par Morgan Marietti, interview, Claude Emmanuel Triomphe
Morgan Marietti a été apprenti pendant cinq ans ans. Il est aujourd’hui délégué général de l’Association Nationale des Apprentis de France (ANAF). Il expose dans une interview avec Metis les raisons pour lesquelles il a participé à la fondation de l’ANAF, mais aussi son point de vue sur l’évolution de ce système de l’apprentissage, sur ses points faibles et sur ce qu’il faudrait faire.
L’apprentissage a beaucoup évolué en France : comment le définiriez-vous aujourd’hui ?
C’est de la formation initiale développée dans le secondaire au départ et qui permet à un jeune de réaliser sa formation dans un centre de formation des apprentis (CFA) ou dans un établissement partenaire, et en même temps de réaliser des missions en entreprise avec un rythme d’alternance qui varie en fonction du métier, etc. L’objectif historique était de former soit des jeunes exclus du système scolaire en raison d’une pédagogie inadaptée à leurs modes d’acquisition des savoirs, soit des jeunes voulant accéder rapidement à un métier précis dans l’artisanat, l’industrie ou les services.
Aujourd’hui, l’apprentissage c’est environ 400 000 jeunes dans un peu plus de 800 métiers. Dont 40 % dans l’enseignement supérieur et 60% dans l’enseignement secondaire. Il évolue donc très fortement dans son image grâce à ce lien avec l’enseignement supérieur. La formation par l’apprentissage est toujours gérée par l’Éducation nationale, qui valide les diplômes et les référentiels métiers. C’est souvent organisé par filière professionnelle, financée par la taxe d’apprentissage mais aussi par des fonds régionaux.
Chaque CFA est différent. À côté des CFA de la mécanique, de la plomberie ou de la boulangerie, il y a des CFA dans l’animation sportive, la librairie, les métiers postaux, le numérique, la communication, etc. C’est un système qui permet d’amener certains jeunes beaucoup plus loin en termes de formation, de niveau et de compétences que ne le ferait le système traditionnel de l’Éducation nationale. Mais c’est un système qui a toujours besoin de se transformer, d’évoluer.
Au moment où, à de rares exceptions près, l’apprentissage fait l’objet d’un large consensus entre partis politiques, quel bilan faites-vous des politiques publiques consacrées à son développement ?
Le consensus est tout de même assez récent ! Souvenez-vous de la campagne présidentielle de 2012, où les partis de gauche ont été très discrets sur ce thème parce que la droite en avait fait, elle, un cheval de bataille ! Au-delà, cela fait vingt ans que les gouvernements successifs n’ont pas de vraie stratégie en la matière ; ils veulent développer du quantitatif sans affronter les vrais problèmes. À commencer par ceux liés à la pédagogie. Les personnels des CFA font un énorme travail avec très peu de moyens. Mais en même temps, il leur faut évoluer, transformer leurs méthodes, transformer le rôle des CFA. Or le politique n’a jamais voulu mettre le nez dans la pédagogie. Les jeunes, les publics ne sont plus les mêmes, les formateurs non plus ; les entreprises ont beaucoup évolué et sont beaucoup plus exigeantes. Mais personne ne met en place une stratégie de transformation des établissements, de conduite du changement. Personne n’accompagne ces mouvements de fond, à de rares exceptions près. Ici la volonté politique fait vraiment défaut. Il est anormal que les CFA forment aussi peu leurs personnels par manque de moyens, de volonté, d’orientations claires.
Quels impacts ont ces faiblesses sur les jeunes ?
On se retrouve aujourd’hui avec un système marqué par un taux de ruptures prématurées des contrats très élevé: 25% de ruptures en moyenne avant terme et jusqu’à 40% dans des filières comme la restauration, l’hôtellerie ou la coiffure. Il y a aujourd’hui une baisse très importante de l’apprentissage dans les niveaux secondaires (CAP, bac pro) et ce sont sur ces mêmes niveaux que le taux de rupture est le plus important. Pourquoi croyez- vous que les familles ne se tournent pas vers ce type de formation ? Parce qu’elles ont l’impression qu’il est de moins bonne qualité que ce que fait l’Éducation Nationale, pourtant décriée par ailleurs, et que le jeune ne sera pas assez accompagné vers l’entreprise. Or les CFA n’ont rien à envier au système éducatif classique et les débouchés professionnels y sont mieux assurés. Il est fondamental de le dire, de le démontrer et d’en persuader les familles.
Pourquoi avez-vous créé l’ANAF, et que préconisez-vous ?
Il y avait un vide dans le paysage des organisations de jeunesse. Beaucoup de monde parlait des apprentis et prétendaient les représenter alors que ceux-ci ne s’y reconnaissaient pas vraiment et ne pouvaient pas prendre la parole. Nous en avions assez que certains parlent en notre nom alors que pour eux, nous étions que la cinquième roue du carrosse. Nous nous donnons la parole et voulons nous représenter dans notre diversité.
Ce que nous défendons à l’ANAF, c’est un autre type d’accompagnement vers l’entreprise, autant dans la recherche d’un contrat que pendant la formation elle-même. Un jeune attend de son CFA d’être accompagné pour répondre très rapidement aux besoins immédiats de son entreprise. Or quand ceci n’est pas fait, le jeune n’évolue pas dans ses missions et se retrouve trop souvent en difficulté, confronté à des conflits et se démotive dans sa formation. Aujourd’hui il y existe une pédagogie qui permet de rendre le jeune en entreprise à la fois pertinent et efficace, tout en développant les valeurs éducatives et la volonté de faire grandir ce jeune comme citoyen, et pas seulement comme acteur économique. C’est la proactivité qui est déployée depuis cinq ans dans une trentaine de CFA de la Région Île-de-France – qui forment 10 000 jeunes – et qui a permis de baisser les taux de ruptures de contrats de 20% à 4,8%. Ce que nous souhaitons, c’est la généralisation de cette pédagogie et ce, au travers d’engagements croisés ente les CFA et les régions : les ruptures de contrats doivent être considérées comme un indicateur central de qualité et les formateurs de CFA doivent être formés à ces nouvelles approches.
Il faut aussi mettre en place un système de représentation démocratique des apprentis dans les CFA, mais aussi au plan national, comme à celui des régions. Il est scandaleux qu’ils ne soient pas représentés systématiquement dans ces établissements, alors que les élèves et étudiants le sont dans les lycées professionnels ou dans les universités.
Propos recueuillis par Claude-Emmanuel Triomphe
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