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par Ricardo Rodríguez Contreras

Avec un taux de chômage qui dépasse les 20%, dans la ligne de mire des agences de notation, l’Espagne tente de réformer en profondeur son marché du travail en renouvelant le pacte social.

 

madrid syndicats

Actuellement le nombre de personnes sans emploi inscrites à l’Institut National de l’Emploi est proche de 4.6 millions, le plus grand nombre jamais atteint. De 2007 à février 2010, plus de deux millions de personnes ont rejoint les rangs des sans-emploi ce qui constitue une augmentation de 100% sur un an ! Aujourd’hui, 40% ont moins de 25 ans.

 

Depuis le retour de la démocratie, les accords collectifs ont été au cœur du développement économique. Tous les gouvernements de gauche, de droite et du centre, ont utilisé les processus de dialogue social bipartite et tripartite pendant les périodes de récession ou de croissance. Avec la crise, les objectifs et les formes de dialogue social ont varié. Où en est-on aujourd’hui ?

 

2009, l’année des désaccords

Le marché du travail espagnol est dual. Il permet de licencier très facilement les salariés en CDI en échange d’indemnités très élevées par rapport à la moyenne OCDE, tandis que les travailleurs intérimaires n’ont quasiment aucun droits.

 

Cette difficulté représente un défi pour le dialogue social en Espagne et l’empêche d’obtenir des résultats. En principe, les mesures prises dans le cadre du dialogue social sont plus efficaces et ont de meilleurs résultats que celles qui sont prises unilatéralement par un gouvernement, du moins c’est ce qu’enseigne la pratique et ce qu’affirment les experts. Si le dialogue social est loin d’être la solution miracle à tous les problèmes économiques et sociaux, il a contribué à la paix sociale et à une meilleure cohésion sociale en Espagne, contribuant également à la croissance économique et à la croissance de l’emploi jusqu’en 2008, particulièrement ces dernières années.

 

Aujourd’hui, on attend de lui des réponses à la détérioration du marché du travail et à la profitabilité -et à l’exercice- des entreprises, ainsi qu’un cadre d’action pour les employeurs et les syndicats. Des accords interprofessionnels au niveau confédéral qui contiennent des recommandations-cadre pour les accords collectifs ont été signés environ tous les deux ans depuis 2004 avec des résultats significatifs.

 

Ce dialogue social bipartite fructueux a été bloqué par les différences insurmontables entre employeurs et syndicats. En conséquence, les négociations sur des centaines d’accords collectifs et sur la révision des salaires ont été bloquées. Négocier des augmentations de salaires dans le contexte économique de récession de 2009 -avec une prévision d’un taux de croissance négatif- et après des mois de négociations sur les taux d’inflations a été impossible cette année, bien que le taux de croissance du PIB ait finalement été légèrement positif (0.3%).

 

Le gouvernement socialiste a voulu accélérer les négociations tripartites sur des mesures « anti-récession ».  Parmi ces mesures, le gouvernement travaillait à une réforme du travail pour modifier le modèle productif ; réforme qui s’inscrit dans le cadre de la loi sur l’Economie Durable. Ces deux processus parallèles se sont terminés sur un échec retentissant à l’été 2009, chacun accusant les autres du blocage.

 

2010 : retour au dialogue et aux accords ?

A la fin de l’année 2009, reconnaissant les difficultés engendrées par le non-renouvellement des accords collectifs et la détérioration de la situation économique du pays, les partenaires sociaux ont commencé à négocier un accord autonome. Par conséquent, les organisations d’employeurs CEOE et CEPYME, ainsi que les syndicats CCOO et UGT ont signé un accord sur l’emploi et les négociations collectives valables pour la période 2010-2012. Cet accord cherche à renforcer la confiance, utilisant la négociation collective comme instrument pour couvrir les 23 millions de salariés et leurs familles.

 

L’accord parvient à équilibrer les salaires et l’emploi : l’engagement favorise la reprise de l’emploi et en même temps garantit les salaires ce qui est essentiel pour maintenir la demande/consommation et contribue à la reprise économique. L’accord prévoit une augmentation de salaires de 1% pour 2010 ; entre 1 et 2% pour 2011 et entre 1.5 et 2.5% pour 2012, avec une révision de la clause sur les salaires afin d’éviter une perte de pouvoir d’achat en cas d’inflation. De la même manière, les entreprises qui connaissent des difficultés économiques, peuvent décaler dans le temps les augmentations de salaires et proposer un délai de paiement des augmentations de salaires non- perçues par les salariés.

 

Une fois que les blocages ont été levés dans les négociations bipartites, le dialogue social s’est résumé en 2010 à des propositions gouvernementales. Ce processus est en cours. Le gouvernement a présenté un premier document aux partenaires sociaux présentant les lignes générales de la négociation vers une réforme du marché du travail.

 

Lors de la première évaluation, les syndicats comme les organisations d’employeurs ont considéré ce texte comme un point de départ insuffisant. Selon eux, les points abordés par le gouvernement doivent être réorganisés afin d’améliorer tous les marchés du travail, ceci allant de la réduction de l’emploi intérimaire à la réforme des négociations salariales, ainsi que des mesures en faveur de l’emploi des jeunes, la réforme des primes à l’embauche et le contrôle de l’absentéisme. Si ce document ne prévoit pas de nouveau contrat, il propose des améliorations par rapport aux types de contrats actuels pour promouvoir les recrutements en CDI. Seul un point de la proposition a abouti à une mesure spécifique, dont les modalités d’application restent à déterminer : il s’agit de la promotion de la réduction du temps de travail (plutôt que le licenciement) ; selon le modèle allemand du chômage partiel « Kurzarbeit ».

 

Négociations autonomes et nouveaux projets du gouvernement

Le gouvernement a appelé les partis politiques et le parlement à initier des processus d’accords accélérés. Le Secrétaire d’Etat à l’Economie a présenté un nouveau plan anticrise et étatique, le pacte de Zurbano, incluant 50 mesures principalement axé sur l’aide aux PME et aux clients. La négociation a été difficile et finalement en Avril, le gouvernement a approuvé, par décret, 25 des 54 mesures (que l’opposition n’a pas votées). Parmi ces 25 mesures, il y a la mise en place d’un taux de TVA super-réduit (à 4%) pour certaines activités afin de simplifier les régimes comptable et fiscal des PME ; ainsi que l’augmentation du montant (jusqu’à 200 000€) des prêts directs que l’Institut Officiel de Crédit peut accorder.

 

Dans ce double exercice impliquant à la fois le parlement et les partenaires sociaux, le gouvernement a une fois de plus présenté un nouveau document qui développe le document précédent. Hormis les ambigüités et l’impénétrabilité du texte, son principal mérite est de proposer une extension universelle du contrat qui promeut l’embauche en CDI, en place depuis 1997, et dont l’utilisation était jusqu’ici réduite à certains groupes. Ce contrat fixe les indemnités en cas de licenciements à 33 jours par année d’ancienneté -alors qu’elles étaient égales à 45 jours jusqu’ici-, le gouvernement en prenant une partie en charge.

 

Pour encourager les employeurs à adopter cette formule, le gouvernement propose que le FOGASA (Fonds de garantie des salaires), qui prend en charge 40% des coûts de licenciement pour les entreprises de moins de 25 salariés, prenne en charge huit des trente-trois jours de compensation. Avec cette proposition, le coût des licenciements pour les entreprises seraient légèrement supérieur à ceux des licenciements collectifs (20 jours). Le FOGASA, qui était jusqu’ici exclusivement financé par les entreprises, serait désormais cofinancé par les entreprises et l’Etat et concernerait l’ensemble des entreprises.

 

Il est aussi proposé de mettre en place en Espagne une adaptation du « modèle autrichien » ; il s’agit d’un fonds que les entreprises alimentent mensuellement pour chaque salarié (1.5% du salaire) et qui n’est utilisé qu’en cas de licenciement ou de départ en retraite. Ce fonds est personnel et transférable d’une entreprise à une autre lors de mobilité du salarié.

 

La proposition porte aussi sur des mesures qui pourraient être rapidement acceptées par toutes les parties -comme ce fut le cas en Allemagne- et qui concernent le paiement de 60% des heures non travaillée lorsqu’il y a réduction du temps de travail, des primes aux entreprises qui embauchent des jeunes de moins de trente ans, ou l’intention mille fois renouvelée de promouvoir les contrats à temps partiel.

 

Les premières réactions ont été défavorables : sans surprise, les syndicats n’ont pas approuvé la baisse des coûts de licenciement bien que le gouvernement insiste sur le fait que les salariés ne vont rien perdre de leurs droits. Les employeurs, de leur côté, ont le sentiment que ces propositions sont très insuffisantes et attendent des mesures pour réduire les cotisations de Sécurité Sociale, ce qui s’avèrent extrêmement compliqué dans la période de restriction budgétaire actuelle.

 

Dans tous les cas, le débat se concentre largement sur les coûts de licenciements comme s’il s’agissait du principal problème auquel l’économie espagnole devait faire face et le principal obstacle du marché du travail. Les leçons de ces dernières années ne semblent pas avoir été retenues puisque, malgré la baisse des coûts, le fossé qui sépare les salariés en CDI et les intérimaires n’a quasiment pas bougé. D’un autre côté, la perte d’emplois due à la baisse du PIB est plus importante, comme l’a montré la récession, du fait de l’énorme élasticité du marché du travail et sans qu’il y ait eu de gain de productivité (c’est plutôt l’inverse qui s’est produit). L’expérience montre que la réduction des coûts de licenciement n’ont pas d’effets sur les dysfonctionnements du modèle de travail, plutôt mal en point, et dont les défauts sont ailleurs.

 

Traduction: Claire Piot

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