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Le 3 décembre dernier, employeurs et salariés français ont élu leurs représentants qui siègent dans les Conseils de prud’hommes, instance juridique consacrée aux litiges relatifs au droit du travail.

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Comment une institution aussi largement légitimée par tous les salariés peut-elle ne rencontrer que le quart d’entre eux pour la soutenir ? Comment ne pas y voir le symptôme d’une démocratie malade d’être considérée comme définitivement acquise et où même le péril en la demeure reste inopérant ? L’abstentionnisme de l’acteur social en France n’est qu’un versant de l’absentéisme citoyen qu’on ne sollicite plus que sur sa dimension compassionnelle. Le téléthon a fait beaucoup plus d’heures d’antenne que les prud’hommes, et le lignage de la presse écrite consacré aux élections a été tout aussi révélateur de la médiocrité du portage de l’institution. La presse est un symptôme banal de l’état de la démocratie plus que la mère de tous les maux.

Les déserts syndicaux des TPE et des PME

Plus grave, l’organisation même des élections fait entendre la négligence portée à l’activation de l’investissement du citoyen – acteur social. Ainsi de l’utilité de l’organisation du vote dans l’entreprise, sans en exclure les plus petites, si l’on voulait aussi mobiliser chez les petits patrons le rôle d’acteur social. Il eût mieux valu découvrir cette utilité avant qu’après les élections. La participation des votes effectués dans les entreprises a atteint 50 % et ceci essentiellement dans les grosses entreprises. Les déserts syndicaux des PME et TPE ont été des déserts de participation. Un symptôme de plus de l’entretien du clivage organique entre gros et petits patrons comme entre salariat le moins mal loti et autres salariats.

Pour en venir aux chiffres, en 2008, il y a 2 millions d’inscrits de plus qu’en 2002 et 600 000 votants de moins, ce qui en rajoute encore à l’apréciation que l’on se fait du taux de participation de 25,54 %. Ainsi, du relativement bon score de la CGT qui se solde pourtant par un déficit de100 000 votants par rapport à 2002. Il y a dans ces résultats des gagnants en pourcentage et des perdants en référence à 2002. Parmi les gagnants, l’UNSA (+1,2) et SUD (+2,3) qui en 2002, ne couvraient respectivement que 71,64 % et 13,74 % des listes aux élections. Elles ont couvert à ces élections 91 % et 58,32 % des listes. Soit pour l’UNSA une progression de 1,2 % pour 20 % de présence supplémentaire sur les listes et pour SUD 2,3 % pour 45 % de couverture supplémentaire. La CGT progresse de 1,6% pour une couverture qui croît de 97,95 à 99,41 %.

Seule parmi les gagnants, la CFE-CGC, avec 2 points de moins dans sa couverture, gagne 1,2 %. Ici l’investissement budgétaire en publicité de style très grande consommation, est certainement la clé du succès.
Parmi les perdants, la CFTC (- 0,7) et FO (- 2,3) ont respectivement perdu 2,4 % et 0,8 % de couverture des listes. La perte de la CGT-FO est sûrement la plus significative. L’identité successivement portée par Bergeron puis par Blondel a laissé une ambiguïté d’image qui n’est pas sans lui nuire. Quant à la CFDT, avec une couverture supplémentaire de 1 %, elle perd près de 3 % des voix et son leadership dans l’encadrement.

La crise ne pousse pas à la tempérance

Avec la crise, on s’attendait à ce qu’une certaine radicalité soit payante, elle l’a effectivement été dans la frange des votants la plus proche de la militance syndicale. Les cinq millions de votants représentent ce qui reste d’une tradition syndicale jamais dominée par le compromis et le réformisme. La crise, par ce qu’elle révèle de l’exploitation du salariat, ne pousse pas non plus à la tempérance. Qui plus est, c’est à la mesure des effets dans l’entreprise que le compromis éventuel peut s’apprécier, beaucoup mieux qu’à l’aune nationale où l‘action du syndicalisme n’est pas facilement et concrètement appréciable. Versant patronal, l’UDE (Union des entreprises) animée par le Medef a perdu 7 % d’audience au profit du patronat de l’économie sociale qui fait une progression notable de 8 % à 19,25 %, dont 34,40 % dans les « activités diverses ».

En conclusion, on attendait de ces élections un test de représentativité, on en a tiré un état des lieux de la dégradation de l’investissement démocratique et social. Personne ne peut se féliciter de cette situation, alors que s’opèrent les prémices d’une crise, dont le versant sociétal et social n’a encore rien dit de l’ampleur des déstabilisations qui nous attendent. L’énorme majorité d’absentéisme est un marais où le sentiment d’injustice n’est pas moindre que chez les votants, elle traduit une défiance à l’égard des édiles qui n’épargne pas les leaders syndicaux, tout cela derrière un profond sentiment d’impuissance qui dure depuis très longtemps déjà.

En matière de régulation sociale, on ne peut être que très inquiet de cette imprévisibilité du « marais » après trop de colère longtemps rentrée. On a trop dit qu’après la révélation de la crise rien ne serait plus comme avant. Puisse le syndicalisme imposer ce vœux pieux. Deux bonnes raisons à cela : rien n’indique que nos édiles aux affaires se désenvoûtent subitement de vingt ans d’identification au néolibéralisme sans une très forte pression sociétale et sociale ; la seconde bonne raison étant qu’il serait opportun, lorsque la colère éclatera, qu’elle dispose d’un discours pour lui donner sens, ce qui, en l’état de notre PS, ne peut venir que du syndicalisme.

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