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par Pierre Tartakowsky

Pierre Tartakowsky

Parmi les fils qui ont tissé la trame victorieuse de Nicolas Sarkozy, arrêtons nous sur le Travail. C’est sans doute celui qui a permis d’entrecroiser et de nouer des thématiques et des forces sociales. Au point de faire majorité, à défaut de faire sens.

L’Europe, si l’on en juge aux éditoriaux étrangers publiés en France durant la Présidentielle, attendait le candidat sur les grandes questions qui la préoccupent : sa crise institutionnelle, l’avenir promis à la Turquie, les relations transatlantiques. L’opposition, elle, avait cru anticiper en préemptant le terrain qui avait structuré la précédente Présidentielle – la sécurité. Le fameux « ordre juste ». Tous ont été déçus et surtout, surpris. Car personne n’avait pris au sérieux le « j’ai changé » martelé par Nicolas Sarkozy.
Or, il avait bel et bien changé… de pied.

En s’appropriant symboliquement l’espace du travail, traditionnellement dévolu aux forces de gauche, en sacralisant sa « valeur » jusqu’à en faire un axe central de sa campagne, le candidat de l’UMP s’est doté d’une posture nouvelle et bientôt, hégémonique. En invoquant « la France qui se lève tôt », il a en fait adopté un langage transverse, identifié et approprié par des secteurs sociaux très différents. Les poches sociales délaissées – ruraux, artisans, ouvriers – ont perçu dans cet éloge la vérité de leurs efforts, de leur valeur et de leurs sacrifices. Elles y ont trouvé aliment à se distinguer des « poids morts » et autres « resquilleurs » de prestations sociales et systèmes d’aide vécus comme autant de menaces d’un sournois déclassement social. Dans l’affichage volontariste, elles ont entrevu l’espoir d’une sortie de crise existentielle, vers une dignité recouvrée. D’autres acteurs sociaux –le Medef en tête- y ont entendu confirmation de leurs thèmes de prédilection ; enfin, une partie non négligeable des catégories intermédiaires y a sans doute reconnu l’écho de ses aspirations à voir reconnues (via notamment des allègements fiscaux), l’importance de son apport qualifié à la création de richesse.
Cette alliance improbable entre secteurs sociaux dont les convergences d’intérêt ne sont pas évidentes échappe aux clivages politiques traditionnels ; elle constitue le socle social de la victoire électorale de Nicolas Sarkozy.

/ Machiavélisme, démagogie, confusionnisme ? Peut-être. Sans doute. Mais l’essentiel n’est pas là. Pour la première fois depuis la fin des années soixante dix, le travail émerge comme valeur collective, partagée, bref comme valeur politique. Il déloge de fait le chômage de la place centrale que ce dernier occupait dans les discours « post-modernes » ; il remet à leur place les considérations sur la fin du travail et l’avènement d’une société de revenus déconnectés du travail. Pour se référer à l’esprit de 1968, souvent évoqué dans la dernière période, c’est un peu à la revanche des fameux Shadoks (qui pompaient, pompaient, pompaient) qu’on assiste.
Au détriment des Gibis, plutôt partisans des 35 heures… Mais en acceptant, peu ou prou, de voir les 35 heures réduites à la stricte dimension dévalorisante d’un « travailler moins », le mouvement social est sans doute passé à côté de l’essentiel, qui était un valorisant « travailler mieux et autrement. »
On peut évidemment se féliciter de voir le travail s’affirmer comme une dimension centrale et structurante des collectifs et des individus ; à condition pourtant de ne pas l’étriquer à l’aliénant « pomper » shadokien, à juste titre décrié par les Gibis. Confère l’épidémie de suicides à Guyancourt, véritable « mise en fin » tragique comme réponse en abyme à un travail vécu en soi, comme finalité autosuffisante et donc, d’une finalité totalitaire.
On est là bien loin des discours et des envolées médiatiques propres à toute campagne électorale ; plutôt au cœur des réflexions sur les politiques et stratégies managériales que l’entreprise va avoir à connaître. Les lendemains sont toujours à la fois plus difficiles et plus éclairants.
L’avenir devrait rapidement dire comment la grande promesse de la première entend inspirer les secondes. Et si le travail s’y retrouve.

Pierre Tartakowsky

Militant associatif
Rédacteur en chef d’Options, journal de l’UGICT CGT

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