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Le rapport Santé au travail : Vers un système simplifié pour une prévention renforcée a été remis fin août au gouvernement français. Il a été rédigé par Charlotte Lecocq (députée LREM du Nord), Bruno Dupuis (consultant en management) et Henri Forest (ancien médecin du travail et ex-secrétaire confédéral de la CFDT). Il faut « fortement réorganiser le système dans son ensemble », disent les trois auteurs. Leurs propositions visent la simplification des obligations et démarches pour les entreprises et la fusion de l’INRS, de l’ANACT et de la CARSAT en une seule agence. Michel Weill, ancien directeur adjoint de l’ANACT, réagit. Metis publiera d’autres analyses de ce rapport.

 

santé travail

 

Les auteurs affirment dès la première phrase de l’avant-propos que « les hommes et les femmes constituent la première ressource stratégique de l’entreprise » et indiquent que « la terminologie entreprise fait référence tant aux employeurs qu’aux salariés qui la composent ». Rappel salutaire et réjouissant sinon innovant. Mais étonnement ensuite : il n’est plus question que de santé, de risques et de prévention, comme si c’était la seule conclusion à tirer de cette première affirmation. Quand on s’occupe de santé et de travail, deux questions indispensables nous semblent devoir être posées en préalable :

 

Première question : en matière de travail, aussi important soit l’objectif santé, est-il le seul et si la réponse est non alors peut-on traiter les différents aspects en tuyaux d’orgue ?

 

Comme toute réalité humaine, le travail comporte des risques : l’amour comporte des risques, le sport comporte des risques, tout engagement comporte des risques, l’entrepreneuriat comporte des risques. Est-ce pour autant que dans le traitement sociétal de ces réalités, les dimensions risques et santé doivent dominer, voire éclipser, les autres enjeux personnels et collectifs que comporte le travail ?

 

Deuxième question : quelle est la meilleure stratégie pour développer la santé des salariés au travail ou plus exactement « la dimension travail de la santé des salariés » ?

 

Aujourd’hui, cela fait consensus, le risque majeur en matière de santé au travail réside dans les risques psychosociaux. Dans notre économie servicielle, est-ce une stratégie défensive en termes de protection et de prévention des risques ou plutôt une stratégie offensive en termes de construction de perspectives professionnelles, de fonctionnement collectif des organisations, de management bienveillant et attentif aux personnes, de dialogue social et – last but not least – de sens du travail à donner et à faire percevoir qu’il faut développer ? Les militaires l’ont compris depuis longtemps : la meilleure défense, c’est l’attaque. Comme l’a dit très bien en substance Yves Clot dans son petit livre Le travail au cœur, pour en finir avec les risques psychosociaux (Voir dans Metis « Yves Clot : le travail souffre, c’est lui qu’il faut soigner ! » par Claude Emmanuel Triomphe – 09 Septembre 2010), occupons-nous de la qualité du travail et la santé nous sera donnée par surcroît.

 

Cela ne veut pas dire bien évidemment qu’il faut supprimer les services de santé au travail. Ils sont d’excellents détecteurs, au-delà de leur rôle individuel, des signaux faibles ou forts de dysfonctionnement en matière de travail dans les organisations. Mais l’assignation à un organisme en charge des questions du travail, devenu unique, auquel on donnerait un objectif, devenu lui aussi unique, de prévention des risques, fut-elle de prévention primaire, nous paraît une régression considérable dans la pensée et dans l’action des pouvoirs publics et des partenaires sociaux français.

 

Avant de se plonger dans les arcanes institutionnels et les mécanos organisationnels, il est toujours bon de rappeler quelques fondamentaux, ce que malheureusement le rapport Lecoq ne fait pas. On dirait on aime plus s’occuper de la tuyauterie et de la gouvernance que de ce qu’on fait passer dans les tuyaux. On vient de le voir pour la formation professionnelle. Peut-être les préoccupations financières de court terme… et les préoccupations de pouvoir prennent-elles le dessus sur celles d’efficience. Honni soit qui mal y pense…

 

Or il se trouve que la France, avec le réseau de l’Agence Nationale pour l’Amélioration de Conditions de Travail, l’ANACT, est un des très rares pays au monde, voire à ma connaissance le seul, à posséder un outil collectif ayant pour fonction d’accompagner le changement par une approche globale des questions du travail dans toutes les dimensions évoquées plus haut. Au niveau européen, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail dite « Fondation de Dublin » remplit la même fonction à la grande satisfaction des acteurs concernés.

 

Il nous paraît important, dans le bouleversement qui s’annonce, que cette stratégie positive, offensive, au service de la qualité du travail, et donc autant des entreprises et de leur performance que des salariés et de leur santé, ne soit pas abandonnée, même si le cadre institutionnel évolue. On peut malheureusement le craindre compte tenu du poids respectif des acteurs engagés dans une logique prévention/santé et ceux engagés dans une logique de développement de la qualité du travail.

 

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Économiste du travail

Parcours professionnel : chercheur à l’université Pierre Mendes-France de Grenoble puis au CEREQ; chargé de mission au Secrétariat Régional pour les Affaires Régionales (préfecture de région Rhône-Alpes); directeur de l’Agence régionale pour la valorisation sociale (ARAVIS) à Lyon, directeur de l’information et de la communication, puis directeur scientifique et DGA de l’ANACT.

Fonction représentative: mandat CFDT au CESER Rhône-Alpes; premier vice-président, puis président de la commission Orientation, Éducation, formation, parcours professionnels (2008-2017).

Ce qui me caractérise : besoin de lier l’action à la réflexion et vis-et versa ; franchisseur de frontières : on m’ a souvent qualifié de « à la fois » syndicaliste et patron; c’est toujours placé, ou on m’a placé, dans des postures de médiation sociale; régionaliste et décentralisateur convaincu.

Centres d’intérêt : tropisme pour l’Afrique et les questions de développement, aime refaire le monde, sans oublier la montagne, la photographie, les voyages !