, » conclut-il.
Ces constats font échos aux recherches d’Antonio Casilli, spécialiste de la sociologie des réseaux, du numérique et du travail, qui enseigne la sociologie à Télécom Paris-Tech. Il a créé le terme de « digital labor » pour désigner ce lumpen-proletariat numérique, qui constitue la matière première des plates-formes comme celles d’Amazon, d’AirBnB ou d’Uber. Elles créent en effet des formes nouvelles de travail, hors de la structure classique de l’entreprise, hors de son lieu et de son temps, et sans sa rémunération salariée et la protection qui y est attachée. Aux Etats-Unis, on trouve une multiplication d’un nouveau genre de travailleurs, les « turkers », du nom de la plate-forme Mechanical Turk d’Amazon, créée en 2005. Attention ; il ne s’agit pas d’une simple anecdote: ils sont déjà 500.000 « turkers » et sont présents dans 160 pays. Sur cette plate-forme ou sur celle de ses émules (TaskRabbit, Freelancers ; en France, Foule Factory, qui annonce des tarifs horaires compris entre 10 et 15 euros…) se rencontrent offre et demande de travail proposées par des entreprises ou des particuliers.
Vingt dollars pour monter mon étagère : c’est le retour aux « tâcherons », ces travailleurs payés à la tâche, avant que la révolution industrielle n’impose progressivement (et non sans résistances de la part des travailleurs) le salariat. Poussée à son extrême, la division du travail a fini par produire le micro-travail. Ainsi en 2012, 350 personnes ont été engagées via TaskRabbit par des aspirants possesseurs de l’iPhone 5 pour alimenter les files d’attente des Apple Store de San Francisco et New York lors de la sortie de la nouvelle version du smartphone. C’est peut-être aussi le retour à une servitude doucereuse : « au XIXe siècle, l’exploitation c’est beaucoup d’aliénation pour peu d’efficacité ; au XXe, c’est peu d’aliénation pour beaucoup d’efficacité, » nous dit Antonio Casilli.
Dans cet environnement, le travail devient omniprésent. Il incorpore les données générées lors des activités sur les réseaux par les « foules » et captées à leur insu (lorsque vous faîtes un ‘like’ sur Facebook, par exemple), toutes les formes volontaires de contribution (commentaire, évaluation, recherche, publication de textes, d’images, de photos, de vidéos) et les travaux précarisés, faiblement rémunérés et souvent délocalisés. Avez-vous vu ces ateliers à Calcutta peuplés de ces travailleurs du « capitalisme cognitif » qui, pour quelques roupies, produisent de faux commentaires élogieux pour les sites de voyages ou vous fabriquent des milliers de ‘followers’ sur Twitter ? Ils produisent le carburant de cette économie collaborative.
C’est ainsi qu’à bas bruit, les plates-formes numériques deviennent le mécanisme de coordination du travail… fonction traditionnellement (autrefois ?) dévolue à l’entreprise.
Dans l’économie collaborative, la déconnection entre travail et revenu est poussée plus loin encore. On fait appel au travail souvent gratuit (mais parfois gratifié d’une rémunération symbolique sous forme de reconnaissance par les pairs ou de contribution à une cause). Le crowdsourcing est ainsi à l’origine de nouveaux business models reposant sur « l’appel à la foule », qui permet aux entreprises de lancer un défi à une foule de spécialistes sur le principe du challenge… dont seuls quelques élus sortiront gagnants par la sélection de leur travail et une éventuelle rémunération fondée sur des critères variables. Comme l’indique un article très documenté de l’Usine Nouvelle (« Le numérique révolutionne le travail – et voilà pourquoi vous devez vous en soucier », 1 avril 2015), « on retrouve notamment cette pratique dans le domaine créatif, à l’instar du français Creads (graphisme) et de l’américain HitRecord (création multimédia) fondé par l’acteur Joseph Gordon-Levitt. Mais elle est reprise dans d’autres secteurs. Ford compte ainsi sur sa communauté open source pour inventer des services de mobilité multimodale connectée ».
Cette tendance génère des tensions. Ainsi Vincent Lorphelin rappelle le rachat par AOL en février 2011, du Huffpo (Huffington Post), site d’information très populaire aux USA et marqué à gauche pour 315 millions de dollars. Les journalistes (bénévoles) dont le travail a créé cette valeur n’ont pas vu un seul dollar… Se pourrait-il que dans cette économie collaborative, tout soit partagé sauf la valeur créée ? Edwin Mootoosamy cite, a contrario, l’exemple de Reddit (prononcez ‘read it?’, littéralement ‘Avez-vous lu ceci ?’), un site web communautaire de partage de signets permettant aux utilisateurs de soumettre leurs liens et de voter pour les liens proposés par les autres utilisateurs, si bien que les liens les plus appréciés du moment se trouvent affichés en page d’accueil. En septembre 2014, le site lève 50 millions de dollars mais s’engage à en reverser 10% à la communauté des auteurs. L’économie collaborative apprend le partage…
Ce partage de la valeur aura des conséquences sur la gouvernance des entreprises et leur structure capitalistique. Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, auteurs de « Refonder l’entreprise » (Seuil, La République des Idées, février 2012) ont montré que le fait que l’entreprise n’appartienne plus à ses seuls actionnaires change la donne. L’économie collaborative en apporte une concrétisation avec un exemple cité par Edwin Mootoosamy : La’Zooz. Cette startup offre un nouveau concept pour le covoiturage courte distance. Plutôt que d’avoir des applications sophistiquées pour gérer les mises en relation, les rendez-vous, les réservations, les déclarations des trajets, l’infrastructure est totalement décentralisée et le fonctionnement repose sur les jetons (« Zooz Token »), pour amener sur la plateforme une quantité suffisante de personne dans un territoire. Il y a trois façons d’aider à construire le réseau de transport et gagner des jetons : en conduisant – car le simple fait d’exécuter l’application permet alors d’accumuler des jetons proportionnellement à la distance parcourue – et en partageant l’application ou en amenant d’autres utilisateurs. La’Zooz tire la conclusion des processus de création de valeur : plus vous engrangez de jetons, plus vous acquérez des parts dans la gouvernance de la société. Par analogie, on pense à un système de stock-options numériques, comme si un salarié voyait des actions lui être attribuées en fonction de son implication… Mais cela rappelle aussi le système des coopératives.
Reddit et La’Zooz : deux exemples qui illustrent la plasticité de l’économie collaborative, qui montrent que rien n’est joué. Et de mon point de vue, elle est aussi capable de produire le meilleur. Wikipedia, l’encyclopédie en ligne gratuite compte 70.000 contributeurs réguliers, anonymes… et non rémunérés. Tout dépendra de notre capacité à orienter cette économie collaborative vers le production des « commons », les biens et savoirs communs, qui sont à son origine (communautés, Open source et tout ce que Michel Bauwens nomme l’économie P2P, ou « pair-à-pair »).
L’entreprise contestée devra se ré-inventer
Dans un précédent article de Metis (« Les quatre R de l’entreprise 2.0. », 6 Octobre 2014), j’avais tenté de discerner les formes de l’entreprise 2.0. Une chose est sûre : la numérisation de l’économie secoue très fortement l’entreprise dans sa forme actuelle. Parmi les forces à l’œuvre, Vincent Lorphelin souligne le régime de concurrence monopolistique, qui devient dominant et pérennisé par le modèle de la plateforme. Les OS constituent un bon exemple : pour éviter les coûts de sortie élevés d’un système d’exploitation, vous restez prisonnier du vôtre, même si il n’offre plus la solution optimale. Et effectivement les risques d’une hyper-concentration sont présents. C’est également ce que nous dit Michel Volle, auteur de « Iconomie » (Economica, mars 2014) : « L’entreprise a pour stratégie de conquérir un monopole temporaire sur un segment des besoins. (…) Dans l’économie à coûts fixes, le coût de production est entièrement dépensé dans la phase de conception alors que l’entreprise n’a pas vendu une seule unité du produit. (…) C’est l’économie du risque maximum ».
Mais à l’inverse, le nouveau contexte rend plus facile l’éclosion de jeunes pousses, qui peuvent se créer et prospérer en travaillant en réseau, en s’insérant dans des écosystèmes existants, en nouant des alliances, en privilégiant l’agilité et l’esprit entrepreneurial. Les possibles sont ouverts et je voudrais à cet égard, citer deux forces de transformation.
Tout d’abord les frontières qui tombent entre l’économie traditionnelle, l’ESS (économie sociale et solidaire) et le monde de l’intrapreneuriat (« L’intrapreneuriat : un levier de transformation managériale », 30 mars 2014). Ainsi, Sokha Hin, fondateur de Call for team, une startup qui organise des ateliers de concertation publique d’un nouveau genre pour imaginer et mettre en œuvre des projets répondant à des problématiques de société, propose l’entreprenariat comme réponse à la déconnexion revenu/travail. Au-delà de la simple réflexion, Call for team constitue des équipes projets rassemblant citoyens, entrepreneurs et experts, incube ces projets en les intégrant dans des processus d’économie circulaire et les accompagne jusqu’à leur mise en œuvre commerciale, au travers d’un processus novateur. Call for team sert d’outil public pour recréer du lien social, redonner l’envie aux citoyens de croire en leurs aspirations, et en leur capacité d’agir.
Second facteur de transformation : l’arrivée dans les entreprises d’une nouvelle génération. Philippe Lazzarotto, délégué Europe et International à la CFE-CGC Energies, a restitué les résultats de l’atelier « Lab jeunes » piloté par l’Association Astrees, auquel il a activement contribué. Ce projet qui s’est déroulé sur plus d’un an a donné la parole aux jeunes de 15 à 30 ans pour recueillir leur vision du travail, de l’engagement professionnel et de l’entreprise de demain. Il s’est appuyé sur différentes réunions de groupes, une enquête en ligne auprès de 1200 jeunes, des échanges avec des responsables de différentes organisations (voir « Travail et engagements professionnels », Note Astrees, mars 2015). Contrairement aux lamentos déclinistes, la valeur travail est toujours présente : près de 90% de ces jeunes actifs se sentent engagés au travail. Mais cet engagement revêt des formes différentes. Pour 81% d’entre eux, le plus important dans un emploi est d’être dans une ambiance de travail agréable, mais aussi de faire quelque-chose d’intéressant (74%) et d’avoir un bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée (74%). Ceux que Claude Emmanuel Triomphe, directeur de Metis et délégué général d’Astrees, a appelés « la génération des baby losers » n’ont pas fini de nous interpeller…
L’intégration sociale peut-elle se construire hors du travail ?
Pour Adam Smith, « le travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie; et ces choses sont toujours ou le produit immédiat de ce travail, ou achetées des autres nations avec ce produit ». Plus de deux siècles après, les repères apparaissent brouillés. Fabienne Goux-Baudiment, présidente de la Société Française de Prospective a montré à l’aide de la décomposition de l’agrégation des revenus pour 2010 (données INSEE), que la déconnexion entre revenu et travail est déjà une réalité. En effet, les salaires nets en représentent 32% et les revenus des entrepreneurs (nets de charges et cotisations) 13%, soit un total de 45%. Les autres composantes sont déconnectées du travail : prestations sociales pour 25%, transferts sociaux en nature (éducation, santé) pour 23%, revenus du capital (intérêts, dividendes, rendement de biens immobiliers) pour 9%.
Dans « l’autre sens », on peut cerner l’importance du travail sans revenu avec l’exemple du travail domestique. L’INSEE a dévoilé une étude fouillée sur ce thème en novembre 2012, qui suggère un parallèle : entre 42 et 77 milliards d’heures de travail domestique, selon les trois différents périmètres d’activité retenus, ont été effectuées en France en 2010. Ce volume est au minimum égal au temps de travail rémunéré, qui était de 38 milliards d’heures. La réintégration du travail domestique est évaluée à 636 milliards d’euros (pour le périmètre intermédiaire : corvées et activités éducatives ou ludiques), soit 33% du PIB. On pourrait aussi évoquer les différentes formes du bénévolat…
C’est pourquoi Frédéric Fonsalas, consultant dans le cadre de la société « à portée de mains » qu’il a créée en 2009, propose de nommer « travail » TOUT ce qui appartient au champ du travail, en partant du développement personnel, de celui de l’écosystème proche (famille) jusqu’aux écosystèmes plus larges ou globaux. Dans cette approche, est définie comme travail, toute « action transformante impliquant un effort ». Cela amène à réfléchir à un revenu lié au travail dans l’écosystème proche comme la famille (éducation des enfants, soin des plus faibles…), au développement de rémunérations sur la base d’échanges non monétaires.
Peut-on aller plus loin dans ce «grand écart » ? Pour Stanislas Jourdan, co-fondateur du Mouvement Français pour un Revenu de Base, la réponse est positive. Il milite pour le revenu de base inconditionnel, l’économie collaborative et la démocratie directe. Il a défendu avec conviction l’idée du revenu de base, revenu universel, ou allocation universelle, c’est-à-dire un revenu parfaitement déconnecté de l’emploi. Comment justifier moralement l’adoption d’une telle mesure ? L’un de ses arguments fait mouche auprès des lecteurs de Metis : le revenu de base encourage les salariés insatisfaits de leurs conditions de travail à prendre le risque de la rupture, plutôt que de rester dans une situation qui dégrade leur qualité de vie au travail. Comment la financer dans le contexte budgétaire actuel ? Et quid de ses conséquences économiques, notamment de la redoutée dé-incitation au travail ? Ces questions, dont nous avons pu débattre, amènent à réfléchir à la nature de la création de richesse et des diverses formes de contributions qui y prennent part, au rôle du travail dans notre société.
Conclusion
Les discussions qui ont germé lors de cette journée me confortent dans une conviction : plus que jamais la société de demain est celle que nous choisirons de construire. Oui l’économie collaborative fait planer de lourdes menaces sur notre système de protection sociale, sur la soutenabilité du travail, sur la protection de la vie privée. Antonio Casilli parle d’un « thatchérisme 2.0 ». Mais elle est aussi riche en innovations, en potentiel de progrès sociaux et économiques, en construction de nouvelles solidarités.
La déconnexion entre travail et revenu nécessite à terme une reconstruction de notre modèle social, conçu dans l’après-guerre dans un contexte de plein emploi. Quelques jours avant cette journée exploratoire, François Hollande annonçait à la surprise générale, au cours d’une interview sur une chaîne de divertissement, la création du compte personnel d’activité, un dispositif élargissant et articulant entre eux les différents droits portables attachés à la personne (formation, indemnisation chômage, pénibilité, retraite, etc.). C’est une innovation importante, que Terra Nova propose et soutient depuis 2008, et sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. Peut-être un début de réponse…
A propos de l’auteur
Martin RICHER est consultant en Responsabilité sociale des entreprises. Il anime le pôle « Entreprise Travail & Emploi » de Terra Nova.
Pour aller plus loin :
Vers une société sans emploi ? Alicia Tang et Diane Touré, Direction de la prospective, France Télévisions
Crédit image : CC/Flickr/Ouishare
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