par Patricia Vendramin, Claude Emmanuel Triomphe
Universitaire reconnue et « branchée » sur les nouvelles questions du travail, Patricia Vendramin, directrice de recherche à la FTU et professeure à l’Université Catholique de Louvain en Belgique explique pour Metis ce qui caractérise selon elle les nouveaux comportements au travail en mode projets, à l’ère du numérique, des micro-travaux en ligne et des contrats courts.
Nous assistons, dites-vous, à un développement du micro travail en ligne….
En effet, selon des travaux menés par Vili Lehdonvirta et Paul Mezier, avec le numérique se multiplient de toutes petites activités rémunérées, parfois quelques centimes, qui sont proposées par les plateformes de crowdsourcing et qui consistent à transcrire des textes, tagger des images, classer des images par catégories etc…On peut aussi les voir dans le test d’algorithmes et dans des tâches plus qualifiées qui font appel à des compétences plus sophistiquées. Ces plateformes ressemblent à des bourses du travail ! Pour certains, il y a là des activités accessoires parfois permanentes, parfois temporaires… La question de la dimension collective se pose ici au travers de l’identité professionnelle et de la possible construction d’une image positive de soi dans ces formes d’activité professionnelle. Les auteurs identifient 3 scénarii qui vont d’une identité professionnelle totalement éludée – l’activité est un jeu, ce qui pose la question de son évaluation et de sa rémunération – à celle qui se définit au travers de nouvelles formes d’organisation : groupes de pairs, communautés en ligne au sein desquelles les individus vont échanger des trucs pour faciliter certaines tâches, pour échanger surévaluer leurs « employeurs », pour poser les limites de ce qui est acceptable ou pas en termes de rémunération…. Un troisième scénario s’organise autour de critères tels que la liberté, le choix, l’apprentissage qui font quetransforment ces micro activités apportent en quelque chose de positif.
Ces travaux ont mis en évidence que le premier élément qui semble structurer des collectifs autour de ces activités, c’est une certaine proximité géographique entre gens des personnes du même pays, de la même culture et ce sur des plateformes a priori non ancrées géographiquement. A ceci s’ajoutent ensuite d’autres critères : des compétences numériques, le genre, la race…..
Dans vos propos sur le numérique, vous parlez d’une « privatisation de la relation sociale » : qu’entendez-vous par là ?
C’est un comportement qui caractérise toute la plus jeune génération au travail. Ces jeunes travailleurs ne s’identifient pas à des collectifs abstraits qui préexisteraient dans les entreprises dans lesquelles ils vont travailler. Ce qui fait sens pour eux, c’est le collectif avec qui on travaille au quotidien, on échange, apprend, avec qui aussi on prend un café, ça peut être aussi inclure des clients avec qui on a des liens réguliers.
Un parallèle peut être fait pour avec ceux qui s’inscrivent dans un groupe-projets, mais là c’est loin d’être le cas de tout le monde, même si ce n’est le mode d’organisation que d’une minorité. Ce groupe peut aussi rassembler des consultants, des salariés, des fournisseurs ou des clients. Ce peut être un projet Les projets peuvent durer de quelques semaines à quelques années. C’est ça le collectif de référence.
Bref, dans des trajectoires de jeunes qui ont caractérisées par plus de mobilités, volontaires ou contraintes, il y a bien une volonté de s’inscrire dans des collectifs mais d’une manière différente. Ceci concerne des personnes qui sont en CDI ou en CDD mais pas dans des mini jobs ni du micro travail.
Si la relation sociale se privatise, comment coopère-t-on au travail ?
On peut parler d’une forme de nomadisme coopératif, un concept issu d’un travail de recherche effectuée dans des milieux intensifs en technologies et avec des dispositifs d’organisation et de GRH très individualisants. Beaucoup émettent l’hypothèse qu’il n’y pas plus d’une disparition des collectifs, que c’est le royaume du chacun pour soi. Et si l’on n’est plus dans un rapport traditionnel d’appartenance (au métier, à l’entreprise, à un type de carrière..), sur une carrière, on passe de collectifs-projets en collectifs-projets. Il y a toujours de la coopération dans le travail, elle est toujours nécessaire et indispensable. De même, il y a toujours une recherche de liens et de sociabilité mais organisée autour de projets auxquels on travaille et collabore ; ce projet peut être des collaborations en partie réelles, en partie virtuelles. Les autres collègues, collaborateurs, dans ces espaces de sociabilité sont perçus comme des personnes qui donnent du sens, qui permettent d’apprendre, de créer du plaisir dans le travail. Mais on n’est pas dans un collectif-projet pour 20 ans.
Ces nouvelles organisations ne conduisent-elles pas à la mort du syndicalisme ?
Le défi est d’intégrer ces formes de travail et de rapport au collectif à partir d’institutions du monde du travail organisées. On a besoin d’une réflexion syndicale organisée par territoires, par branches, sur la manière dont ces organisations se développent. Comment peuvent-elles s’approprier cette déstructuration du travail quand il s’agit du travail virtuel ou de micro activités ? Il leur faut imaginer des formes innovantes de collaboration. On n’imagine ,n’envisage pas un avenir du travail sans avenir de l’acteur syndical ou sans acteur force de régulation du monde professionnel, un acteur qui défend les intérêts des gens individus au travail et qui sont dans un rapport inégal.
Crédit image : capture d’écran du site de travail freelance Fiverr
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