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danielle kaisergruber

Le rejet de la Loi « travail » tient autant à la méthode (à moins que ce ne soit une absence de méthode) qu’à son contenu. Le Président de la République avait annoncé lors de sa campagne électorale qu’il voulait « rénover le dialogue social ». Il avait été retenu comme principe que les sujets sociaux feraient d’abord l’objet de négociations entre les partenaires sociaux – ou au moins de concertations – avant d’être discutés et complétés par le Parlement puis formalisés sous forme de lois.

 

Durant les premières années du quinquennat, tous les ans les « grandes conférences sociales » ont réuni les partenaires sociaux, les ministres concernés, des experts, pour un exercice qui n’était pas de négociation mais de « travail préparatoire » : partage des diagnostics, identification des pistes de solution, des chemins pour y parvenir. La Loi de juin 2013 dite de « Sécurisation de l’emploi » a été adoptée après la signature par toutes les organisations patronales (MEDEF, CGPME et UPA) et trois syndicats (CFDT, CGC et CFTC). Elle est très riche : Terra Nova en prépare en ce moment une évaluation. Et on aura beaucoup de mal à me convaincre que les syndicats des chantiers navals STX à Saint-Nazaire (tous sauf un…), ont eu tort de signer en janvier 2014 un accord d’entreprise qui a permis une baisse du coût du travail par allongement de la durée du travail sur trois ans. Complétant une réorganisation de l’entreprise, de ses services commerciaux, une meilleure articulation entre bureaux d’études et production, la recherche de plus de réactivité, cela a permis beaucoup de choses pour une entreprise qui compte 2 000 salariés et en fait travailler  4 000 dans les entreprises sous-traitantes, avec maintenant un plan de charge pour dix ans. La loi de mars 2014 qui porte principalement sur une réforme de la formation professionnelle est venue après un Accord National Interprofessionnel signé en décembre 2013. Tout cela était de bonne méthode. Et puis une soudaine urgence (querelles d’ambitions personnelles, volonté de céder aux injonctions de « réformes du marché du travail »…) a conduit à un projet de loi fourre-tout.

 

C’est aussi que la fabrique de la Loi est devenue bien problématique. Trop de lois : l’habitude s’est prise de répondre à chaque problème ou à chaque moment d’émotion collective par un texte. Les ministres, éphémère fonction par définition, rêvent tous d’attacher leur nom à une loi accédant ainsi à une place moins éphémère dans la mémoire collective, à défaut de l’histoire. On se souvient de Gilles de Robien « piquant » au dernier moment les dispositions préparées par l’un de ses collègues pour laisser à l’histoire des 35 heures la « Loi de Robien » prélude aux Lois Aubry de 1997 et 2002 (Voir Metis, Le roman des 35 heures, avril 2016).

 

La qualité des textes de loi se dégrade au fil des années. Ils deviennent bavards et incohérents. J’en ai fait l’expérience en présidant le CNFPTLV : ainsi de la Loi de « refondation de l’Ecole de la République » qui dissertait sur la « possibilité de pédagogies différenciées » comme si les enseignants avaient attendu qu’une loi le leur prescrive pour adapter leurs méthodes pédagogiques aux particularités de leurs classes. Dans son livre récent et instructif quant à nos mœurs politiques, Jean-Louis Debré qui fut Président du Conseil Constitutionnel pendant dix ans et a donc examiné tous les projets de lois, se livre à quelques calculs (Ce Que je ne pouvais pas dire, Robert Laffont, 2016). Sur l’année 2002, les lois promulguées représentaient 1,87 millions de caractères, puis en 2013 : 3,82 millions. Le nombre d’articles que comporte un texte de loi est fréquemment multiplié par deux après passage au Parlement et ajouts d’un nombre considérable d’amendements que les gouvernements n’ont pas le courage de refuser. En 2000-2001, 7 821 amendements avaient été déposés, en 2012-2013 : 32 545. Les raisons de cette « logorrhée législative » qui nourrit par ailleurs l’antiparlementarisme de la rue (et pas que de la rue : nombre des candidats à la Primaire de la droite et du centre nous promettent de « gouverner par ordonnances »…) ?

La loi est utilisée par les députés comme un « marqueur », un outil de positionnement et de communication politique, sans souci de l’intérêt général ni de la manière dont elle pourra être appliquée. De plus il n’y a aucune confiance en ceux qui vont la mettre en œuvre, donc aucune confiance en la société elle-même, on cherche alors à prévoir toutes les situations, les détournements possibles, les exceptions, et les uns et les autres rivalisent de finesses technocratiques.

Le manque de confiance : voilà bien quelque chose qui est au cœur du refus de la loi Travail. Manque de confiance dans les chefs d’entreprise (parfois mérité), manque de confiance des salariés dans ceux qui les représentent. Mais la confiance, cela se fabrique, se construit et ne pas avoir su (ou voulu ?) suivre une méthode patiente de concertation avec les partenaires, de négociation sociale sur les sujets qui devaient en procéder, conduit au pire à une impasse, au mieux à un bricolage qui ne fera que des perdants.

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.