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Quelques semaines après la rentrée, serait-il enfin possible en France d’avoir sur l’école un débat non idéologique et non politicien ? De nombreux articles parus cet été sur les « mouvements pédagogiques », les établissements qui innovent, vont en ce sens.

Des livres, aussi : celui de Philippe Meirieu, au titre si évocateur et concret, Comment aider nos enfants à réussir, sous-titré À l’école, dans leur vie, pour le monde ; les Dix propositions pour changer l’école de François Dubet et Marie Duru-Bellat. Au risque de surprendre, commençons par le livre le plus inattendu, celui d’Alain Juppé. Danielle Kaisergruber en parle.

 


Crédits photo : Frédéric Bisson.

school road

Je n’ai pas grande estime pour les livres d’hommes politiques qui peuplent nos librairies, surtout lorsqu’ils sont en campagne. Et ils le sont toujours de quelque manière. Mais il vaut la peine de lire celui-ci. Issu de nombreuses contributions (3000) sur le blog d’Alain Juppé, de consultations d’experts, des conclusions de nombreux travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et des diverses inspections ainsi que de comparaisons internationales.
L’ouvrage se présente en plusieurs parties, qui donnent à comprendre des analyses critiques et des propositions : « Paroles d’enseignants / paroles de parents » ; des témoignages d’Alain Bentolila, connu pour sa lutte contre l’illettrisme, de Boris Cyrulnik, sur l’importance du tout début de la vie enfantine ; un long entretien d’Alain Juppé avec Jérôme Saltet, le créateur du célèbre jeu PlayBac. Le charme discret des verbatim. Il est bien connu qu’en mettant « dans la bouche » ou « sous la plume de» les propos des gens concernés, on peut faire passer pas mal de critiques qui, exprimées plus frontalement, pourraient être mal prises.

 

Profs : mal formés, mal payés, mal aimés

Pêle-mêle : la lassitude face aux réformes qui viennent d’en haut, s’empilent et sont mal adaptées aux élèves d’aujourd’hui ; la mauvaise image dont souffre le métier de prof ; l’absence de vraies coopérations entre l’école et les familles malgré la notion de « co-éducation » récemment introduite dans la loi (voir mon article « École, famille, cité », Metis, juin 2015 ) ; les parents « soit pas du tout impliqués dans la vie de l’école, soit trop »; les débutants nommés dans les « postes pourris » ; l’inefficacité de la formation des enseignants. Alain Juppé reconnait sur ce dernier point l’erreur commise par le gouvernement Sarkozy lors de la suppression des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Pour être enseignant, il ne suffit pas d’aimer « sa » discipline et d’en avoir une bonne connaissance. C’est un vrai métier qui appelle des gestes professionnels, comme tout autre métier. Les verbatim disent beaucoup et Juppé en fait les porteurs de ses propres critiques en usant du « c’est moi qui souligne ».

 

 

Les manques relevés visent juste et sont confirmés par de nombreux constats, plus documentés et chiffrés : le classement de la France dans les enquêtes du Program fo International Studient Assessment de l’ODCE (Pisa), qu’à la différence d’autres pays (Allemagne, Pologne), nous n’avons pas cherché à rattraper, le scandale des 20% de sortants du collège qui ne maitrisent pas le « socle de base ». Juppé précise que selon lui celui-ci consiste à « lire, écrire, compter…et raisonner ». En somme la « tête bien faite » chère à Montaigne, souvent cité. Et puis cette petite musique qui revient plusieurs fois : pourquoi n’utilise-t-on pas davantage les sciences cognitives ? On pense aux nombreux articles de Stanislas Dehaene – l’auteur des Neurones de la lecture et de La bosse des maths – alertant sur ce point, mais restés sans écho apparent dans la grande machine Éducation Nationale.

 

 

Venons-en au point-clé de l’analyse et des propositions : c’est en début de vie que tout se joue. Donc à la maternelle et en primaire. Quand certains enfants ont un vocabulaire de 600 mots, et d’autres quatre fois plus. Les propositions se veulent réponses à l’analyse, et non imaginées selon des idéologies préconçues : en gros, mettre le paquet sur la petite enfance, en plaçant des locuteurs étudiants dans les crèches, en formant mieux les maitres, en revalorisant les salaires des enseignants (de 20% inférieurs à la moyenne OCDE). Mais aussi en faisant évoluer la définition du métier : les élèves français sont ceux qui passent le plus de temps « face à » un enseignant (l’expression est significative) et leurs résultats sont moins bons. En primaire comme par la suite, être plus disponible pour les élèves, répondre à leur besoin d’individualisation des apprentissages (par exemple pouvoir agir « en commando » quand un élève est en grande difficulté), plus disponible pour les parents et pour des projets. Et pour cela, être plus présent dans les établissements : aux collectivités locales qui en ont la charge d’aménager les locaux pour qu’ils soient de vrais lieux de travail pour les enseignants.

 

 

Une réforme réussie passe par l’autonomie

Faire évoluer le métier d’enseigner et le travail dans les établissements : la plupart des propositions nouvelles concernent la manière de s’organiser au sein des établissements. Sans rentrer dans le détail de toutes les propositions, beaucoup concernent les marges de manœuvre, de liberté, et donc de responsabilité des établissements : une dotation horaire variable et annualisée (Alain Juppé juge positivement la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem sur ce point) ; une gouvernance d’établissement fondée sur une équipe pédagogique (c’est-à-dire le proviseur ou principal avec des enseignants « chargés de missions » sur des sujets tels que les partenariats, les relations avec les familles, les projets pédagogiques…). Ces marges de manœuvre pourraient être renforcées par une utilisation des « postes à profil » et une intervention dans le choix de certains recrutements. Tout ceci dans un cadre de volontariat incité financièrement. Une agence de l’évaluation chargée à la fois d’améliorer la reconnaissance des enseignants, et d’évaluer les innovations, les projets collectifs et interdisciplinaires.

 

 

Davantage d’autonomie pour les établissements, à l’exemple du collège Clisthène à Bordeaux : ce devrait être la clé de toute réforme réussie, c’est-à-dire appropriée et mise en œuvre par les enseignants et les « personnels de direction ». L’inverse de ce qui se fait habituellement dans les lois sur l’école, où les ministres successifs de l’Éducation Nationale se comportent toujours comme si tous les élèves de France devaient « recevoir » le même cours aux mêmes heures et avec les mêmes contenus… Pierre Léna, astrophysicien, créateur avec Georges Charpak et Alain Quéré de la fondation La Main à la pâte – et qui a écrit l’un des témoignages du livre d’Alain Juppé, le soulignait encore récemment dans un entretien dans Le Monde : « interdisciplinarité et autonomie sont les leviers essentiels pour plus d’égalité. Si l’école abat un peu les cloisons entre les disciplines, alors ce ne seront plus les seuls enfants des familles culturellement dotées qui seront capables d’une indispensable synthèse des savoirs ». L’égalité : il ne suffit pas de la proclamer à longueur de déclarations tonitruantes, il faut trouver comment la fabriquer.

 

 

S’il est bien un mot à retenir en cette rentrée, c’est celui de « bienveillance » : Juppé se l’autorise également, à propos de l’usage des notes, et, plus largement, du statut de l’erreur. C’est que sur de nombreux sujets, il se démarque des « positions » habituelles de sa « famille » politique : en particulier en affirmant que l’école est un sujet qui devrait rassembler autour de la construction des bonnes solutions, qu’il n’est pas question de tout changer et de revenir systématiquement sur les mesures prises par les prédécesseurs. Au point de résumer en un tableau ce qui marche bien et doit être conservé et développé.

Mes chemins pour l’école sonne juste, dessine une démarche, une méthode qui visent les « nœuds » du problème éducatif. On peut regretter quelques manques : sur l’apprentissage et l’alternance, sur la catastrophe de l’orientation des jeunes, on peut craindre que le volontariat et l’expérimentation soient insuffisants pour inverser le cours des choses. C’est l’analyse d’Olivier Galland dans son compte-rendu sur le site Telos. Mais il ne fait aucun doute que c’est une invitation salutaire à poursuivre le débat.

À lire :

– Alain Juppé, Mes chemins pour l’école, Éditions JC Lattès, 2015
– Luc Cédelle, « Sur l’éducation le maire de Bordeaux prend la droite à contre-pied », Le monde, 22 août 2015
– Philippe Meirieu, Comment aider nos enfants à réussir… à l’école, dans leur vie, pour le monde, Éditions Bayard, 2015
– François Dubet et Marie Duru-Bellat, Dix propositions pour changer d’école, Seuil, 2015
– Olivier Galland, « Les propositions d’Alain Juppé sont-elles à la hauteur ? » Telos, 9 septembre 2015

 

Crédits photo : Frédéric Bisson.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.