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En ce début d’année, on a pu parler d’un « moment européen ». Sans lyrisme excessif on peut juste constater l’importance de quelques sujets sur l’agenda européen marqué par la Présidence française (PFUE pour les initiés), assurée ou non par la continuité à l’Élysée.

La coalition de gouvernement allemande, un exemple (modèle ?) de bonnes méthodes de travail politique et de construction de compromis, s’est concrétisée bien plus vite que prévu et a permis la préparation et le démarrage cohérent d’un grand nombre de chantiers.

« Un moment keynésien » ? Le COVID a balayé les principes et les antiennes rabâchés depuis des dizaines d’années (en fait depuis le Traité de Maastricht en 1992) : maintien des déficits publics en dessous de 3 % des PIB, pourcentage maximum de dettes souveraines à 60 %, et la concurrence parfaite comme seul fil conducteur de la politique concernant les grandes entreprises. Et voilà que l’on entend aujourd’hui que l’expression « politique industrielle » ne serait plus un gros mot !

Les chantiers européens ouverts par ce grand et salutaire courant d’air sont considérables pour l’Union elle-même : révision des règles budgétaires du Pacte de croissance et de stabilité, contournement de la règle des 3 % en n’incluant pas les dépenses d’investissement dans la mesure des dépenses publiques, pilotage politique de l’espace Schengen. Et aussi tous les chantiers qui peuvent redéfinir la place de l’Europe dans le monde : taxe carbone aux frontières, clauses dites « miroirs » visant à empêcher l’importation de produits contenant des substances interdites en Europe, et bien sûr nouvelles règles du jeu pour les grandes entreprises mondiales du numérique.

Le moment européen sera aussi celui de la confrontation des visions : libéralisme ou interventionnisme des États ? Liberté contractuelle des partenaires sociaux ou droit du travail fabriqué par les gouvernements ? Ce sera donc un moment plus politique et plus ouvert, là où les instances européennes nous ont habitués à des engrenages parfois peu clairs de décisions de couloirs bruxellois. La pandémie a redonné de l’actualité au livre très passionnant de Luuk van Middelaar Quand l’Europe improvise (voir dans Metis : « Le destin européen, entre mémoire, événement et projet », avril 2019) qui décrit et raconte comment les crises successives (crise financière de 2007-2008 puis crise des dettes souveraines) ont fait évoluer la gouvernance européenne. À côté du pouvoir d’action de la Commission (proposition de directives, mise en œuvre de décisions, engagement et gestion de programmes incitatifs en matière d’aménagement des territoires, de formation professionnelle…), l’intergouvernemental sous la forme du Conseil européen joue dorénavant un rôle — clé : il réunit les chefs d’État et peut, sous réserve de débats parfois durs, assurer « l’unité de vision et d’action », selon l’expression de Mario Draghi (Discours de Bologne, 2019).

Un moment social européen ? Tandis que les transformations du travail bouleversent les organisations dans tous les pays et favorisent les mêmes évolutions du « travail éloigné », la régulation des plateformes de vrais et faux indépendants cherche sa voix dans une nouvelle directive européenne basée sur la présomption de relation salariale. Le SMIC européen n’est sans doute pas le sujet le plus intéressant. Certains pays ont avancé plus vite que d’autres : l’Espagne par exemple pour les droits des travailleurs des plateformes, l’expérimentation de la semaine de 4 jours ou l’égalité professionnelle hommes/femmes.

Mais alors c’est quoi l’Europe ? Comment résister aux tentations de la fuite en avant ? Va-t-elle, comme inscrit dans le programme de la coalition de gouvernement allemande, vers plus de fédéralisme ? N’est-elle pas tout simplement une union d’États-nations, un oxymore peut-être, mais une construction inédite qu’il importe de revendiquer comme telle. Depuis deux ans de pandémie (déjà !), nous avons appris que l’on peut être malade (positif au Covid) et pas malade (asymptomatique), nous avons appris que l’on peut être à la maison et au boulot en même temps, et tant d’autres choses encore ! Qu’un pays pouvait être libéral, business friendly, et keynésien, intervenant massivement pour soutenir ses entreprises et ses travailleurs salariés ou indépendants.

La start up Pasqal fabrique en ce moment sur le plateau de Saclay son premier ordinateur quantique : le signal n’est pas l’alternance entre le zéro et le un, il est à la fois le zéro et le un. Alors 2022 : année quantique !

L’équipe de Metis vous souhaite une belle et bonne année, imaginative et sans préjugés !

PS : Jean-Marie Bergère et Danielle Kaisergruber assurent désormais ensemble les activités de la rédaction en chef de Metis.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.