par Héloïse Petit, Nadine Thévenot
Depuis une trentaine d’années, on assiste, en France comme dans la plupart des économies européennes, à une dynamique de restructuration permanente du tissu productif qui rend difficile la définition même des frontières de l’entreprise.
À l’inverse des politiques de concentration caractéristiques des Trente Glorieuses, les transformations actuelles se traduisent par un éclatement des collectifs de travail et par l’émergence de formes de subordination renouvelées.
Les transformations en cause (mouvements de fusion-acquisition, externalisation…) concernent à la fois la structure financière et commerciale des entreprises. A titre d’illustration, nous reviendrons ici plus précisément sur les conséquences de l’accroissement du recours à la sous-traitance (dans l’industrie, 9 entreprises sur 10 ont ainsi recours à la sous-traitance et son intensité a doublé en 20 ans).
Dans une relation de sous-traitance, les donneurs d’ordres, acteurs externes à l’entreprise, exercent une influence directe sur le sort d’une main-d’œuvre vis-à-vis de laquelle ils ne s’engagent pas via une relation salariale. Les dépendances économiques inter-entreprises se traduisent par des modes de gestion de la main-d’œuvre où les responsables de la relation de travail ne sont plus seulement ceux de la relation d’emploi, pourtant les seuls reconnus par le droit du travail. Il devient de plus en plus difficile de répondre à des questions simples comme : Qui commande le salarié ? Qui prend les décisions d’emploi ?
Les risques
On peut lire le contrat de travail tel qu’il s’est construit en France au cours du XXe siècle comme un échange entre subordination et prise de risque : la responsabilité de l’employeur dans la conduite de la relation d’emploi est la contrepartie de la subordination du salarié. Dans le cas de la sous-traitance, le donneur d’ordres n’entretient pas de lien juridique avec les travailleurs extériorisés alors qu’il est responsable, dans les faits, de leurs conditions de travail et d’emploi : ils sont bien dans un état de subordination réelle. En effet, ce qui fait le propre d’une relation de sous-traitance par rapport à une relation d’achat/vente, est la dépendance économique dans laquelle se trouvent les sous-traitants dans la mesure où les donneurs d’ordres gardent la responsabilité technique et commerciale du produit.
Dès lors qu’ils entendent vouloir maintenir leur contrat, les sous-traitants sont soumis à des évaluations de la part des donneurs d’ordres (audits, objectifs de productivité, de formation, de qualité, allant jusqu’à la mise en place d’objectifs de réduction d’effectifs) qui sont la face la plus visible du pouvoir exercé par les donneurs d’ordres sur la main-d’œuvre du sous-traitant. Empiriquement, le recours à la sous-traitance n’est d’ailleurs pas légitimé par la nécessité pour les entreprises de faire face à une incertitude accrue mais traduit bien une stratégie de substitution d’une main-d’œuvre externe à une main-d’œuvre salariée directe (Sauze, Thévenot, Valentin, 2008).
Intensification de la sous-traitance
Cette remise en cause du droit du travail s’accompagne d’une déstabilisation de l’organisation du dialogue social. La taille des entreprises a toujours constitué un facteur d’inégalité important face à l’effectivité du dialogue social : un salarié sur deux ne bénéficie pas de l’obligation de constitution de comités d’entreprises et de Comité d’hygiène et de sécurité et un sur quatre n’est pas non plus concerné par l’élection de délégué du personnel. Les reconfigurations du tissu productif viennent renforcer ces effets de taille. On constate en effet que le recours à la sous-traitance s’intensifie à l’approche du seuil juridique de 50 salariés pour se réduire ensuite (Perraudin, Thèvenot, Tinel, Valentin, 2007).
Ces transformations du tissu productif, parce qu’elles définissent des modes de mobilisation du travail par lesquelles les entreprises peuvent s’affranchir du contrat de travail en lui substituant un contrat commercial, ont finalement un impact non négligeable sur les conditions du travail dans les entreprises. A ce titre, elles alimentent d’ailleurs les préoccupations des acteurs sociaux et institutionnels (Conseil économique et social, 2005, Perulli, 2003, Pedersini, 2002, BIT, 2006).
Héloïse Petit CEE et CES- MATISSE CNRS Université Paris 1,
Nadine Thévenot CES-MATISSE Université Paris 1
BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL, (2006), La relation de travail, 95e session, Conférence internationale du Travail, Genève.
PERULLI A. (2003), Travail économiquement dépendant / parasubordination : les aspects juridiques, sociaux et économiques, Rapport pour la Commission européenne.
PEDERSINI R. (2002), « Travailleurs économiquement dépendants, droit du travail et relations industrielles », Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail.
PETIT H., THEVENOT N. (2006), Les nouvelles frontières du travail subordonné, Coll. Recherches, La Découverte, Paris.
PERRAUDIN C., PETIT H., REBERIOUX A., 2007, « Marché boursier et gestion de l’emploi : Analyse sur données d’entreprises française », Document de travail du CES, n°2007.41.
PERRAUDIN C., THEVENOT N., TINEL B., VALENTIN J., 2006, « Sous-traitance dans l’industrie et ineffectivité du droit du travail : une analyse économique », Economie et Institution, n°9, PP. 35-55.
SAUZE D., THEVENOT N., VALENTIN J., (2008), « L’éclatement de la relation de travail : CDD et sous-traitance en France », in CEE, Le contrat de travail, La Découverte, coll. Repères, PP. 57-68.
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