9 minutes de lecture

Le 21 novembre 2019, au CNAM, l’AFDET (Association française pour le Développement de l’enseignement Technique) a organisé un colloque original autour de la notion de « parcours ». Chose relativement rare, il s’agissait de réfléchir à la fois sur la formation professionnelle initiale et sur la formation professionnelle continue. Le monde de l’Education nationale et le monde du Travail ensemble et en discussion. La réforme Blanquer de la voie professionnelle et la réforme Pénicaud de l’apprentissage et de la formation continue. Jean-Marie Luttringer y a fait un exposé d’ouverture et Danielle Kaisergruber en a tiré des éléments de conclusion. D’où ces deux articles écrits en écho.

Métaphore souvent utilisée, mot d’ordre mobilisateur, la notion de « parcours » revêt toutes sortes de significations (y compris juridiques comme le montre l’article de Jean-Marie Luttringer) et peut avoir (ou non) toutes sortes de conséquences sur la conception des dispositifs d’orientation et de formation. En fait la richesse de la journée AFDET et des échanges a au moins montré que la notion de « parcours » était un très bon « analyseur ». Elle permet de révéler en particulier les aspects complémentaires des réformes en cours d’application et d’en poser les enjeux.

1 – Le parcours comme mise en cohérence pédagogique

Un bon exemple en est l’intitulé du dispositif d’orientation après le bac : Parcours Sup. La notion de parcours désigne alors une suite de séquences de formation qui se conditionnent les unes les autres et qui doivent se succéder dans un ordre logique. Ainsi au sein du système de formation initiale, les dispositions Blanquer ouvrent de nouvelles possibilités. Le jeune au cœur du système de Formation Professionnelle Initiale devrait se voir proposer davantage de passerelles, davantage d’opportunités, davantage de possibilités d’aller et retour entre situations de travail et situations de formations formelles. Une place plus grande serait ainsi faite à ses projets personnels et à l’élaboration progressive de ces projets. Par exemple en commençant une formation en situation d’apprentissage (donc avec un contrat de travail) puis en rejoignant ensuite une section d’enseignement professionnel sous statut scolaire (ou vice versa). Ce type de parcours au sein du système de formation sera facilité par la présence dans tous les lycées professionnels de sections d’apprentissage et par les fonctionnements en réseau de plusieurs établissements qui deviennent alors complémentaires.

La loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants et la réforme de la voie professionnelle ont ainsi multiplié les références au « parcours » des élèves et étudiants. La notion de parcours exprime donc l’intention forte du service public de l’éducation de prendre en compte le projet de chaque élève, d’assouplir et de diversifier les filières de formation et de faciliter les passerelles d’une filière à une autre.

La notion de parcours est également sollicitée pour l’organisation du passage du système éducatif au système productif, en proposant des parcours « de rattrapage », de « deuxième chance » pour les décrocheurs, sortis du système éducatif sans qualification.

2 – Un continuum entre formation initiale et formation continue d’adulte

Au-delà de l’attention portée aux « décrocheurs » et à ce moment très particulier des débuts dans la vie active, les reprises d’études seraient en train de se multiplier (170 000 adultes se sont inscrits dans l’enseignement supérieur sur Parcours Sup à la grande surprise de tous les responsables). Mais « l’éducation récurrente » n’est pas encore banalisée en France, à la différence des pays nordiques et la coupure entre le système unifié de formation initiale et le système de formation continue formé d’une myriade d’organismes et de dispositifs reste forte, contribuant à faire de la formation d’adulte un « complément », un « plus » qui s’ajoute aux acquis de la formation initiale, mais ouvre encore trop peu de possibilités de changer le cours des destins professionnels.

Cependant en analysant les réformes « Blanquer » et « Pénicaud », on observe de nombreux signes de début de « rapprochement » entre formation initiale et formation continue. Beaucoup de jalons sont posés pour aller dans le sens d’une continuité des systèmes de formation tout au long de la vie : même liberté de création pour les CFA et pour les Organismes de Formation, même exigence de certification Qualité ; la limite d’âge de l’apprentissage repoussée à 30 ans, des sections d’apprentissage dans les lycées professionnels avec la possibilité de mixer les publics, donc potentiellement des jeunes et des adultes en même temps.

C’est très important, car cela permet de mettre l’accent sur la problématique des « jeunes adultes » : une étude CEREQ a montré que 27 % des jeunes changeaient de métier durant les 7 premières années de leur vie professionnelle. C’est aussi une tendance que l’on retrouve dans d’autres pays européens : ainsi le programme allemand de l’AB (le service public de l’emploi) « New starters wanted » se situe justement dans cette problématique : permettre à des « young adults » de revenir à l’apprentissage pendant deux ans entre 25 et 35 ans et de changer alors de parcours professionnel à la fois pour corriger des erreurs initiales d’orientation et pour répondre aux besoins d’embauche de certains secteurs de l’économie et de la société.

Pour aller plus loin dans la recherche du continuum entre FPI et FPC, la Finlande a adopté en janvier 2018 une réforme radicale qui repose sur la fusion des deux systèmes : FPI et FPC rassemblés sous la responsabilité du ministère de l’Education et de la Culture, une réduction considérable du nombre de certifications (voir dans Metis « Formation professionnelle en Finlande : une toute nouvelle réforme », novembre 2019)

3- Parcours individuels : liberté et responsabilité

La réforme de la formation continue insiste beaucoup, jusque dans son titre sur « la liberté de choisir son avenir » sur l’autonomie des personnes. L’adulte comme acteur de son avenir professionnel a le choix des formations qu’il veut suivre et l’automaticité de l’application « Mon compte formation » ainsi que les paiements par un tiers (la Caisse des Dépôts) traduisent dans la vie quotidienne cette liberté. Mais n’y a-t-il pas un gap, voire un fossé entre la proposition très générale « la liberté de choisir son avenir professionnel » et le fait que je puisse commander et payer une formation sur mon smartphone ? C’est un droit, mais c’est aussi une responsabilité qui fait de la personne l’acteur de la construction de ses compétences (voir dans Metis, Entretien avec Bénédicte Zimmermann, janvier 2020). Alors le jeune comme l’adulte sont-ils seuls responsables de leur parcours et seuls pour le construire ? Et quelles sont alors les responsabilités de ceux qui orientent et de ceux qui emploient ?

La question de l’effectivité et de la performance de l’orientation scolaire d’une part et de l’orientation en cours de vie professionnelle pour les actifs (conseil en évolution professionnelle) devient alors centrale.

Pour construire véritablement un parcours, il faut des repères, des jalons : ce sont les certifications professionnelles ainsi que les blocs de compétences qui les constituent, les intitulés des titres professionnels et des diplômes. Mais les topoguides, les jalons ne suffisent pour que les personnes ne restent pas seules devant l’injonction de construire un parcours. Tout parcours se construit avec d’autres (voir dans Metis « Pour un droit à la réorientation », décembre 2019). On ne peut pas être dans la vision abstraite d’un back-office parfaitement lisse. Ni dans la vision d’une personne qui est obligée de coordonner ses différents intervenants, de faire elle-même le boulot et de pallier les insuffisances de coordination entre les différents services.

Mais il y a surtout des professionnels de l’enseignement, de la formation, de l’orientation, du conseil, de l’ingénierie de projets et pour qu’il y ait parcours, il faut qu’ils travaillent ensemble. En ce sens, la notion de « parcours » n’est peut-être qu’un mot d’ordre mobilisateur, « une ardente obligation », qui implique pour tous les enseignants, les formateurs et les professionnels de l’accompagnement une vraie obligation de coopérer et de construire de véritables écosystèmes locaux d’orientation et d’accompagnement. En effet, même si les mobilités géographiques existent, une grande majorité des parcours professionnels se fait sur un territoire, un bassin d’emploi, un bassin de formation ou un bassin de vie.

C’est une affaire d’écosystèmes locaux plus qu’une affaire de grandes conventions et de grands partenariats, même s’il en faut parfois. Ce sont les réseaux, les campus d’excellence auxquels invite la réforme Blanquer, ce sont les SPRO (Service Public Régional de l’Orientation) et leurs déclinaisons au niveau infra-régional. Plus que des partenariats c’est du travail quotidien en commun et en réseaux, de la coordination, de la recherche de méthodes communes et de l’évaluation permanente.

Les parcours individuels se construisent le plus souvent sur un territoire, mais également dans une entreprise. L’application CPF est disponible depuis le mois de novembre, et il est à la date d’aujourd’hui difficile de prévoir quels usages en seront faits. Les entreprises laisseront-elles aux salariés le soin d’entretenir et construire leurs compétences en utilisant comme ils le veulent leur compte ? Seront-elles partantes pour la co-construction des parcours à laquelle invitent les obligations d’entretiens professionnels réguliers ?

Comment va se construire la cohérence entre les choix personnels des salariés qui dès lors qu’ils disposent de 2 000 ou 3 000 euros pour se former « à leur convenance » et peuvent faire leurs propres choix, et les souhaits et contraintes des entreprises ? Sachant que l’entreprise reste maître du temps de travail. Sans doute une grande diversité de scénarii possibles va-t-elle se développer ?

Par rapport au CPF, les entreprises peuvent co-investir. Le thème du co-investissement avancé dès le rapport de Virville de 1996 est ancien et récurrent. Idéalement, il s’agit avec cette notion de chercher à harmoniser les souhaits des salariés et les besoins des entreprises. Mais que sera un co-investissement avec un salarié « libre » de faire la formation de son choix, quand il veut, où il veut ? L’ANDRH s’en est inquiétée récemment : « Qu’est-ce qui empêcher les salariés de faire des parcours en dehors de leurs parcours professionnels ? », le MEDEF également : « la co-construction de la formation avec un CPF entièrement à la main des salariés va être difficile ». Comment se feront les abondements ? A la suite d’une négociation collective, vers laquelle les partenaires sociaux ne semblent pas se précipiter ? ou d’une négociation « individuelle », porte ouverte à beaucoup d’arbitraire ?

Comment se développeront, en concurrence ou en complémentarité les entretiens professionnels au sein des entreprises et les entretiens avec des conseillers en évolution professionnelle à l’extérieur du milieu de travail ?

Conclusion

Un parcours n’est jamais totalement a priori, décalqué d’un projet prémédité. En un certain sens, il n’existe qu’a posteriori. Pour que le concept soit mobilisateur, il faut rechercher et cultiver « ce qui fait parcours » dans une vie professionnelle :

  • Fabriquer de la continuité entre les différentes étapes, entre les différentes formations, entre ce que l’on apprend dans le travail et ce que l’on apprend en situation de formation formelle…
  • Fabriquer de la continuité : pas de renvoi d’un service à l’autre, pas de moment « où l’on ne sait plus quoi faire » : coordination entre les professionnels de l’éducation, de la formation et de l’orientation.

Fabriquer des possibles : pas de chemins qui ne mènent nulle part, pas de fermetures a priori genre orientation par défaut vers la voie professionnelle, accepter la diversité des chemins et donner du sens à des parcours voulus plus que subis, c’est la responsabilité des personnes certes, mais aussi des entreprises et des nombreux acteurs de l’éducation, de la formation et de l’orientation.

Pour aller plus loin :

Dans Metis : « Formation professionnelle en Finlande : une toute nouvelle réforme », Jean-Raymond Masson, novembre 2019

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.