par Laurent Duclos, Odile Chagny
L’Allemagne s’est engagée depuis 2002 dans un processus de réforme de grande ampleur de sa politique du marché du travail. La réforme des dispositifs ciblés de la politique de l’emploi, amorcée dès 2002 par la loi Job-Aqtiv et poursuivie par la loi Hartz II, a été récemment l’un des objets du rapport final public d’évaluation des réformes du marché du travail. Les petits boulots (les Minijobs) y occupent une place centrale et constituent le cœur de la stratégie de développement de l’emploi peu qualifié. Ciblée sur les temps partiels d’une durée très courte, la politique allemande d’allégements de cotisations sociales salariés diffère sensiblement de la politique d’allégements généraux de cotisations sociales employeurs mise en œuvre en France. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Hartz II en avril 2003, ils ont par ailleurs connu une très forte montée en charge. En raison d’effets d’aubaine et de substitution, leur impact sur les créations nettes d’emploi n’est pas établi.
Le fondement des réformes
Depuis le milieu des années 1990, le débat public en Allemagne s’est focalisé sur la nécessité d’abaisser le coût du travail, afin de restaurer la compétitivité coût des entreprises, mise à mal par le choc de la réunification, mais également de développer les emplois de services, peu productifs et donc peu rémunérés. Si la réforme de l’indemnisation du chômage et de l’accompagnement des chômeurs a toujours été considérée comme prioritaire, elle devait être mise au service d’une politique de développement de l’emploi peu qualifié, préconisée par plusieurs experts, laquelle se serait appuyée sur une baisse des taux de cotisations sociales, compensée par une fiscalisation du financement de la protection sociale. L’objectif majeur des réformes du marché du travail était alors et reste encore : (1) d’abaisser le coût du travail, (2) de résorber le chômage de longue durée, qui touche en Allemagne près d’un chômeur sur deux. L’idée de réformer le financement de la protection sociale n’a finalement pas été retenue, en raison principalement de l’opposition des syndicats.
En définitive, c’est au seul champ de la politique de l’emploi qu’a été assigné le double objectif de résorption du chômage de longue durée et de développement des emplois peu qualifiés. Deux canaux ont alors été privilégiés : la réforme des dispositifs d’insertion sur le marché du travail et un durcissement des contraintes obligeant les chômeurs à revoir à la baisse leurs exigences salariales (ce que les économistes appellent le » salaire de réservation « ).
Une stratification des droits
La réforme des dispositifs ciblés s’appuie d’abord sur une logique d’incitation à la reprise d’activité. Les chômeurs inscrits depuis moins de 18 mois, qui relèvent de l’assurance chômage, reçoivent un encouragement financier à la reprise d’emploi. Les chômeurs de longue durée, pris en charge par l’assistance sociale, sont tenus quant à eux d’accepter n’importe quelle offre, y compris lorsque la rémunération est inférieure aux minima conventionnels, sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à la suppression de l’allocation. De nouveaux dispositifs non marchands ont par ailleurs été mis en place en 2005 pour ces chômeurs, les jobs à 1 €, qualifiés » d’opportunités de travail » (Arbeitsgelegenheiten). Ces activités additionnelles sont cantonnées au secteur non marchand et peuvent conditionner – dans une logique de droits et de devoirs -, le maintien de la prestation. La mise en œuvre de ces dispositifs débouche sur une véritable stratification du marché du travail, et réserve aux personnes qui en sont les plus éloignées l’application d’une logique de workfare stricto sensu.
La réforme Hartz II a banalisé les Minijobs, au sens où elle les a confondus avec l’emploi normal. En 1999, le premier gouvernement de coalition SPD-verts avait refusé de soutenir leur développement. Il avait assujetti ces emplois, auxquels peuvent recourir l’ensemble des employeurs du secteur privé, à une cotisation sociale patronale obligatoire ; gelé à 325 € par mois la rémunération maximale permettant de bénéficier du régime dérogatoire en termes de cotisations sociales ; maintenu le plafonnement de la durée du travail à 15 heures hebdomadaires ; enfin il avait réduit les incitations à exercer ce type d’activité à titre complémentaire, en les assujettissant, dans ce cas, à l’obligation d’assurance sociale et à l’impôt sur le revenu. Tout en maintenant le régime d’exonération, ce premier gouvernement de coalition SPD-verts voulait clairement conserver à ces emplois, qui n’ouvraient pas droit aux assurances chômage et maladie et n’offraient que des droits réduits à l’assurance invalidité-vieillesse, leur caractère marginal. Si la réforme de 2003 engagée par le second gouvernement Schröder a relevé le taux de charge employeur de 22 à 25 %, en revanche, le montant maximum de rémunération a été revalorisé à 400 €. De plus, le plafonnement des horaires a été supprimé, et l’exercice à titre d’activité secondaire de ce type d’emploi est de nouveau exonéré de cotisations sociales, et ces emplois ont pour la première fois commencés à être comptabilisés. Les emplois domestiques exercés auprès d’employeurs particuliers bénéficient d’un régime encore plus favorable (un taux de charge employeur de 12 %, une réduction d’impôt sur le revenu d’un montant de 10 % des dépenses, plafonné à 510 € par an). Pour ces emplois domestiques, la procédure de déclaration simplifiée, introduite en 1997 sur le modèle français du chèque emploi service, est désormais obligatoire.
Afin de limiter les effets de seuil sur les taux marginaux de prélèvements obligatoires, une zone de modulation a été introduite. Les emplois rémunérés entre 400 et 800 € par mois, dits Midijobs, sont, quant à eux, assujettis au taux normal de cotisations sociales employeurs (20,5 % au 1er janvier 2006). Les salariés sont soumis à l’obligation d’assurance sociale, selon un barème progressif. En contrepartie de cette obligation, l’exercice d’un Midijob ouvre des droits aux assurances chômage et maladie, et majore progressivement les droits acquis au titre de l’assurance invalidité vieillesse, ce qui vise à établir une continuité depuis le Minijob vers » l’emploi régulier « .
Les minijobs, piège ou marche-pied vers l’activité ?
Sous l’appellation des Minijobs se cache, en réalité, une modalité ancienne de mobilisation du travail en Allemagne. Les données disponibles attestent qu’environ les deux tiers des Minijobers comme des Midijobers sont des femmes mariées. Avant la réforme Hartz II, le développement de l’emploi » de peu d’importance » (geringfügige Beschäftigung) pouvait illustrer une synchronisation entre salariat et cycles de vie familiaux typique d’une conception non pluraliste du fait familial (cf. l’article 6 de la Loi Fondamentale), une survivance du modèle de complémentarité inégalitaire entre les sexes. En conséquence, il avait semblé longtemps incongru de compter ces » petits temps partiels » comme » emplois flexibles voire précaires « . La refonte des Minijobs n’a donc pas seulement eu pour effet de les assimiler désormais à la condition salariale normale. Conjuguée à l’évolution des structures familiales, elle est susceptible de précariser nettement le statut effectif des individus qui les occupent.
Mais, selon les données collectées par une enquête auprès d’un échantillon aléatoire de 2 451 Mini-jobbers conduite en avril 2004, 15 % de ceux qui ont pris un Minijob l’ont fait parce qu’ils ne trouvaient pas d’autre emploi et seulement 9 % ont trouvé un emploi régulier, soumis à l’obligation de cotisations sociales, après leur Minijob. La transition vers un emploi régulier est en revanche plus fréquente pour les Midijobs. Près d’un tiers des salariés ont trouvé ensuite un emploi régulier.
En dépit des incitations à transformer les Minijobs en Midijobs, le nombre de Midijobs, premier sas vers l’emploi régulier, est resté faible (720 000 en 2004, dont une faible proportion sur l’ensemble de l’année, contre 4,8 millions de Minijobs exercés à titre d’activité principale et 1,8 million exercés à titre d’activité secondaire en 2005) : peu de Minijobs ont été transformés en Midijobs. De ce fait, ni le rapport d’évaluation du gouvernement, ni les experts de l’Agence pour l’emploi (Arbeitsagentur) et du ministère du Travail, ne considèrent aujourd’hui que les Minijobs sont un instrument efficace de la politique de l’emploi. S’il est établi que ces » emplois » sont appréciés comme jobs d’appoint par les personnes qui les occupent, on doute désormais qu’ils puissent constituer une réelle transition vers l’emploi régulier.
Les effets sur l’emploi et le revenu des ménages
Du point de vue macro-économique, l’un des principaux risques induits par la possibilité donnée aux entreprises d’embaucher dans le cadre de contrats non standard à des niveaux de rémunérations inférieurs aux minima conventionnels tient aux effets de substitution. L’effet positif sur l’emploi est dans ce cas réduit et, en l’absence de salaire minimum, il peut en résulter une pression à la baisse sur le niveau global des rémunérations. Le rapport d’évaluation du gouvernement n’exclut pas qu’un tel effet de substitution ait pu se produire entre emplois réguliers et Minijobs, en particulier dans le commerce de détail. Ce risque avait été identifié ex ante par le groupe tripartite d’experts mis en place par le premier gouvernement Schröder. Celui-ci avait fondé la préférence du groupe pour une politique générale, non ciblée, d’abaissement des taux de cotisations sociales, afin de minimiser les risques de pression excessive à la baisse sur les salaires. Pour contrecarrer les effets pervers mis en lumière par ces évaluations, il a été décidé récemment de majorer le taux de cotisations employeur des Minijobs (à compter de juillet 2006).
Odile Chagny et Laurent Duclos
English Version : The reform of targeted measures in german employment policy
Voir plus près
Hartz-Evaluierung www.wipol.de/hartz/evaluierung.htm
A. Hege, 2005, » Allemagne : les salarié(e)s précaires, l’emploi normal et la représentation syndicale « , Chronique internationale de l’IRES, n°97
www.ires-fr.org/[…]/chroniqueires.htm
G. Fels, R. G. Heinze, H. Pfarr et W. Streeck, 1999, » Bericht der Wissenschaftlergruppe der Arbeitsgruppe Benchmarking über Möglichkeiten zur Verbesserung der Beschäftigungschancen gering qualifizierter Arbeitnehmer «
www.mpi-fg-koeln.mpg.de/[…]/Bericht_Benchmarking-Gruppe.pdf
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