À l’heure du nouveau « contrat d’engagement » pour les jeunes, une Note de Terra Nova et un récent colloque (avec l’Institut Montaigne) ont tracé des voies qui conjuguent développement de l’apprentissage et nouvelles manières de se former.
« L’apprentissage et la formation des jeunes aux métiers d’avenir » : ce sujet a donné lieu le 18 octobre dernier à une matinée d’échanges organisée à l’initiative de Terra Nova et de l’Institut Montaigne en présence de la ministre Élisabeth Borne. Avant d’en venir à la relation des principaux messages de cette matinée, il importe de revenir sur la publication par Terra Nova en avril dernier d’une étude « Agir pour la réussite des jeunes en difficulté, dans leurs territoires » dont les conclusions étaient au cœur des débats de la matinée. Les co-auteurs de la note, Olivier Faron (Administrateur général du CNAM) et Marc-François Mignot Mahon (Président de Galileo Global Éducation) figuraient d’ailleurs en bonne place parmi les orateurs.
Ce document de dix-huit pages très denses ne cherche pas à dresser une analyse approfondie et exhaustive de la situation des jeunes en difficulté ; il cherche plutôt à mobiliser les esprits à l’aide de quelques grands coups de projecteur accompagnés de considérations stimulantes sur certains aspects cruciaux de la situation, notamment l’importance du nombre des jeunes décrocheurs, découragés, voire marginalisés, et les difficultés à les remotiver, ainsi que sur les opportunités qu’offrent aujourd’hui la libéralisation de l’apprentissage et la digitalisation des formations. Un accent particulier est mis sur le traitement des problèmes au niveau des territoires. Compte tenu de l’urgence de la situation dans la phase de l’après-COVID et de l’importance des besoins en compétences pour répondre aux défis du futur, cette note est bienvenue. Pour autant, elle souffre de quelques jugements hâtifs, de conclusions basées sur des données purement quantitatives, d’une vision marquée surtout par le secteur du numérique, et enfin de l’absence de prise en compte des actions menées par l’éducation nationale.
Qui sont les décrocheurs ?
Le point de départ de la note de Terra Nova réside dans l’examen de la situation des jeunes en difficulté et en particulier de ceux qui « décrochent » ou qui vont y être conduits. Les auteurs voient le décrochage scolaire comme « un éloignement progressif du projet de formation — entamé dès l’école primaire — en raison d’une série d’obstacles relevant du milieu social, du capital culturel, ou d’une situation géographique défavorable…, qui conduit presque mécaniquement à la marginalisation… (ce à quoi répond) un système social lourd, coûteux et d’une efficacité très relative quant à sa capacité à remettre les jeunes dans le circuit ».
Même si on constate des améliorations sensibles depuis les dix dernières années, passant de 122 000 sortant du système éducatif sans diplôme à la fin des années 2000 à 90 000 en 2017 (environ 12 %), le phénomène reste massif et ces décrocheurs constituent la majeure partie des jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation en 2021 (Non in Education, Employment and Training ou NEETs) dont l’importance se monte à 13,5 % en France parmi l’ensemble des jeunes de 15 à 29 ans, un chiffre supérieur à la moyenne européenne. Le décrochage est à l’œuvre à tous les niveaux ; c’est ainsi qu’en 2018, 30 000 bacheliers avaient quitté l’application Parcours Sup sans proposition, soit 6 % de tous les candidats, mais 14 % parmi les bacheliers professionnels, et un quart de ces recalés deviennent des NEETs. Les risques de décrochage se sont sans doute accrus depuis 2018 en raison des fermetures d’établissements dues à la pandémie. De nombreux élèves ont perdu le contact avec leurs lycées (notamment dans les lycées professionnels) et n’y sont pas revenus après leur réouverture, tandis qu’en même temps disparaissaient de nombreux emplois, contrats courts ou à temps partiels qui en temps normal offraient des opportunités de travail et préparaient à l’insertion professionnelle. La situation est particulièrement grave dans les régions affectées par la désindustrialisation et dans les zones rurales.
Malgré les efforts engagés depuis longtemps pour faciliter l’inclusion sociale des jeunes en difficulté — et pas seulement des décrocheurs — les résultats restent limités en raison « d’un faible appétit pour la formation, de peu de dispositions à la mobilité, et de lourdes contraintes matérielles… Une partie de la jeunesse est ainsi dans une position de grande fragilité, vulnérabilité, marginalité sociale, et sa motivation pour se former et travailler très limitée » Selon la DARES en 2018, entre 4 et 5 % seulement des jeunes NEETs inactifs et souhaitant travailler recherchaient effectivement un emploi. En référence à l’obligation de réduire drastiquement le chômage des jeunes et de préparer l’ensemble des jeunes aux métiers de l’avenir, la question est aujourd’hui posée de savoir comment aller chercher les décrocheurs là où ils sont et comment les remotiver.
La question de l’orientation et de l’accompagnement est primordiale. « Elle doit être beaucoup mieux ciblée et engagée dès que possible, s’appuyer sur une réelle perméabilité au monde des métiers et être inscrite dans la durée ». Malheureusement, la note n’évoque pas plus avant les modalités d’orientation à l’œuvre au sein de l’enseignement primaire et secondaire – évidemment sujettes à la critique comme le faisaient Dubet et Duru-Bellat dans « L’école peut-elle sauver la démocratie ? » (Éditions du Seuil, 2020) — pas plus que l’action des missions locales. En revanche, Terra Nova suggère que « certains outils du monde de la formation professionnelle pourraient être utilement déclinés, de façon bien sûr très progressive, au sein de l’environnement scolaire : du conseil en évolution professionnelle au bilan de compétences », ce qui mériterait d’être approfondi compte tenu des différences entre les publics concernés.
Pour pallier le manque de mobilité, il importe que le jeune puisse trouver une formation au plus près de l’endroit où il habite, dans son « bassin de vie » et qu’il puisse y exercer les « petits boulots » qui lui permettront de financer sa formation, mais les disparités géographiques sont considérables entre certains départements où l’on est proche du plein emploi et d’autres où la désindustrialisation sévit lourdement et où l’offre de formation est plus limitée.
Ce qui marche : l’apprentissage et le « à distance »
Face à ces défis, Terra Nova voit poindre deux facteurs de réussite liés au volontarisme de l’État ainsi qu’à la conjoncture, les développements de l’apprentissage en référence à la loi de 2018, et la digitalisation des formations qui a permis un essor remarquable des formations « en distanciel ».
Quant à l’apprentissage, la note rappelle les avantages de cette voie (par rapport à la voie scolaire) en termes d’insertion professionnelle et salue les changements apportés par la loi de 2018 qui ont permis les développements impressionnants constatés aujourd’hui, + 40 % en 2020. Les auteurs se félicitent ainsi de la simplification des procédures pour l’ouverture, l’enregistrement et le financement d’un CFA, ainsi que des nouvelles modalités d’accueil et des nouveaux droits donnés aux apprentis y compris les aides financières renforcées pour faire face à la crise du COVID (ouverture du droit de l’apprenti aux 500 euros attribués pour chaque CPF dès le début d’un cycle de formation ; allongement à 6 mois de la durée avant la signature du contrat d’apprentissage ; aide financière attribuée à l’entreprise embauchant un jeune portée à 5 000 euros pour un mineur et 8 000 pour un majeur). Par ailleurs, la possibilité est maintenant donnée aux entreprises de se regrouper afin de signer des contrats d’apprentissage multi-entreprises, et la prise en compte des travaux d’intérêt général (TIG) est devenue possible dans les contrats d’apprentissage.
Dans ce nouveau contexte, les auteurs accordent une attention particulière au développement récent d’outils tels que, dans les universités, celui de formations à bac + 1 débouchant sur un nouveau diplôme baptisé FSS (formation supérieure de spécialisation) reconnu par le ministère de l’enseignement supérieur ; ouvertes en particulier aux titulaires de baccalauréats technologiques ou professionnels et à « des jeunes au profil scolaire un peu chaotique », ces formations leur proposent « une proximité prometteuse avec des besoins économiques régionaux ».
Parallèlement, la digitalisation des formations, « forcée » par les mesures de confinement, a permis un essor considérable des formations en « distanciel », de 0 à 100 % dans de nombreux CFA. Cette « formidable innovation » permet de créer des classes partout. Couplée à des apprentissages intensifs de courte durée chacun consacré à un (ou plusieurs) bloc(s) de compétences (baptisés « boot camps » du nom utilisé au sein de l’armée américaine) elle a facilité la mise en œuvre de formations hybrides au plus près des besoins. Metis a consacré un article à ce type de montage formatif qui déferle aux États-Unis, se développe maintenant en France et semble bien adapté aux métiers de la Tech ainsi qu’à des publics variés incluant des jeunes en réorientation, des décrocheurs et des demandeurs d’emploi (Voir dans Metis : « WebForce3 : nouvelles pédagogies pour nouveaux apprenants », juillet 2021). Selon les auteurs, « ces formations ont très récemment débordé sur de nombreux secteurs de formation : management/comptabilité/finance, mais aussi créativité/soft skills, ou encore cuisine ; bref aucun secteur n’y échappe ».
La combinaison de ces pédagogies innovantes et des possibilités étendues de formation à distance dans le cadre d’un apprentissage repensé bénéficiant d’un soutien étatique particulièrement fort du fait de la crise, offrent des perspectives nouvelles ; elles s’ajoutent aux facilités qu’offrent la création d’internats (déjà à l’œuvre dans certaines régions et certains établissements), et les interventions des régions qui même si elles n’interviennent plus dans les développements des CFA, ont toujours à leur charge la formation professionnelle initiale et continue et sont donc en mesure de participer activement à ces projets. Tout ceci doit permettre de travailler au plus près de l’offre et de la demande de formation et de mobiliser les partenaires, collectivités territoriales et autres acteurs économiques et sociaux ainsi que le monde enseignant et les familles autour des jeunes dans une perspective de réussite.
À ce stade, on voit bien l’intérêt des pédagogies nouvelles liées à la numérisation et à l’approche des “boot camps”, notamment pour certains jeunes que rebutent les formations longues et les salles de classe. Mais l’on se demande si ces méthodes conviennent à tous les secteurs et en particulier aux formations aux métiers de l’industrie, et l’on doute que beaucoup de décrocheurs figurent dans les 40 % de nouveaux apprentis constatés en 2021. On déplore également que les efforts de l’éducation nationale pour rénover les formations professionnelles et pour enrayer le décrochage scolaire — même s’ils ont été vains — soient simplement ignorés.
Les critiques de l’Institut Montaigne
Avec la matinée du 18 octobre, on passait de la réussite des jeunes en difficulté, dans leurs territoires à l’apprentissage et la formation des jeunes aux métiers d’avenir, mais les interventions et les échanges se situaient largement dans les mêmes perspectives que celles abordées dans la note de Terra Nova. On pouvait cependant y voir certaines nuances ainsi qu’un inventaire plus nourri des difficultés rencontrées et des appréciations portant un peu plus loin.
La ministre se félicitait de l’essor de l’apprentissage tout en ajoutant que l’augmentation des flux concernait aussi les formations de niveau bac, mais Bertrand Martinot — pour l’Institut Montaigne — déplorait que les décrocheurs n’aient pas été touchés ; ce dernier faisait le constat d’un « raté dans le basculement des lycées professionnels vers l’apprentissage » et estimait qu’aucune incitation n’avait été mise en œuvre par le MEN en faveur de l’apprentissage » ; tous deux insistaient cependant sur le besoin d’efforts importants afin d’améliorer le système de formation professionnelle initiale — y compris pour les bas niveaux de qualifications comme le soulignait Frank Morel (Institut Montaigne) — et pas seulement de l’apprentissage. La difficulté réside aussi dans le manque d’attractivité de certains métiers comme le soulignait Élisabeth Borne ; elle se réjouissait par ailleurs des développements du compte personnel de formation (CPF) et de son couplage avec l’apprentissage, tout en constatant qu’il avait entrainé des dérives qui devraient maintenant être évitées suite au « nettoyage » en cours des répertoires de certification ; il s’agit maintenant de mobiliser le CPF sur l’amélioration des parcours professionnels.
Selon Bertrand Martinot, le système de certification n’est pas adapté et il en voyait un exemple avec la formation des coiffeurs, plus longue et plus coûteuse en France qu’en Allemagne en raison d’une part trop importante donnée à la formation théorique. Pour Olivier Faron, face aux changements de plus en plus rapides des besoins en compétence des métiers « de l’avenir », il importe de pouvoir adapter les contenus de façon continue sous la forme de la combinaison entre un socle de connaissances et des compétences fréquemment renouvelables. Par ailleurs, face au maquis des formations professionnelles et des certifications, certains intervenants notaient que les entreprises avaient souvent du mal à s’y retrouver. Pour Marc-François Mignot Mahon (l’un des deux auteurs de la note Terra Nova), la formation doit maintenant assumer « la fin de l’académisme » et entamer l’ère « de la compétence ». Il s’agit de « changer de logiciel et de mettre l’entreprise au cœur de la régulation » ; la formation initiale doit être conçue dans un continuum avec la formation continue, dans la perspective de la formation tout au long de la vie, et l’apprentissage constitue bien une voie privilégiée pour y parvenir, notamment grâce aux pédagogies innovantes décrites dans la note et par les nouvelles perspectives des AFEST (voir dans Metis : « L’AFEST : la formation professionnelle à l’école du rugby », novembre 2021) ; l’apprentissage devrait aussi s’ouvrir à d’autres professions telles que celles du secteur sanitaire et social.
Dans la perspective de la formation des jeunes aux métiers de l’avenir ainsi que des objectifs affichés dans la loi de 2018, un problème majeur reste entier, celui de l’accompagnement, celui des jeunes en difficulté et en particulier des décrocheurs, mais aussi celui des demandeurs d’emploi en général. À la différence du CPF qui a déjà vu un million d’utilisateurs, ils ne sont que 100 000 à avoir eu recours au conseil en évolution professionnelle (CEP). Concernant les jeunes, selon Bertrand Martinot, les missions locales exercent un monopole de fait, mais avec des résultats extrêmement hétérogènes, et il semble nécessaire d’impliquer de nouveaux acteurs. Par ailleurs, le rôle des Régions en matière d’orientation et d’accompagnement reste limité, faute peut-être d’avoir été suffisamment clarifié. Il y a là un chantier majeur compte tenu du besoin d’aller au plus près des besoins. On retrouve un problème connexe avec le dispositif Transco d’aide à la transition collective mis en œuvre à la demande des partenaires sociaux et avec leur concours afin de faciliter les reconversions professionnelles, mais qui est peu utilisé et devrait être simplifié comme le jugeait la ministre. Plus grave encore, le chantier de la VAE mérite un sort particulier compte tenu du rôle crucial qu’elle est appelée à jouer dans les processus de reconversion et de reprise d’études. Non seulement elle ne se développe plus, mais le nombre de candidats régresse maintenant d’année en année selon Élisabeth Borne, tellement son usage est « affreusement compliqué » et date maintenant de près de 20 ans. La loi de 2002 doit maintenant être revue, ce que Terra Nova préconise depuis longtemps (voir Danielle Kaisergruber, David Rivoire et Abdoul Karim Komi, « Libérer la VAE : comment mieux diplômer l’expérience », Rapport Terra Nova, 7 février 2018.
Ces difficultés sont d’autant plus dommageables que tous les intervenants se retrouvaient sur le besoin de territorialiser les approches afin de former au plus près des besoins et de faire ainsi droit aux besoins spécifiques des entreprises et en même temps à ceux des individus. D’ores et déjà des intervenants faisaient état d’initiatives prometteuses. C’est ainsi que Françoise Jeanson, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine mentionnait le travail accompli en matière de formation professionnelle avec le ciblage de filières stratégiques, et l’investissement fait sur certains centres de formation afin d’en renforcer l’attractivité, notamment dans les domaines de l’aérien avec l’Aérocampus à Latrene et dans le ferroviaire avec le Ferrocampus à Saintes. De même, l’exemple de l’Université de Cergy-Pontoise présenté par son président François Germinet montrait la pertinence des campus des métiers et des qualifications où l’université est particulièrement active en coopération avec les lycées professionnels et techniques et les entreprises du bassin. Ou encore la création par l’institut de soudure d’un centre de formation mobile afin d’aller au plus près des besoins.
Réalisations et propositions
En s’appuyant sur toutes ces initiatives certains orateurs se mettaient à imaginer des parcours de réussite où l’individu enchaînerait travail et formation ; ces parcours comporteraient des périodes d’apprentissage nourries de pédagogies innovantes, mises en œuvre dans le cadre de contrats qui laisseraient [comme c’est le cas maintenant en raison du COVID] 6 mois à l’employeur et à l’apprenant avant d’être signés, qui pourraient être passés avec des groupements d’employeurs et qui s’ouvriraient à d’autres professions ; la VAE — simplifiée — deviendrait un droit et serait systématisée sous la forme d’un passeport ; le CPF deviendrait un outil majeur au service de ces parcours ; des passerelles seraient multipliées entre des métiers voisins de façon à faciliter la mobilité et la progression des carrières. Sur ces bases, comme le proposait Marc-François Mignot Mahon en fin de matinée, il devrait être possible de bâtir un « new deal » avec les jeunes, sous la forme d’un dispositif universel donnant à chacun un droit à l’emploi et à la formation. C’est ainsi que les chantiers ne manquaient pas, mais semblaient à portée de main pour la plupart des intervenants, notamment dans le contexte du renforcement considérable des plans de formation professionnelle engagés par l’État avec le PIC et le plan France Avenir.
Encore était-il utile de se pencher sur le concret et les contours de ce que sont les vrais métiers de l’avenir. C’est ce à quoi s’attachait Myriam El Khomri [aujourd’hui consultante, auteur en 2019 d’un rapport sur les métiers liés au grand âge] ; pour elle, au-delà des métiers du numérique devaient s’ajouter ceux liés à la révolution environnementale, mais aussi ceux liés au grand âge — auxiliaires de vie, aides-soignants, infirmier(e)s dont les effectifs allaient devoir doubler dans les prochaines années. Ces questions étaient abordées par plusieurs intervenants : la représentante de la région Nouvelle-Aquitaine qui soulignait l’importance du déficit déjà constaté aujourd’hui dans ces professions ainsi que le besoin de mettre en œuvre des formations sur place afin de pallier les problèmes de mobilité, mais aussi les difficultés à trouver des formateurs compétents notamment auprès des personnels des EHPAD. Elle disait faire un « travail de dentelle » pour mobiliser et former les infirmières là où était le besoin. Pour sa part, la PDG de Korian [grande entreprise de gestion de maisons de retraite médicalisées] Sophie Boissard dénonçait les écueils à une saine politique de gestion des ressources humaines dans un secteur où les places en formation étaient très insuffisantes, dont les personnels relevaient de cinq branches professionnelles travaillant sans coordination entre eux, où aucune planification n’était faite et où il n’existait pas de passerelle susceptible de faciliter des progressions de carrière entre des métiers pourtant proches tels qu’aide-soignant(e) et infirmier(e) ou infirmier(e) et médecin.
En conclusion
Ces présentations concernant les métiers du « care » étaient salutaires. Elles ramenaient les participants sur terre après la vision des chemins radieux que d’autres présentations avaient pu laisser imaginer. On voyait mieux les difficultés considérables auxquelles la France allait être confrontée dans la poursuite de ses objectifs ambitieux de formation professionnelle. On s’apercevait en particulier que la question du recrutement et de la formation des formateurs avait été à peine évoquée dans quelques interventions, alors que tous les développements envisagés supposaient qu’on s’appuie sur des formateurs, accompagnateurs, tuteurs et autres personnels enseignants en quantité.
On se demandait aussi s’il n’y avait pas un leurre dans l’idée que des apprentissages concentrés de type « boot camps » puissent s’inscrire dans des perspectives de formation tout au long de la vie. On se rappelait à ce sujet les mises en garde du CEDEFOP et de l’OCDE vis-à-vis de formes d’apprentissage destinées uniquement à l’adaptation à l’emploi [voir dans Metis : « L’apprentissage à la croisée des chemins partout en Europe », avril 2021].
Enfin il semblait paradoxal, voire choquant, d’avoir entendu tellement de critiques à l’égard de l’éducation nationale et tellement de souhaits quant à la réforme du système de formation professionnelle initiale sans avoir donné la parole à un de ses représentants [il était également étonnant et dommageable de ne pas voir de représentant de France Compétences dans cette matinée]. Peut-être ce ministère est-il complètement hors-jeu par rapport aux enjeux présentés, mais encore faut-il en faire avec lui une analyse sérieuse. Il convient ainsi de rappeler les premières tendances positives d’un transfert des lycées professionnels vers l’apprentissage qui s’étaient révélées lors des rentrées 2018 et 2019 et dont la ministre Muriel Pénicaud s’était félicitée en son temps [à l’occasion d’une rencontre organisée par Terra Nova]. Peut-être ces initiatives ont-elles fait long feu comme on peut le craindre malgré les actions engagées par certaines académies et de nombreux GRETA, et l’on peut déplorer l’absence d’un pilotage national sur ce sujet, mais aussi les difficultés rencontrées par les CFA de l’éducation nationale face aux nouvelles règles de financement. Peut-être aussi doit-on incriminer les limites des modalités de l’assurance qualité mises en place par France Compétences qui ont permis l’entrée sur le marché de prestataires aux standards de qualité bien inférieure à ceux de l’éducation nationale ? [Voir dans Metis : « Apprentissage et insertion dans l’emploi », juillet 2021]. Tout cela mériterait d’être débattu. C’était sans doute une erreur de tenter de déborder le mammouth sans l’avoir préalablement bien cadré.
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