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danielle kaisergruberOn a beaucoup reproché à l’Europe (les institutions européennes) de ne pas avoir géré la pandémie de la même manière dans tous les pays européens. C’est un reproche idiot.

L’ampleur de la crise sanitaire n’était pas la même partout, pas même au sein d’un pays et on a vu, en Allemagne ou en Espagne par exemple, les différentes régions adopter des mesures diverses. En outre, la politique de santé et l’organisation des systèmes de santé n’est pas une attribution de l’Union européenne. La fermeture des frontières est évidemment une mesure temporaire à la fois spectaculaire et symbolique, mais dans la lignée des mesures de restriction drastique des déplacements et circulations.

On n’a, dans l’ensemble, insuffisamment souligné l’ampleur et la rapidité des mesures économiques et financières qui ont été prises tant par la Banque centrale européenne que par la Commission. Sans ces mesures, il n’aurait pas été possible de mettre en place les différents dispositifs de chômage partiel (voir dans Metis « Le soutien au chômage partiel de crise en France et en Europe », juin 2020) qui ont protégé et protègent encore des millions de salariés. Sans ces mesures, il est difficile de dire ce qui serait advenu des dettes nationales de chaque pays et en particulier des dettes de ceux qui étaient déjà en relative difficulté avant la pandémie et la mise à l’arrêt des économies. Sans ces mesures,  la crise sanitaire aurait peut-être entrainé une crise financière et bancaire, ce qui, pour l’heure, n’est pas le cas. En assumant pleinement la fonction d’assureur en dernier recours, « what ever it takes » au-delà de ce que pouvait chaque banque nationale, et au-delà de ce que pouvait chaque Etat quant à la gestion de sa propre dette, la BCE a joué pleinement son rôle de banquier central de l’Europe et accepté de faire plus pour ceux qui avaient le plus besoin. Ce qui est nouveau.

Bien que ce ne soit pas encore complètement décidé et approuvé par les 27 pays européens, il est probable que la Commission européenne aille pour la première fois emprunter en son nom pour contribuer à un plan de relance de l’économie de l’Union.

Bien des certitudes, qui sont parfois des dogmes libéraux non dépourvus d’idéologie, ont été rangés au magasin des accessoires : en tout premier lieu la règle contraignant les déficits publics, mais aussi la philosophie de la seule défense du consommateur dans le marché unique. Il n’y a pas que la loi de la concurrence et le consommateur peut être défendu par des choix de politique industrielle. Et ledit consommateur sera peut-être davantage protégé s’il trouve en temps et en heure les équipements médicaux et les médicaments dont on a besoin pour le soigner.

Certes le dispositif SURE n’est pas encore un système d’assurance chômage européen (bien décrit et projeté dans le livre de Xavier Ragot Civiliser Le capitalisme, Fayard, 2019), mais pour la première fois il met en place une protection sociale de caractère européen même si chaque système conserve ses spécificités.

Ces réponses à la crise ne vont pas sans heurts entre les différents pays : les situations et les intérêts divergent, les philosophies politiques aussi mais c’est le propre d’une construction fédérale sans Etat fédéral que de construire des chemins inédits.

La crise sanitaire est un moment inédit de prise de conscience de l’urgence écologique. Elle éclaire d’un jour particulier la nécessité d’une vraie souveraineté européenne et d’une vraie puissance en termes de technologies et d’industries. D’autant que c’est tout l’ordre international qui est chamboulé.

La crise économique et sociale qui est devant nous oblige à formuler, au-delà des critiques, des ironies et des ressentiments anti-européens, deux obligations impérieuses : que les plans de relance soient l’occasion de relever le défi écologique et que toutes les mesures prises ou à prendre s’attaquent à l’incroyable montée des inégalités sociales. Ces inégalités ne sont pas dues seulement à la crise sanitaire mais elles sont révélées, visibles et criantes. Ces inégalités sont de toutes natures : de métier, de condition salariale et au-delà de destins professionnels et d’espérances de mobilité sociale. Elles sont aussi territoriales, d’horizons culturels, de rapports à la connaissance et aux usages des technologies. Il serait bien illusoire de penser qu’une réforme fiscale suffise à faire bouger ce que des décennies de néo-libéralisme ont accumulé.

Les jeunes, plus encore que d’autres, doivent être au cœur des mesures à prendre, les violences qui leur sont faites sont grandes, et là encore multiformes : universités fermées (on a beaucoup parlé de l’école et des écoliers mais jamais un mot des étudiants !), difficultés renforcées dans la recherche de stage, arrêt de tous les petits boulots qui payent les études, ou permettent de vivre, examens dépréciés… manque de confiance. Une société qui ne sait pas s’occuper de sa jeunesse et de ses étudiants est indigne.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.