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Vers de nouveaux pactes sociaux fondateurs ?

publié le 2013-01-23

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Deux événements d’ampleur pour toutes celles et ceux qui sont attachés « au social » viennent de se succéder à quelques jours d’intervalle. Le premier sous la forme d’un accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi signé par 3 organisations patronales et 3 organisations syndicales françaises, abondamment commenté par la presse, les partenaires sociaux et les plus hautes autorités publiques du pays. Le second, beaucoup plus discret médiatiquement – mais non moins important, sous la forme d’une résolution à caractère législatif votée à une écrasante majorité par le Parlement européen et portant sur la gestion anticipée des restructurations d’entreprises à l’échelle du continent. Qu’ont ils en commun ? Sont-ils susceptibles de participer au renouveau de pactes sociaux dangereusement fragilisés depuis quelques années ? Sans en faire un commentaire détaillé – voyez l’interview de Pierre Beretti et la présentation de la résolution européenne – essayons d’en discerner quelques axes centraux.

Dans les deux cas, il s’agit de traiter une question majeure, celle de la sécurité de l’emploi envisagée au sens large. Les deux textes veulent couvrir les entreprises grandes et petites, donneuses d’ordres, sous-traitantes et les salariés, permanents ou précaires, dans leur diversité. Bel effort. Ils s’efforcent aussi de progresser en direction d’une meilleure gouvernance sociale avec des accents différents : le texte français est plus audacieux sur la place des salariés dans les organes de gouvernance des grands groupes, la résolution européenne plus innovante par sa référence aux diverses parties prenantes de l’entreprise (et donc à un périmètre dépassant de loin celui de ses acteurs internes).

Dans les deux cas enfin, la question de la légitimité et de l’effectivité est posée. Pour l’accord français, le fait que deux grands syndicats ne l’aient pas signé n’est pas une mince affaire et le passage par le parlement, comme d’ailleurs le renvoi pour certaines dispositions à des négociations de branches ou d’entreprises, sera tout sauf une formalité . Pour la résolution européenne, les protestations du patronat ne sont pas à prendre à la légère, pas plus que le gros risque d’une Commission refusant de donner suite à l’exigence qui lui est posée tant est grande sa tentation de s’en tenir à sa ligne d’un grand laisser faire, laisser passer en matière sociale (sauf quand il s’agit d’imposer des sacrifices aux pays surendettés !).
Ces deux textes proposent en tout cas de nouveaux équilibres, de nouvelles règles du jeu, parfois audacieuses, qui peuvent faire bouger et les choses et les lignes. Et pourtant… Comment ne pas faire part d’un manque d’enthousiasme ?

En dépit de la taxation des contrats courts et de l’introduction de droits rechargeables, il est fort peu probable que le texte français corrige en profondeur les inégalités qui régissent les parcours professionnels, et en particulier les différences de traitement injustifiables qui en résultent, selon que l’on est peu ou très qualifié, que l’on relève d’une grande entreprise ou d’une PME, que l’on dispose d’un CDI ou d’un contrat court. Il est regrettable aussi que l’obsession de l’emploi ait conduit les négociateurs français, et dans une moindre mesure le co-législateur européen, à sous-estimer la question du travail : santé des personnes, engagement et expression au travail de tous, implication d’un management qui s’est profondément éloigné du terrain et du travail des salarié(e)s. Voilà des leviers négligés pour la performance des organisations et le bien- être des individus. La sécurisation des emplois c’est beaucoup plus que la question de l’emploi : elle passe par une transformation, des rapports au travail.

Enfin, la confirmation de l’entreprise comme lieu supérieur de la négociation, pour être dans l’air du temps, n’est pas forcément rassurante. Si le texte européen fait référence aux territoires par exemple, l’accord français ne les mentionne que via le financement de la formation. Est-ce bien là la meilleure manière d’affronter des changements structurels qui dépassent et de loin les stratégies d’entreprises, y compris des plus grandes ? Je pense ici à l’automobile, à la chimie, aux industries de la santé ou de l’agroalimentaire, au secteur financier et j’en passe… Est-ce bien là la meilleure manière de concilier le tout et les parties ? Espérons en tout cas que ces deux événements ne soient pas un aboutissement mais le début d’un renouveau de pactes sociaux à la fois plus justes et plus mobilisateurs.

 

 

PS Sous le titre « Chronique d’une mondialisation conflictuelle », nous ignaugurons aujourd’hui une sorte de veille sur les conflits sociaux à travers le monde. Signe d’une mondialisation dont les enjeux sociaux et sociétaux valent la peine de s’y arrêter.

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