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danielle kaisergruberPorter le masque partout dans les entreprises et dans le travail quotidien (à quelques subtiles exceptions près). En ces jours de rentrée scolaire, on aura une pensée et une reconnaissance particulière pour les enseignants, à la fois si heureux de retrouver pour de vrai les élèves (pour les étudiants, on ne sait pas encore) et si inquiets quant au quotidien.

Télétravailler le plus possible surtout dans les grandes agglomérations où cela permet de réduire les temps passés dans les transports en commun. Même sans cette recommandation, la préférence pour le travail à distance ne semble pas faiblir. Passés les premiers enthousiasmes des débuts où tout était à inventer, il va falloir s’organiser, élaborer des règles du jeu, négocier, trouver le bon équilibre entre les consignes générales et les nécessaires arrangements locaux. Les différences entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas ne vont faire que s’accroître. Les emplois des uns seront-ils plus menacés que les emplois des autres ? Le télétravail sera-t-il le révélateur (au sens photographique) des bullshit jobs décrits par David Graeber (voir dans Metis la note sur son livre, octobre 2018)

On avait beaucoup parlé de ceux dont les activités nous étaient indispensables au moment du confinement et ce n’est pas une prime, même si elle est plus que légitime, qui va suffire à transformer les situations des « premiers de corvée ». Plus que jamais c’est en termes de parcours, de « carrière » qu’il faudrait raisonner, en termes de  progressions professionnelles, de changements de métiers et de mobilités. Il faut pour cela pouvoir à tout moment d’une vie rouvrir des possibles, revenir à des études pourquoi pas ?…Metis va reprendre ces questions d’organisation des temps de la vie tandis que la nécessité de reconversions professionnelles va se faire à nouveau fortement sentir en cas de restructurations et licenciements. Le Plan de relance met l’accent sur ces nécessaires mobilités mais sans innovation majeure.

Nul ne sait comment le travail sortira de cette bien étrange période qui cumule les contradictions et démasque de cruelles réalités sociales. Pour les entreprises comme pour les salariés, il faut se protéger et prendre des risques tout à la fois. Le « nouveau » n’est guère assuré : avec les faillites d’entreprises et les difficultés de secteurs entiers, ce sont les anciennes problématiques du chômage de masse et des besoins de reconversion qui vont revenir : les réflexions, études, rapports sur le sujet n’ont pas manqué. Il n’est pas certain que l’on ait vraiment appris.

Le port du masque, le respect des mesures barrières, les contraintes d’organisation renvoient chacun à sa propre responsabilité et à son propre bricolage avec les règles, au boulot comme ailleurs. Les réformes récentes en matière de formation par exemple ont toutes renvoyé à l’initiative individuelle (CPF, CEP…) : elles vont être rudement mises à l’épreuve. Seront-elles capables d’assurer à chacun les ressources et les balises pour traverser ces temps difficiles ?

Des voix multiples, naïves ou informées, nous invitent à valoriser et rechercher la proximité : consommer en circuits courts, voyager moins, étudier en restant chez soi sans avoir à payer un loyer dans une grande ville, travailler à la maison. Fini les temps où les étudiants pouvaient faire une partie de leurs études dans d’autres pays ! Le repli sur soi et son immédiat entourage n’est jamais une bonne chose et la valorisation de la proximité recèle bien des pièges. Mon grand-père, un paysan né en 1899 n’avait jamais été à plus de 25 kilomètres de chez lui, ma grand-mère née dans les mêmes années avait accompli un seul grand voyage pour se rendre dans le département de la Marne à la recherche des corps de ses deux frères morts lors de la Grande guerre… Beaucoup d’habitants de l’Amérique profonde vivent ainsi. On n’y pense pas toujours,  mais de là à en déduire que l’on ne va pas forcément être débarrassé de Trump…Hope !

Ne plus sortir de sa zone de confort, ne plus se confronter à l’autre dans le travail, ne plus apprivoiser l’altérité et la chatoyante diversité du monde ne dessine pas une société moderne. C’est d’innovation que l’on a besoin pour re-déplier la société et re-développer l’économie.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.