8 minutes de lecture

Anonymous female

Suzanne M. travaille depuis trente-cinq ans dans le même groupe, dont elle est actuellement membre du conseil d’administration. Syndicaliste, ayant à son actif trente-trois ans de mandats de représentation du personnel, elle a siégé à tous les postes, excepté au comité européen. Elle livre à Metis son expérience et son rapport avec les directions des ressources humaines.

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelle est l’utilité d’un DRH dans l’entreprise ?

Malheureusement, un DRH, un « directeur des ressources humaines » en fait frémir beaucoup. Le terme de « ressources » chosifie la fonction. Mais pour moi c’est positif. Ce peut être un amplificateur de talents et de compétences. Peut-être suis-je dans l’idéalisation de la fonction, car dans la pratique nous sommes encore très loin de cela. La question majeure de l’utilité d’un DRH, c’est son pouvoir, ou son non-pouvoir. Et aujourd’hui la prise de pouvoir de la finance par rapport à cette « ressource humaine » constitue un vrai sujet. Le DRH est aussi un partenaire social. Pourtant j’en ai souvent entendu s’exclure de ce partenariat. C’est un signe de dysfonctionnement. Le dialogue social doit être porté aussi bien par les composantes syndicales que la fonction ressources humaines (RH). Le dialogue social est une matière indispensable au changement, au progrès, à la possibilité de trouver des solutions. La RH est aussi souvent là pour gérer les plans sociaux – une de mes premières expériences. C’est la personne qui va mettre les mains dans le cambouis. Un bon DRH, dans les années 1970-80, était celui qui savait gérer un bon plan de licenciements. Ma seconde expérience de gestion de baisse d’emploi, une fermeture de site, a été très différente puisqu’il y avait un accord d’anticipation, et la volonté affichée et mise en œuvre de retrouver des solutions pour chacun. Les gestions de crises se font souvent en partenariat, à partir du moment où il y a eu d’abord ce jeu de rôles des luttes, où l’on monte sur le tonneau. C’est de moins en moins vrai, mais dans les années 1980, c’était vraiment indispensable. Je ne suis pas sûre que les jeunes syndicalistes des années 2010 soient sur cette posture-là. On a plus facilement une porte ouverte vers la négociation rapidement. Après, le lien se situe entre la DRH et le véritable organe de décision : gouvernance, conseil d’administration ou direction.

 

Les accords sociaux d’aujourd’hui diffèrent-ils de ceux d’hier ?

Les accords qui donnent des droits sont en général assez peu interprétables. Par exemple, un jour de congé pour cause d’enfant malade ou de décès d’un parent ne se discute pas. Mais aujourd’hui, beaucoup d’accords de changement, que certains appellent des « accords sociétaux » – l’égalité, la qualité de vie au travail (QVT), le travail des personnes en situation de handicap – sont vraiment difficiles à appliquer, car ils donnent lieu à interprétation individuelle. Seuls les négociateurs autour de la table, savent ce qu’il s’est passé, après peut-être y avoir passé cinquante heures. Les intérêts économiques aussi entrent en jeu. Du côté employeur le « jeu » consistera à trouver comment minimiser les coûts et du côté syndicats comment interpréter pour avoir le maximum d’actions possibles. Et dans la transmission du contenu mais surtout de l’intention des négociateurs, les niveaux inférieurs vont passer une heure sur l’appropriation d’un accord complexe qui donnera forcément lieu à incompréhension entre syndicats et direction. Donc ces gens-là se retrouvent très souvent en difficulté, car ne connaissant pas ces accords, ils ne peuvent les appliquer. D’où deux solutions: soit un partenaire syndical qui va aider, soit un partenaire occupé ailleurs. Car le sujet majeur reste l’emploi, qui reste pour l’essentiel un sujet très égoïstement interne à l’entreprise. La RH est très multiforme. Dans un grand groupe comme le mien, sa fonction est extrêmement variable.

 

La gestion de crises est-elle toujours à l’ordre du jour ?

Dans mon groupe, il y a un accord d’anticipation qui sécurise beaucoup plus l’emploi en interne. Il n’empêche que le besoin de sécurité de l’être humain est très souvent mis à mal dans la réalité de terrain. Je suis presque sûre de revivre l’arrêt d’une activité comme cela fut le cas dans les années 2000. Des ruptures technologiques, des arrêts de fabrication, des délocalisations sont forcément des crises. Un accord prévoyant d’anticiper, et donnant la priorité au reclassement, est probablement plus sécurisant pour les partenaires sociaux que pour les salariés. Le rôle des partenaires sociaux consiste aussi à gérer le sentiment d’insécurité des salariés, et c’est essentiel, parce que chacun des salariés a de la famille, des conjoints, des enfants, et vivent la question du chômage en dehors. Le sentiment d’insécurité et les crises sont, au moins par procuration, même si notre statut est beaucoup plus sécurisé, ceux de la proximité extérieure des salariés.
Il y a également toujours ce paradoxe de vouloir des augmentations de salaire. J’ai vécu quelque chose d’assez utopique et enthousiasmant : nous avions assumé de dire non à une augmentation des salaires pour préserver l’emploi. Mais j’ai aussi partagé certains points de vue sur les trente-cinq heures : comment les mettre en place si l’on veut que ce soit au bénéfice de l’emploi ?

 

Les nouveaux DRH qui arrivent aujourd’hui en entreprise sont-ils différents de ceux d’il y a vingt ou trente ans ? Dans leurs valeurs personnelles, leurs qualités professionnelles, leur positionnement à l’intérieur du management, y a-t-il eu une évolution ?

Oui. Les DRH, du temps de mon embauche, étaient des militaires retraités, comme les agents de maîtrise. Je n’ai donc aucune nostalgie. Le DRH de cette première période faisait vraiment corps avec l’entreprise paternaliste. J’ai beaucoup milité pour prendre part au destin collectif. Une deuxième vague de DRH plus impliqués donna plus de sens à leur action, au niveau central, en faisant apparaître de nombreux outils, utilisés plus ou moins bien. Outils de gestion, de carrière, de développement individuel. Ce qui me blesse le plus, c’est que nous avons réellement perdu en termes de gestion d’objectifs individuels. Dans le métro l’autre jour, je lisais une phrase liée à l’actualité sportive du rugby : « La meilleure façon pour atteindre ses objectifs, c’est d’aider les autres à atteindre les leurs. » C’est ma croyance. En termes de ressources humaines et de collectif, c’est la vision idyllique : l’objectif de la fonction management au sens large. Arriver à une cohésion d’équipe, et l’embarquer vers un projet d’entreprise. Tant sur les produits que l’on fabrique que sur une participation à la modification de l’entreprise. Le rôle de la fonction RH, mais aussi de l’organisation syndicale, est de construire ensemble des processus où, de façon idéale, l’ensemble des salariés va prendre ses responsabilités, en connaissant les limites, dans une émancipation individuelle. Pour moi, c’est ça la cible de la fonction RH : accompagner le changement.

 

Justement, certains disent que les DRH occupaient autrefois des fonctions stratégiques et qu’ils sont relégués aujourd’hui à des fonctions techniques. Confirmez-vous ce diagnostic ?

C’est tout à fait vrai. Le positionnement de la DRH au sein du comité de direction est beaucoup moins fort qu’il y a dix ans. Cela tient probablement beaucoup à des personnalités, et, en même temps, que ce soit au niveau du terrain ou de l’établissement, il y a par moment une prise de pouvoir du PDG sur ces sujets-là. Et la gestion des personnes est effectuée par quelqu’un qui est dans la méconnaissance du métier et des accords. En ce qui concerne la professionnalisation, nombre d’entreprises externalisent des fonctions techniques. On pourrait se dire que ce qui reste, c’est le cœur de métier : le côté politique de la fonction. Force est de constater que ce n’est pas si visible. Les grandes entreprises ont du mal à passer l’étape de la dimension européenne. Par exemple, l’intégration de non-Français au conseil d’administration : à une exception près, on n’y trouve que des Français. On pourrait rêver d’avoir le secrétaire du comité européen qui siégerait, chose impossible à l’heure actuelle.

Qu’est devenu le rapport de forces en entreprise ?


La période qui a donné lieu dans mon groupe à contractualisation, notamment autour de la sécurité de l’emploi, a fait chuter ce rapport de forces. Si l’on considère un autre temps fort, les négociations salariales annuelles : elles deviennent d’une grande fadeur et sont source de désintérêt pour beaucoup. D’une part, les décisions sont prises en amont, ce qui réduit d’autant la marge de manœuvre à la table des négociations, d’autant que le budget est déjà construit. D’autre part, parce certains choix des constructions des rémunérations semblent être gravés dans le marbre, comme la part variable. On a une sorte de « faites ce que je dis, pas ce que je fais » en termes de rapports des rémunérations entre le sommet et le terrain. Sur ces sujets, somme-nous en mesure de changer ? Et la fonction RH a-t-elle envie de s’avancer sur ce terrain-là ? La réponse est non. Alors, que reste-t-il comme sujets intéressants, porteurs de créativité potentielle, inexplorés, aussi bien du côté RH que du côté syndical ? La responsabilité sociale et environnementale des entreprises ? Pour l’instant, nous restons sur des principes, à mille lieues de la créativité du dialogue social. Des outils existent, menés par les directions, en raison principalement du risque d’atteinte à l’image. Alors qu’il y a probablement beaucoup plus à faire. Une légitimité est à trouver dans ce domaine-là.

 

Lire la suite de l’interview de Suzanne M. dans notre prochaine newsletter.

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Haut Commissariat à l'engagement civique