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par Isabel da Costa, Udo Rehfeld

La négociation collective transnationale dans les entreprises multinationales fait partie des objectifs du mouvement syndical international depuis les années 1960, mais elle n’a pu aboutir avant le développement des comités d’entreprises européens (CEE) favorisée par la directive européenne de 1994. Ces comités disposent de droits d’information et organisent des rencontres régulières entre représentants des salariés de plusieurs pays. Dans le secteur automobile, certains CEE sont allés plus loin. Chez Ford et General Motors Europe, ils ont conclu d’importants accords transnationaux sur les restructurations. Chez DaimlerChrysler, Renault et Volkswagen, ils ont créé des comités d’entreprise mondiaux (CEM).

Les CEM de DaimlerChrysler, Renault et Volkswagen ont tous signé des accords cadres internationaux. La Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie a été associée à la signature de ces accords qui portent sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) mais aussi sur les droits sociaux fondamentaux. Les CEE de Ford et de General Motors ont signé des accords semblables mais avec une application limitée à l’Europe. Au-delà des accords cadres internationaux et des accords de RSE, les accords transnationaux qui ont été le plus loin sont ceux négociés par les CEE de Ford et de General Motors qui portent sur les restructurations.

Premier accord substantiel chez Ford

La direction et le CEE de Ford ont signé en janvier 2000, lors de l’externalisation de Visteon, le premier accord substantiel conclu par une entreprise multinationale au niveau européen. Il comporte non seulement des règles contraignantes pour l’emploi, mais aussi des engagements commerciaux auprès de Visteon pour les garantir. L’accord stipule que tous les salariés de Ford devenus salariés de Visteon bénéficient de salaires, avantages sociaux et autres conditions d’emploi équivalentes à celles des salariés de Ford. Depuis sept autres accords européens ont été conclus dans la firme.

Les accords General Motors

Le premier accord signé par la direction de General Motors et son CEE, en mai 2000, protégeait les employés transférés, y compris en cas d’échec de l’alliance entre General Motors et FIAT, survenue effectivement en 2005. Les accords signés en mars 2001, octobre 2001 et décembre 2004 ont une portée plus grande encore, car ils donnent des garanties contre des menaces de fermeture d’établissements à l’ensemble des salariés du groupe en Europe. Le CEE de General Motors a refusé la logique des négociations locales nationales qui dans le passé avait favorisé la mise en concurrence des sites. Il a adopté une stratégie de solidarité transnationale, en mettant en avant trois principes pour « partager le fardeau » : pas de fermeture de site, pas de licenciements secs, recherche d’alternatives négociées et socialement acceptables (travail à temps partiel, départs volontaires, préretraites, transferts vers d’autres sites du groupe, etc.).

A trois reprises, en 2001, 2004 et 2006, les syndicats ont organisé des journées d’action européennes, sous forme de grèves ou d’assemblées générales, pour appuyer les négociations. Lors du conflit chez General Motors de 2004 la Fédération européenne des métallurgistes (FEM) a mis en place un « groupe européen de coordination syndicale », composé de membres de son secrétariat, de représentants des organisations syndicales nationales concernées et de membres du CEE. L’accord négocié par le CEE a été co-signé par la FEM.

La fédération européenne des métallurgistes crée un système d’alerte pour tout le secteur

Les CEE dans l’automobile sont presque exclusivement composés de membres des syndicats. Des permanents syndicaux nationaux y sont généralement présents en tant qu’experts externes. La FEM a créé un réseau de « coordinateurs syndicaux européens » pour les CEE dans son secteur d’affiliation. Le coordinateur est généralement permanent d’une organisation nationale du pays où est situé le siège d’une multinationale donnée. L’accord General Motors de 2004 a inspiré un document adopté par la FEM en juin 2005 sur les « restructurations d’entreprise socialement responsables » qui prévoit la mise en place d’un système d’alerte reposant sur les coordinateurs FEM des CEE. En cas d’annonce d’une restructuration transnationale, la FEM mettra en place un groupe de coordination syndicale qui cherchera, avec le CEE, la négociation d’un accord-cadre qui fixera des principes de responsabilité sociale et de garantie de l’emploi avant toute négociation au plan national.

Cependant, le démantèlement de la filiale belge de Volkswagen Forest montre que les principes adoptées par la FEM sont loin d’être systématiquement appliquées par les affiliés nationaux, puisque ni le CEE de Volkswagen ni les syndicalistes allemands de l’IG Metall n’ont averti la FEM et leurs collègues belges des plans de restructuration qui les menaçaient.

Dans l’état actuel de la législation, il faut doubler les accords européens par des accords nationaux pour les rendre juridiquement contraignants. La Commission européenne étudie la possibilité d’adopter un cadre juridique « optionnel » concernant la négociation transnationale au niveau des entreprises. La Confédération Européenne des Syndicats (CES) souhaiterait que la signature d’accords transnationaux européens soit réservée aux syndicats, même si les CEE participent à la négociation. La CES considère que la législation européenne sur les CEE ne leur donne pas un poids équilibré face aux directions des groupes. C’est pourquoi elle demande un renforcement de leurs prérogatives, et la reconnaissance juridique de la présence de l’acteur syndical dans la mise en place et dans le fonctionnement des CEE.

Isabel da Costa (CEE) et Udo Rehfeldt (IRES)

Pour aller plus loin :
Isabel da Costa et Udo Rehfeldt, Syndicats et firmes américaines dans l’espace social européen : des comités d’entreprise aux conseils mondiaux ?, Rapport pour le Commissariat Général du Plan, Noisy-le-Grand, Centre d’Etudes de l’Emploi, Janvier 2006 ; id., « La négociation collective transnationale européenne chez Ford et General Motors », Connaissance de l’emploi, n°35, Octobre 2006, Noisy-le-Grand, Centre d’Etudes de l’Emploi.

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