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« Les temps sont mauvais » dit Jacques Delors. L’actualité européenne (et bruxelloise) ne nous fournit pas beaucoup de sujets de satisfaction (Certains félicitent même le sieur Berlusconi pour sa politique !). Avec la crise de la dette, les Etats sont traités comme de simples entreprises en faillite et la solidarité oubliée. On ne tire pas non plus les leçons des relations avec la Chine pour préparer un accord de « libre-échange » avec l’Inde. En France et un peu partout, la stigmatisation de l’autre se développe, les réflexes sécuritaires sont utilisés au maximum…

 

Il faut voyager dans les régions ou les villes, pour y rencontrer ceux qui prennent les problèmes à bras le corps et inventent des solutions. Ils sont nombreux à s’être mobilisés dans les collectivités locales, dans les structures en charge de l’emploi, de l’insertion, dans les entreprises et du côté des organisations syndicales. C’est ce qui fait l’actualité du « dialogue social territorial », sujet qui n’est certes pas le plus commenté dans les journaux ! Un brin de définition s’impose. « Dialogue + social + territoire » désignent des partenariats à géométrie variable sur et pour un territoire, son développement, ses ressources humaines avec des objectifs de meilleure insertion professionnelle et sociale, d’accompagnement de salariés licenciés. Et plus que tout de « sécurisation des parcours ». 

 

Ce n’est pas nouveau : déjà les Comités de bassin d’emploi ou les multiples initiatives de « développement local » avaient ces objectifs. Mais deux choses ont changé : la décentralisation et le besoin de continuité dans les parcours. Jean-Marie Bergère analyse comment en France la décentralisation a changé les « acteurs locaux », les a libérés de la relation avec le centre (l’Etat) et a fabriqué de nouveaux « arrangements ». Les politiques d’emploi et de formation se sont territorialisées. Alors il faudrait peut-être parler de « dialogue multi-acteurs » ?

 

Face aux mutations des entreprises et des territoires, on a longtemps agi dans l’urgence et la réparation. Mobilisation rapide et arrivée temporaire de moyens sur un territoire. Et puis on a appris, collectivement : les restructurations sont permanentes, les entreprises s’installent et repartent, les retournements de situations sont de plus en plus rapides. Les salariés et les territoires restent. Alors il faut « équiper » les personnes et les territoires. Anticiper, c’est se tenir prêt : et les employeurs qui laissent des salariés sans formation et sans requalification pendant des années sont grandement coupables. En plus des jeunes à insérer, des gens en grande difficulté, il faut regarder du côté des salariés dont l’emploi peut être menacé. Pour les territoires cela veut dire connaître le mieux possible les évolutions à venir (diagnostics, contrats d’étude prévisionnelle…) et se doter de dispositifs permanents qui permettront d’accompagner des reclassements, des parcours d’insertion et de formation (comme en France Comté), des mobilités « par avance ». Parce que le bassin d’emploi et de vie est le bon niveau où se font un grand nombre de mobilités, voulues ou subies.

 

« Pactiser » dans les territoires

Souvent cette manière de s’occuper des ressources humaines du territoire et des parcours va s’appeler « dialogue social territorial », parfois « Gestion Territoriale des emplois et des compétences », « Pactes territoriaux » dans le vocabulaire européen, et puis parfois autrement, mais les ingrédients de ces initiatives sont les mêmes dans les différents pays, depuis les Fondations d’Emploi en Allemagne, de Travail en Autriche, ou les Job Security Organisations en Suède. Outre les dispositifs législatifs et réglementaires, ce sont bien le poids des acteurs, le dynamisme des organisations syndicales, l’habitude ou non de « se parler de tout » qui font la différence. Et surtout la relation avec les entreprises. Xavier Baron montre comment on passe de la GPEC d’entreprise (bien modestement développée avec seulement 2% des entreprises ayant signé un accord !) à la GPEC Territoriale. Fuite en avant pour les partenaires sociaux ? En fait le dialogue social territorial n’est pas le prolongement du dialogue dans les entreprises, et la question de l’implication des entreprises dans les initiatives de dialogue social territorial reste ouverte.

 

L’Etat s’essaie à soutenir ces projets de cohésion, voire à les encourager, il co-finance avec les Fonds structurels européens un grand nombre d’initiatives, conscient que l’attractivité d’un territoire dépend aussi de la bonne coopération des acteurs. Mais la mobilisation locale peut-elle lutter efficacement contre les tendances lourdes ? Krystyna Iglicka décrit comment l’ouverture des marchés du travail allemand et autrichien en mai 2011 va drainer les salariés polonais, menaçant le pays d’un appauvrissement considérable. Rentable pour l’Allemagne, comme le sont les immigrés pour la France, vu qu’il lui ont rapporté 12,4 milliards en 2009 ! Lors d’une Rencontre sur ces sujets à Lyon, Dominique Paucard (Syndex) évoquait l’exemple de Göteborg en Suède : pour garder comme ressource sur le territoire des ingénieurs dont l’entreprise a fermé, une initiative partenariale a favorisé leur emploi dans des PME.

 

Il s’agit bien de considérer le territoire comme un vivier de compétences, un ensemble vivant de parcours, avec une vision globale, « la compétence générale » des collectivités locales qu’évoquaient les participants européens à la rencontre Partenalia. Une couche de plus, une complexité de plus ? C’est peut-être l’inverse : en voyant clair (anticipation), en se donnant des priorités – c’est le projet qui définit le territoire – on peut faire des circuits courts, bousculer les découpages traditionnels et privilégier le service rendu aux personnes et aux entreprises.

 

 

 

Pour en savoir plus :

– Conseil Economique, Social et Environnemental, Rapport « Réalité et Avenir du Dialogue social territorial », Jean-Louis Walter, 2009

– Entreprise, Territoire et Développement, ETD, http://www.projetdeterritoire.com/

 

 

 

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.