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danielle kaisergruber

Oui décidément la rentrée ce n’est pas le début d’une nouvelle année au calendrier, mais bien ce moment particulier de septembre où l’été hésite encore à basculer et traîne quelques nostalgies, mais où tant de choses nouvelles nous attendent. Bonnes ou mauvaises, les vacances sont derrière, elles ont fait leur petit travail de nettoyage, de dégrisement. Ainsi le nouveau président français aurait perdu sa popularité. La rentrée, c’est la rentrée des classes, des élèves, donc des parents d’élèves, des étudiants, des enseignants : cela fait finalement beaucoup de monde ! Et c’est dire à quel point les rythmes scolaires structurent bon nombre d’aspects de notre vie sociale, bien plus encore que les rythmes de travail, ce que beaucoup de sociologues et d’économistes oublient.

 

Avec les rythmes scolaires, ce sont les couleurs du quotidien qui peuvent changer. Redonner la main aux collectivités locales (les communes en l’occurrence) pour choisir les rythmes qui conviennent à l’école d’un territoire est sans doute une bonne chose. Aux élus d’engager les bonnes concertations avec les parents, les enseignants, les « animateurs » de passage embarqués pour mettre en place ces fameuses activités périscolaires, face auxquelles Paris et un bourg de montagne de mille habitants ne sont pas du tout dans la même situation. Mais pour de nombreuses communes, dénoncer en juillet des contrats prévus pour la rentrée n’est pas si facile. Il en est de même pour les « emplois aidés » grâce auxquels bon gré mal gré de nombreux services aux habitants tiennent : changer si vite menace des équilibres fragiles dans les activités de services publics qui forment le cadre de vie de chacun de nous.

 

On touche là à un problème-clé dans la manière de réformer : le diagnostic est partagé, oui les emplois aidés sont coûteux et contribuent très faiblement à l’insertion dans des emplois stables, parfois même ils ne font qu’incruster les personnes, les « bénéficiaires » comme l’on dit, dans des « bad jobs » (cf. l’article de Wenceslas Baudrillard, Metis, « Et si l’on égalisait les avantages des contrats aidés entre secteur non-marchand et marchand ? », 20 octobre 2015). Parce qu’ils sont utilisés par les employeurs publics pour desserrer leurs contraintes budgétaires et donc ne débouchent pas sur des emplois permanents qui ne sont pas inscrits à leurs budgets. Au contraire des emplois aidés dans le secteur marchand où ils débouchent beaucoup plus souvent sur des CDI. Mais comment sort-on d’un tel système ? Par des suppressions brutales ou bien progressivement en gérant les parcours des gens en emplois aidés ? Le même constat vaut pour l’APL : oui le système est lourd, coûteux et qui plus est injuste et inflationniste. Oui le poids des loyers dans les budgets des ménages français est beaucoup trop important et démesuré par rapport à d’autres pays européens, mais comment en sort-on ? Le système d’aide au logement s’est construit en ajoutant des mesures aux mesures, des « publics éligibles » aux « publics déjà éligibles », mais on n’en sort pas en refaisant le chemin à l’envers. Peut-on trouver des voies de réformes autres qu’en bricolant les tableaux Excel de la Loi de finances ? On aimerait bien.

 

Il faudrait déjà regarder les choses d’un autre point de vue : par en bas, selon le point de vue des écosystèmes locaux. Pas seulement celui des gens pris un par un, des « bénéficiaires », des « contribuables » : ça conduit juste à des micros-trottoirs pour journalistes en mal de copie et d’authenticité ! Il faudrait s’interroger sur ce qui fait tenir une société locale, un territoire vivant et perdurant : ce mélange d’actifs, de jeunes, de retraités, de résidents et de vrais habitants… Quels y sont les mécanismes de solidarité ? Quels accès aux services publics, au système de santé, aux biens élémentaires ? Qui les assure ? Même si les grands mécanismes redistributifs (RSA, allocations familiales, APL justement, allocations chômage…) jouent un rôle essentiel, les couleurs de la vie quotidienne (l’école, la bibliothèque, la piscine, les maisons de retraite, les parcours des piétons, cyclistes ou automobilistes, les transports en commun…) sont données par les collectivités locales. Alors, comment réformer les « grands systèmes » (l’assurance chômage, la formation professionnelle, les aides au logement…) tout en redonnant à chaque territoire -selon ses particularités -, des bonnes cartes, des cartes de chance, et surtout en lui permettant de les choisir… ?

 

Des chantiers de réforme dans les domaines économiques et sociaux, il y en a beaucoup : Metis va les suivre attentivement. Tous ne réussiront peut-être pas. Mais critiquer (voire démolir) a priori et comme par principe de précaution est aussi inutile que de toujours encenser.

 

Le lecteur (attentif) de Metis aura sans doute remarqué que je n’ai pas évoqué les ordonnances de réforme du Code du Travail : c’est que je suis plutôt heureuse de ce « small business act » dont on avait besoin. Bien sûr il faudra attendre la réforme de la formation professionnelle et celle de l’assurance chômage pour voir se construire le volet « sécurisation des parcours ». Pas sûre que mon avis soit partagé par tous, alors envoyez-nous vos analyses, réagissez aux papiers de Metis !

Les couleurs de la rentrée seront celles que nous choisirons.

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.