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par Clotilde de Gastines, Claude Emmanuel Triomphe

Gérard Larcher est incontestablement un praticien et un expert du dialogue social et de toutes les questions relatives au travail. Ancien ministre du travail, ancien président du Sénat, auteur cette année d’un rapport sur la formation professionnelle, il nous livre son analyse et ses convictions sur le travail, les relations sociales, l’articulation entre législation et négociation. Entretien.

 

larcher

Comment appréhendez-vous la question du travail ?

Ma vision du travail est dans les racines de mon engagement politique. La question du travail est indissociable de l’homme au travail, du rôle et de la place de l’individu dans la création de la richesse collective constitutive de la force d’un pays. Gaulliste social, je ne suis pas enfermé dans la nostalgie d’un modèle, je veux promouvoir une approche du travail et de l’emploi  pour aujourd’hui et pour demain.

 

Jusqu’à mon passage au ministère du travail (2005-2007), il me restait un  fond  » d’ateliers nationaux  » : l’illusion que l’on peut décréter la création d’emplois. Ce mandat m’a convaincu que sans croissance, on ne crée pas d’emplois. Et si une entreprise n’est pas compétitive, il n’y aura ni investissement, ni croissance. Je pense qu’on doit militer pour avoir des entreprises compétitives et pour que la croissance ne se fasse pas au détriment des salariés. La crise nous oblige à réfléchir au point d’équilibre entre les deux.

 

Cet équilibre passe notamment par un nouveau modèle de sécurisation des parcours professionnels, et par l’évolution du droit du travail. Le quinquennat précédent n’a pas tranché la question de la réforme du droit de travail, et de la définition des normes collectives applicables. Au fond, nous vivons dans un modèle, que connaitra de moins en moins la génération de nos enfants. La création d’emploi se fait de moins en moins dans les grandes entreprise sur lesquelles on a construit notre droit du travail.

 

Prenons l’exemple de PSA. La suppression de 8000 emplois est dramatique, et tout doit être fait pour trouver une solution à chacun des salariés concernés. Mais on entend très peu parler des sous-traitants de PSA de rang 2 et 3 qui vont être touchés. Notre système de protection ne s’applique pas à 50% des salariés français. C’est un vrai sujet d’inéquité sociale.

 

Quelle différence faites-vous entre travail et emploi ?

Derrière le travail, il y a des questions de droits, de santé, de prévention, de contrôle. Je n’ai jamais trouvé que le système d’inspection du travail soit vide de sens. Je crois au rôle d’une inspection du travail moderne, fonction d’Etat, qu’on ne peut pas déléguer à un organisme extérieur.

 

Quels sont à votre avis les grandes avancées à mettre au crédit des gouvernements de droite sur les questions du travail ? Et quels sont les points qui ont été les moins satisfaisants ?

Trois grandes réformes du quinquennat précédent ont permis d’avancer. Primo : la mise en place de l’agenda social dès l’été 2007, même si la fin du quinquennat n’a pas été marquée par un temps de confiance entre le chef de l’Etat avec les partenaires sociaux. Secundo : la réforme de la représentativité syndicale de salariés. Cela fait longtemps que je demande aussi une réforme de la représentativité patronale, et je pense que le moment est venu. Tertio : la réforme des retraites qui a permis de sauvegarder notre système de retraites par répartition et de tenir compte de l’allongement de l’espérance de vie.

 

Il est indéniable qu’il y a vraiment eu du dialogue social au cours du quinquennat. Les avancées ne sont d’ailleurs pas du tout remises en cause : la rupture conventionnelle, la représentativité que personne n’avait faite avant, la réforme des retraites en préservant la solidarité entre les générations. Tout cela est à mettre au crédit du précédent gouvernement. En ce qui concerne les retraites, je pensais aussi qu’il fallait regarder la faisabilité d’une réforme systémique, comme le souhaitait  la CFDT. Nous avons tenu bon et l’Assemblée Nationale a adopté l’amendement qui prévoit d’examiner la réforme systémique en 2013.

 

 

On peut dire que la réforme de l’inspection du travail a été ratée. Dans d’autres pays européens, l’inspection est réduite à un bloc de santé-sécurité au travail et l’Etat confie aux partenaires sociaux une fonction d’auto-contrôle.  Est-ce souhaitable en France ?

C’est impensable, parce que l’Etat est trop fort, et les partenaires sociaux trop faibles. Tant qu’il n’y aura pas de rééquilibrage, une évolution de ce type-là n’est pas souhaitable. Cela ne veut pas dire que je me satisfasse de partenaires sociaux faibles. Au contraire !

 

S’agissant des relations sociales à la française, qu’est ce qui constitue leurs points forts et leurs points faibles ? Que pensez-vous du projet de constitutionalisation de la loi sur la représentativité ?

Les relations sociales à la française sont souvent conflictuelles  Il est parfois difficile de construire des relations de confiance. Confiance ne veut pas dire convergence. Je crois que la réforme de la représentativité va permettre de trouver un équilibre.

 

On a proposé la consécration de la  loi qui porte mon nom en l‘introduisant dans la Constitution. Je pense qu’il est trop tôt car la réforme de la représentativité n’a pas encore abouti. Attention à ne pas brûler les étapes :  tant qu’on n’a pas une démocratie sociale pleinement mature, c’est la démocratie politique qui doit l’emporter en dernier lieu.

 

Parfois, il existe des sujets de société qui dépassent le champ de la négociation collective entre les partenaires sociaux. Je pense, par exemple, à la réforme des retraites. À un moment, la décision doit être politique. Je continue à penser que la démocratie politique est d’essence différente de la démocratie sociale. Et il faut aussi faire attention à ce que la sur-utilisation de la loi de 2007 ne devienne pas un prétexte à l’immobilisme quand il y a des décisions à prendre rapidement.

 

Sur certains sujets précis, les partenaires sociaux doivent s’impliquer davantage. Lorsque j’ai rendu mon rapport sur la formation professionnelle au printemps dernier, j’ai insisté sur le fait que cela devienne un sujet de discussion entre les représentants des salariés qui exige un accord annuel ou bisannuel lié à la GPEC (gestion prévisionnelle de l‘emploi et des compétences). Le rapporteur général de ce rapport est le  directeur de cabinet du ministre aujourd’hui chargé du dossier : j’espère que nous avancerons dans la mise en œuvre des orientations du rapport.

 

Sur la question de la gouvernance des entreprises, il ne faut plus que le chef d’entreprise pense être le seul maître à bord. Je suis ouvert à une participation des salariés dans les conseils de surveillance. La notion de participation des salariés serait un bon élément de réponse à un moment de doute collectif et de recherche de solutions pragmatiques. Cette participation est d’ailleurs un des secrets de la méthode Hartz et de la tradition allemande.

 

 

Pour vous, la classe politique française souffre-t-elle d’un déficit d’appréhension des enjeux du travail dans nos sociétés ? Et si oui, comment combler ce déficit ?

Ce sont les entreprises qui créent richesse et emploi. Ce sujet divise encore une partie de la gauche, le centre et la droite. Une partie de la gauche pense que ce n’est pas le sujet central. Une partie de la droite pense que c’est d’abord la création de richesse qui importe, puis après on verra. Je pense que tout cela s’organise.  Et c’est essentiel pour relever le défi du chômage qui ne cesse de s’aggraver.

 

La compétitivité d’un pays s’appuie sur quatre piliers, et là je suis assez proche des réflexions de la CFDT. Il ne faut pas limiter la reflexion aux questions du coût du travail. Il faut tenir compte de la formation initiale et de la formation tout au long de la vie professionnelle. Il faut faciliter l’accès au crédit des entreprises. Il faut favoriser l’organisation des PME par filières. Les conditions de travail sont trop inégales tout au long de la chaîne avec une dissymétrie dans la santé et conditions de travail, les salaires et la formation professionnelle. Le diagnostic sur ce dernier point est que 60% des salariés ont accès à des formations tous les deux ans dans les grandes entreprises, contre 15,5% dans les PME-TPE.

 

La question de demain n’est pas de sauver l’emploi dans l’entreprise, mais de protéger les personnes en leur donnant les moyens d’avoir une formation, de retrouver un emploi. Car c’est un élément discriminant majeur. Ce sont toujours les mêmes qui sont sécurisés et toujours les mêmes qui ne le sont pas. Il faut que les hommes et les femmes aient confiance pour être les acteurs de la compétitivité.

 

Quel doit être le rôle du politique sur les questions du travail ? Que pensez-vous de ma méthode choisie par le nouveau gouvernement au travers de la grande conférence sociale ?

Le nouveau gouvernement a appliqué la loi de 2007. Je m’en réjouis. La mise en scène est différente, le nombre des personnes accueillies aussi. Mais sur le fond, le gouvernement fait pareil : il fixe un agenda. Il l’appelle feuille de route, pourquoi pas !

 

Sur la question de la négociation, je ne fais pas de procès d’intention. Je veux voir ce qui va se traduire concrètement à échéance d’un an et demi, deux ans. Parce qu’on a toujours la tentation de légiférer et de s’en remettre au  Parlement. Et on l’a vu y compris dans les dernières décisions sur les heures supplémentaires. Ils auraient pu en discuter au préalable avec les partenaires sociaux.

 

 

L’annonce de la fermeture de certains sites de PSA est-elle un signal pour mettre en place une politique de filière automobile européenne ?

Je me méfie des réactions émotives. Je n’ai pas de doute sur la manière dont PSA va tenir ses engagements. Il faut aider la filière, mesurer les surcapacités, ne pas croire que la voiture électrique est le remède à tous les maux. Voyez, PSA a choisi de continuer à produire en France, tandis Renault construit davantage à l’étranger.

 

Les outils de réindustrialisation et de revitalisation existent. Christine Lagarde a mis en place une charte automobile. Avec deux préfets successifs, j’ai suivi de près le plan de sauvegarde de l’emploi de l’usine de Continental à Rambouillet,  450 emplois supprimés sur 900. Tous les salariés ont été reclassés, des entreprises se sont développées, notamment dans les nano technologies.

 

Sachant que l’automobile représente 10% de l’emploi en France, en Allemagne, et un peu moins en Italie, l’enjeu est  stratégique. Ça mérite de se poser la question d’une filière européenne. Est-ce que ces pays voudront aussi jouer la solidarité et les alliances entre constructeurs européens ?

 

La dimension sociale de l’Europe sociale est -elle menacée selon vous aujourd’hui ? Que pensez-vous de l’attitude de la Grande-Bretagne ?

La crise fait souvent passer le social au deuxième ou troisième rang. L’Europe sociale souffre de la tension permanente sur les questions monétaires et bancaires : le sauvetage des banques en 2009, la crise des dettes souveraines. J’ai le sentiment que les sommets des ministres du travail ont beaucoup moins de force qu’à mon époque. Je me souviens  des batailles sur la question de l’opt out sur la durée du travail.

 

J’avais proposé de créer un périmètre social qui puisse se faire sans les Britanniques et en prenant en compte les spécificités de certains pays d’Europe du Nord. Si j’étais premier ministre, ministre du travail ou des finances, je prendrais une initiative de la sorte, qui relance un certain nombre de pratiques et d’innovations sociales. En liant la croissance et la compétitivité, à des parcours professionnels sécurisés.

 

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